L’usure du pouvoir discrétionnaire ou la désacralisation des actes du chef de l’état

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Au terme des élections présidentielles de 2010, nombreux étaient les guinéens qui présageaient de bons augures pour le devenir de leur Nation. La plupart des observateurs, sans doute à cause du parcours atypique de l’homme et de sa constance politique tant dans son discours que dans son positionnement pendant près de quarante années d’âpres luttes, ont spéculé sur la fin des régimes moribonds et de la république bananière en Guinée.

Le président Alpha Condé puisque c’est de lui qu’il s’agit, docteur d’Etat en Droit public qu’il est, avait réussi à résumer la situation guinéenne dans cette maxime qui, par la suite, est devenue célébrissime ; verbatim : « J’ai hérité d’un pays et non d’un Etat ». Dès lors, la mission du Chef de l’Etat devenait sans appel ; celle-ci s’enchevêtrait tout naturellement avec la volonté affichée par le locataire de la maison blanche d’alors, le président ‘’Barack Obama’’, pour qui : « L’Afrique n’a besoin que d’institutions fortes et non d’hommes forts ».

Hélas, en dépit de toutes les bonnes promesses occasionnées par l’avènement de la gouvernance Condé, avec le recul, on se rend bien compte que celle-ci n’a guère su appliquer la rupture qu’il fallait avec le régime Conté ; en lieu et place du « changement » clamé comme thème phare de sa campagne, elle a plutôt rapidement renoué avec les pratiques de fin du règne du régime défunt.

En effet, la personnalisation, la monopolisation à outrance du pouvoir politique et le recours systématique au pouvoir discrétionnaire du Chef de l’Etat pour régler les actes ordinaires du gouvernement ont fini par supplanter la logique purement administrative, impersonnelle au profit des intrigues affairiste et pernicieuse.

Ce pouvoir discrétionnaire, dans un pays aussi « démocratique » que le nôtre, bien qu’il soit à la discrétion du Chef de l’État, bien qu’il soit consacré et garanti par notre constitution notamment dans ses dispositions 46, 47, 48, et suivant, ne devrait point signifier abus, arbitraire ou détournement de pouvoir.

En outre, dans son exercice, l’utilisation abusive de ce pouvoir a enseveli voire complètement détruit la fine pellicule qui fixe et consacre les limites des différents pouvoirs dans leurs rapports complexes et dynamiques ; elle a annihilé toute garantie d’efficacité des institutions de la république qui sont, de par leur essence, des contre-pouvoirs censés être au service du peuple. Pis, aucune institution républicaine (y compris judiciaire) n’échappe, à ce jour, à dictat de l’exécutif guinéen ; elles ont toutes été phagocytées par le régime.

Dans la pratique, les actes d’abus du pouvoir discrétionnaire sont légion et sont devenus la marque de fabrique du pouvoir Condé. Tenez bien, quelques mois après son investiture à la magistrature suprême de notre Etat, nous avions tous impuissamment assisté à la cession du port autonome de Conakry à son ami Vincent Bolloré (le milliardaire et homme d’affaire français), cela en violation de toutes les lois nationales.

Lien: http://guineeactuelle.com/affaire-bollore-ou-le-coup-de-mer-qui-enliserait-alpha-conde

Mieux encore, nous assistons à la survivance du système Conté avec des décrets et des contre décrets qui pullulent comme des rats de marée au grand dam de la méritocratie et de la compétence.

Lien: http://guineeactuelle.com/laffaire-oye-guilavogui-quel-impact-sur-la-politique-guineenne

La capacité de discernement requise et le caractère exceptionnel auxquels sont rattachés ce pouvoir pour lui en donner une dimension presque « sacrée » et indiscutable sont, en Guinée, nettement rompus. L’aura qui jusque-là, était entretenue par la rareté et le mystère font désormais place à la banalité, à la légèreté et à la désacralisation des actes du « Président de la république ». Ainsi donc, le pouvoir discrétionnaire par conséquent exceptionnel va complètement se métamorphoser en un simple pouvoir ordinaire que pourrait prendre un chef de quartier ou de district. Ce qui manifestement, donne davantage de pouvoirs à des individus dangereux, capables de remettre en cause l’orthodoxie administrative pour ainsi défier l’État et prendre en otage toute la république.

Du reste, ce qu’on ne souligne pas assez, c’est que ceux sont les graves et grotesques manquements à nos textes de loi, la promotion de l’incompétence et de la médiocrité, la consécration de l’affairisme et celle du gangstérisme politico-économique dans les hautes sphères de l’Etat qui seront, bon gré / malgré, élevés au rang de valeurs nationales et ces actes ignobles trouvent des explications plausibles dans l’exercice de ce pouvoir arbitraire, sans aucun garde-fou pertinent, au grand préjudice d’un peuple agonisant.

Les interrogations de nos concitoyens face à certaines nominations injustifiées ou logiquement injustifiables et face à des cessions de biens ou de marchés publics dans le cadre de la pratique de ce pouvoir discrétionnaire qui, en fait, est l’expression même d’une monarchisation de la république. Ces interrogations doivent désormais trouver un écho auprès de la société civile qui, elle aussi, devrait se lancer dans une perspective de rassemblement de toutes les forces progressistes du pays.

En réalité, jamais un pouvoir n’aura autant déçu les Guinéens que celui-ci, le désenchantement et le malaise sont si manifestes que même les thuriféraires du pouvoir ne savent plus à quel saint se vouer. Le glas du régime étant à son précipice, pour un Etat répondant à notre profil (balkanisation des communautés et impuissance des institutions républicaines), la seule issue qui tienne, serait de s’unir à l’image des pères fondateurs de notre république, au-delà des clichés ethniques ou communautaires, pour instituer les ‘’forces vives’’ à l’effet de s’organiser en contre-pouvoir conséquent.

CHERINGAN

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