Aliou niane rend hommage à son père : ‘’à notre père mamadou niane – 1933 – 2023’’

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D ans la Famille Niane Heureux qui t’a rencontré, le Baaba de tous ! Je te fais un hommage par cette anthologie japonaise du Man’yōshū :

Puisque tous les vivants,

A la longue,

Doivent mourir,

Tant que je suis en vie,

Mieux vaut être gai.

Le Man’yōshū ou « Collection de dix mille feuilles ») est la plus ancienne collection existant de poèmes japonais depuis le VIIIe siècle.

Ta vie a été pleine de joie, d’humour et de rires explosifs et contagieux. Mais à te voir perdre ce rire, j’ai compris que je devais être à tes chevets aussitôt que possible.

Mais tes filles y étaient déjà, oui mes sœurs, essoufflées, une sur ton lit, l’autre debout devant le placard, et deux autres sur des chaises toutes en train de te regarder ou de te réconforter. Mon frère fatigué qu’il était et ne se souciant pas de son état de santé était présent aussi. Ma tante Kadiatou, ta petite sœur  et ses enfants toujours assis à tes côtés de jours ou de nuits. Tu étais entouré par un amour, qui se lisait sur tous les yeux, se fondait aux actes et se communiquait par les paroles.

Il est 23 heures à Conakry, pas de temps pour les salutations, je rentre en trombe dans ta chambre et me dirige droit vers ton lit, je tiens ta main et me présente… Baaba c’est moi Badara, c’est Badara, BAABA TU M’ENTENDS, c’est BADARA pas de réponse, ton œil clignote lentement qui semble répondre, j’ai un petit espoir, je ne savais pas que tu venais d’avoir un second accident vasculaire cérébral, d’où mon espoir de te revoir répondre par un sourire, ce sourire que j’attendais, mais qui ne pouvait venir. Alors je regarde autour comme pour crier à l’aide, oui, tu avais déjà perdu le sourire qui m’aurait donné un brin espoir temporaire, je restais toujours serein. Mais d’ailleurs n’est-ce pas cet espoir qui a tenu tout ce monde autour de toi ?

Mes sœurs sont devenues des cuisinières spécialisées pour une personne âgée, elles sont devenues des infirmières, et surtout, elles sont restées tes filles fières de leur papa. Dans une rotation continue, chacune d’entre elles s’était dotée d’un rôle comme dans une salle de chirurgie. J’ai observé leurs gestes, entendu leurs paroles de réconfort, les coups d’œil rapides sur la perfusion intraveineuse, mais aussi leurs soupirs qui sous-entendent un désespoir, même si le spirituel continue à guider nos mouvements pour un regain d’espoir.

Une fois à l’hôpital en urgence, n’est-ce pas dans les mains de tes filles aimées que tu expirais ton dernier souffle ?

Montrez-moi la manière dont une nation ou une communauté prend soin de ses morts. Je mesurerai exactement les sympathies de son peuple, son respect pour les lois du pays et sa fidélité aux idéaux élevés. Par William E. Gladstone (Premier ministre du Royaume-Uni 1892 -1894)

Je me rappelle un jour de fête de tabaski, un visiteur venu saluer la famille avait dit « Monsieur Niane, vous avez as un joli boubou, pouvez-vous me le donner ?» ; tu l’enlevas et demandas à ma mère de le plier et de le lui donner. Tu as hébergé une personne qui t’a connu à travers le journal Bingo, c’est le cas d’un Gabonais « surnommé Lumumba » qui après l’arrestation de son père voulait fuir son pays sous le pouvoir du président Léon M’Ba. Il passera deux ans dans la concession de la famille Niane à Dixinn. Selon mon grand frère Ahmadou, lorsqu’au cours d’une mission professionnelle en voiture monsieur Cissé de Moriyah ton collègue de travail fut victime d’un arrêt cardiaque fatal, tu ne pouvais laisser son fils dans sa détresse, tu l’avais amené avec toi continuer ses études dans la famille Niane.

En grandissant, j’ai voulu avoir un père à moi, à nous seuls – mes frères et sœurs, sans mot dire, tu as été le père de tous. Des cousins, amis, voisins, et même tous les enfants du quartier t’ont appelé Baaba (En tirant sur le second « A ». Moi enfant, je voulais juste avoir un père, jamais de ma mémoire (et d’ailleurs avec une frustration de ma part) tu n’as pas tenu tes enfants au-dessus des autres. Tu achetais les fournitures et tenues scolaires pour tous les enfants de la concession sans exception et d’ailleurs, ma cousine Ramatoulaye Sy en larmes me le rappelait pendant la cérémonie de sacrifice du dimanche 15 janvier 2023.

Un jour de 1974, je revenais de l’école du Cameroun avec des amis, de loin, j’ai reconnu ta voiture, et me tournai pour te faire signe, tu t’arrêtas un peu loin de moi, d’autres élèves plus proches profitèrent pour monter dans ta voiture, tu continuas ton chemin comme si rien n’était, à ma grande surprise, je reprenais ma marche à pied avec mes amis sur la route de Donka. Aujourd’hui, je te remercie pour cet enseignement caractériel, car cela m’a servi beaucoup plus tard dans la vie. Servir les autres (Surtout, ceux qui sont en besoin) sont une belle récompense personnelle.

Sur le plan professionnel, tu as laissé tes traces dans l’infrastructure guinéenne durant ton service au ministère de l’Urbanisme et Habitat de Guinée. Tu dirigeras les travaux de L’usines de gari et tapioca de Kindia, suivi par le centre Fruitex – tous à Kindia. Tu as fait la cité du fleuve Niger a Faranah une perle architecturale traditionnelle, tu as conduit la rénovation des logements des diplomates américains à Conakry, et même ceux de l’USAID dans le quartier de Landreah, tu as exécuté les travaux de la cité des 100 logements de Matoto etc.. Tu as aussi construit des bâtiments et des villas ailleurs. Pendant mes rares vacances en Guinée, en me conduisant dans la ville de Conakry, tu me montrais de façon nonchalante, une maison ici et une piscine-là. Arrive à l’hôtel Mariador résidence, tu me diras que tu aimes bien cette piscine, j’ai compris, c’est un de tes chefs-d’œuvre, et même les motifs esthétiques sur les clôtures des concessions furent une de tes innovations.

En 2004 – 2005, j’ai eu une énorme chance de passer 6 mois avec toi a New Jersey. Pendant ce temps, nous avons eu des conversations qui m’ont permis de découvrir tes sentiments, tes pensées, tes lectures préférées, et bien sûr tes émotions d’un père envers son fils. Ce fut aussi une occasion pour toi de découvrir, l’indépendance, les contradictions, l’individualisme de ton second fils. Nos longues conversations nocturnes sur l’histoire, la diplomatie, la politique, et surtout le cyclisme. Ce cyclisme qui ne te quitta jamais, car tu as aimé ce sport de beauté, d’endurance, de persévérance. Oui, c’est cette persévérance qui t’a permis de doubler ta longévité par rapport à la moyenne du Guinéen de ta génération.

À chaque fois que nous verrons tes œuvres en Guinée, saches que nous restons fiers de ta contribution à la nation guinéenne sur le plan sportif et professionnel.

Mamadou Niane on ne peut te décrire que par cette belle phrase du roman ‘La face de l’autre’ de l’écrivain Japonais Abé Kobo (1924-1993) – « Une haute sympathie pour les autres provient d’un grand degré d’adhérence à soi-même ». Tu as semé la sympathie tout au long de ta vie.

 Repose-toi en paix, car tes enfants, et petits-enfants, tes neveux et nièces qu’ils soient Niane, Bocoum, Sylla, Kourouma, Camara, Pakilé, Remy, Yattara, Diallo, Bangoura, ou Soumah continueront à porter très haut le flambeau qu’ils ont hérité.

Nous t’aimerons pour toujours !

Aliou Niane

30 Janvier 2023

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