Le mal-être du migrant : du migrant à l’immigré clandestin

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« La fin justifie les moyens. A présent, telle est ma devise. Jadis, je n’aimais pas entendre cette affirmation que je trouvais tordue, mais ça, c’était avant.

Ces papiers, il me les faut. Visiblement la voie légale n’était pas la bonne. Tant pis, j’aurais essayé et surtout j’aurais souhaité que cela marche.

Trêve d’excès de principes à la mords-moi le nœud ; Adieu la bonne éducation de merde qui, jusque-là ne m’a apporté que le droit de m’effacer face à tout. Il paraît que tous les chemins mènent à Rome ; Va pour Rome ! Et je n’irai pas par quatre chemins ! ».

Labyrinthe était bien décidé à rester en France. Retourner au pays n’était pas envisageable pour lui. Affronter son père dans de telles conditions est pire que la mort. Son objectif était donc d’obtenir les papiers lui permettant de rester dans ce pays choisi et d’y vivre convenablement.

Labyrinthe se renseigna alors, noua de nouvelles relations et fit notamment la connaissance de Djibril. Ce garçon était un fin connaisseur de la vie des immigrés clandestins en France. Lui-même était passé par là, mais sa situation est maintenant réglée. Il a connu tellement de péripéties au cours de sa vie de clandestin qu’il a décidé de mettre son expérience au profit de ses semblables, moyennant une rétribution bien sûre.

–  J’ai ta solution ! La bourse aux vieilles !

–  La quoi ?!

– La bourse aux vieilles je te dis. Il y a un endroit à Lille, une boîte de nuit « Le Macumba » qui propose les musiques des années 80. Nous pourrions aller faire un tour ! Des vieilles y viennent pour des matinées dansantes. Ce sont des femmes mûres d’un certain âge, veuves ou divorcées récalcitrantes, à la recherche de jeunes blacks désemparés pour passer du bon temps. Là-bas, tu y trouveras certainement ton bonheur.

– Mais à quoi vont me servir ces vieilles comme tu dis ? Je crois qu’on ne s’est pas compris. Je ne cherche pas à me divertir mais à avoir des papiers, tu piges ?

– Il te faut un dessin ? Si tu en chopes une, tu peux l’épouser et alors avoir les papiers. Bon, je t’ai dit « vieilles », mais elles ne sont pas si vieilles que ça ; La quarantaine quoi, mais bien avancée j’avoue. Bon, on ne va pas se mentir, ça table plutôt vers la cinquantaine.

– Voyons Djibril ! Je suis allergique aux peaux fripées moi !

Djibril lança un regard à Labyrinthe qui lui fit redescendre sur terre.

« Les jeunes blondes aux yeux bleues ne sont pas faites pour moi, ça c’est un fait ».

Le rendez-vous était pris pour le dimanche en huit. Ce laps de temps permettrait à Labyrinthe de trouver un peu de sous pour financer le carburant et les frais de péages sur l’autoroute A1, à l’aller comme au retour. Le train aurait bien été confortable et plus rapide mais trop risqué pour Labyrinthe le clandestin.

Ce fameux dimanche arriva. Labyrinthe rejoignit Djibril à la porte de la chapelle. Il était à l’heure et l’attendait dans sa vieille Twingo première génération.

Après trois heures de route, ils arrivèrent à Lille, plus précisément à Haubourdin dans une  zone commerciale où se dressait la discothèque. Elle avait deux salles. Visiblement une plus petite, pour la jeune génération avec de la musique moderne et une plus grande dans laquelle passaient en boucle, les chansons des années 80. Labyrinthe était bien tenté par la petite salle mais Djibril lui fit comprendre qu’il devait dorénavant se mettre au travail : la chasse aux « vieilles ».

Très vite, pris par l’ambiance de ces musiques et la beauté de la salle, il oublia sa petite déception.

Au bout d’une heure, il devait pointer chez Djibril pour lui faire part de son top 3.

  • Alors ? il donne quoi ton hameçon ?
  • Rien
  • Comment ça rien ?
  • Bah rien de rien. Franchement tu as vu la marchandise ?

A peine après avoir prononcé ces mots, que Labyrinthe s’est rappelé qu’il n’était pas à cet endroit pour trouver l’amour de sa vie.

« J’en rigole encore quand je pense à l’expression de Djibril « La bourse aux vieilles ». C’est marrant, « bourse », c’est justement ce que j’ai à offrir, euh plutôt à vendre. J’espère juste que les miennes ont suffisamment de contenu pour mener à bien ma mission ».

C’est alors que Labyrinthe tenta deux approches, une rousse aux yeux enfoncés et une autre au physique impressionnant.

« J’aurai juré que celle-ci est camionneur ou professionnelle en lancée du marteau ou un truc dans ce goût-là ».

Il s’est pris deux râteaux successifs et n’a pas osé réitérer une quelconque nouvelle approche. Ils rentrèrent bredouilles.

Deux autres voyages ont conduit au même résultat, un échec. Ça commençait à peser lourd dans le budget « Mariage blanc » de Labyrinthe. Cette fois-ci, la chance lui souriait. Il n’a pas eu besoin de faire quoique ce soit, c’est elle qui s’approcha de lui et fît le premier pas. Elle n’était vraiment pas belle. Elle devait peser au moins deux fois le poids de labyrinthe et ça tablait, allez, au doigt mouillé, vers la cinquantaine haute. Elle avait des dents jaunâtres et était petite sans doute 1m50. Labyrinthe ne se serait jamais aventuré vers ce profil là mais entre un budget presque épuisé et la mission à mener, il fallait mettre ses caprices de côté. De toutes façons, Djibril commençait à en avoir marre de ces voyages tous les week-ends.

  • Je vous trouve très charmant jeune homme, en plus, vous dansez bien ! Je suis Geneviève et vous ?
  • Moi c’est Labyrinthe.
  • Hum, très atypique comme prénom ! Mais ça me plait bien !
  • En fait, c’est plutôt un surnom. Je le préfère à mon prénom.
  • Très bien ! Vous voulez bien m’accorder cette danse Labyrinthe ?
  • Oui avec plaisir !

« Quel menteur je suis ! J’adore bien « Time of My Life – Dirty Dancing » mais Geneviève est en train de tuer le game là. Franchement, ce n’est pas la fille avec laquelle je me vois danser sur le rythme de cette chanson. Je serais plutôt aller chercher une dans la petite salle à côté. Pauvre de moi ! ».

Mission accomplie, l’affaire était dans le sac ! Geneviève et Labyrinthe s’étaient trouvés.

Geneviève était veuve. Elle avait pour seule famille, la petite fille de sa sœur décédée, qui venait lui rendre visite une fois par mois. Sandrine venait chaque deuxième week-end du mois pour tenir compagnie à cette grand-mère avec laquelle elle s’entend à merveille.

Geneviève habitait une petite maison assez coquette à Saint André-lez-Lille. Quand elle eut connaissance de la situation de Labyrinthe quelques semaines plus tard, c’est tout naturellement qu’elle lui a proposé de s’installer chez elle.

Labyrinthe a dû se faire prier une fois avant de donner son accord. Bien évidemment il a tenté un coup de poker pour masquer son guet-apens. Geneviève, amoureuse, n’y vit que du feu.

Djibril considéra que le contrat était honoré. Il avait trouvé l’idée et avait aidé à la mise en relation avec une vieille. Après s’être acquitté des honoraires auprès de Djibril, Labyrinthe se faisait accompagner pour de bon dans le nord par Djibril, qui proposa même de lui offrir ce voyage pour fêter l’occasion.

Il posa sa besace à Saint André-lez-Lille, dans la chaleureuse maison de Geneviève. Il était tout fier de son exploit, à savoir réussir à berner sa vieille. Mais ça n’allait pas être si facile que ça, il le comprendra plus tard.

De son côté, Geneviève était fière de sa trouvaille. Elle en était si fière qu’elle parla de lui à ses copines avec lesquelles elle a pour habitude de prendre le thé tous les samedis entre 16 et 18h, à l’exception de ceux où elle reçoit la visite de Sandrine.

Elle parla de lui également à Sandrine qui ne voyait pas cette relation d’un bon œil. Mais elle aimait tellement sa grand-mère qu’elle se garda de lui faire part de sa réticence. Elle décida d’être à son écoute et de veiller à cette relation atypique à distance.

Geneviève s’attela à prendre soin de Labyrinthe. Elle l’entretenait, lui achetait des vêtements, des chaussures, le nourrissait, bref, elle assurait tous ses besoins primaires.

Tout était parfait, ils filaient un parfait amour, enfin, aux yeux de Geneviève.

Il était samedi 10h, l’heure à laquelle Sandrine a pour habitude d’arriver chez sa grand-mère.

« Ce Week-end va être particulier. Je vais être avec le black de mémé. Honnêtement ça m’ennuie mais si elle est heureuse, il va bien falloir faire avec car c’est son bonheur qui passe avant tout. »

Elle se gara dans l’allée et ne tarda pas à apercevoir Labyrinthe tout souriant à l’entrée. Il voulait la séduire pour prouver qu’il est bien pour sa mémé. Séduire, oui, mais pas pour la bonne raison. En effet, il flasha sur cette belle brune au sourire contagieux. Sandrine était une fille avenante. Le courant est passé naturellement entre eux. Elle n’était pas sensible non plus au charme de ce garçon venu de loin.

  • Vous êtes Labyrinthe, je suppose !
  • Vous supposez bien ! Et vous Sandrine n’est-ce pas ?
  • Plein dans le mile !

Ils sourirent de concert.

  • Tu vois Sandrine comme il est charmant, je te l’avais dit, tu ne pouvais que l’aimer.
  • Je vois ça mémé ! Répondit Sandrine en scrutant Labyrinthe du regard.

Ils s’installèrent dans le jardin et échangèrent longuement sur les origines de Labyrinthe, le pourquoi il est en France …

Sandrine lui parla beaucoup d’elle également, de sa vie d’étudiante. Elle étudiait à l’université de Lille où elle préparait son Master Biologie Santé.

La complicité entre les deux jeunes gens a été si intense au fil des week-end que Sandrine venait un week-end sur deux à présent. Ils sont tombés amoureux sous le nez de Géneviève qui n’a rien vu venir. Elle était plutôt satisfaite de cette complicité entre eux et voyait en cela une bénédiction de la part de Sandrine sur sa relation avec Labyrinthe.

Ils trouvaient les moyens d’être en intimité pendant que Geneviève rendait visite à ses copines.

Ce samedi-là, Sandrine ne vint pas et n’a pas daigné prévenir qui que ce soit. Inquiète, Geneviève lui passa un coup de fil pour s’assurer qu’elle va bien. Sandrine lui expliqua être malade et lui promit de venir le week-end suivant. Elle demanda à parler à Labyrinthe qui s’éloigna dans la chambre, le téléphone en mains.

  • A quoi tu joues ? Lui demanda-t-il d’un ton nerveux.
  • Je suis enceinte.
  • De qui ?
  • Du St Père ducon ! Répliqua-t-elle
  • Tu n’as pas fait ça ?
  • Nous n’avons pas fait ça, tu veux dire ?

Labyrinthe le savait. Il risquait gros. Il allait perdre Geneviève et adieu son plan initial. Sandrine, cette étudiante ne pouvait l’entretenir. Pire, elle ne l’aimait pas au point de l’épouser, elle voulait juste passer du bon temps avec lui.

Après un long silence au téléphone, Sandrine l’informa qu’elle viendrait le week-end prochain pour le dire à Geneviève ; Elle ne pouvait cacher la vérité à sa grand-mère.

Labyrinthe était fou de rage.

  • Non mais tu es complètement barge ma poule. Tu lui as déjà fait du mal en venant te taper son compagnon sous son nez. Tu ferais mieux de garder cela pour toi.
  • Et toi tu es innocent bien sûr ! Elle t’a pris sous son aile, t’a hébergé. As-tu pensé à tout ça avant ? Je lui en parlerai, ça n’est pas une demande, c’est une information que je te donne.

Labyrinthe raccrocha le téléphone avec véhémence et retourna rejoindre Geneviève en bas, dans le séjour. Il n’était pas bien, vraiment pas bien du tout.

  • Ne t’inquiète pas pour elle, c’est surement une maladie bénigne. Elle s’en sortira tu verras. Elle sera d’ailleurs parmi nous samedi, lui lança-t-elle.
  • Oui tu as certainement raison. Je monte me coucher un peu.

Labyrinthe pris congé de Geneviève et alla se morfondre dans son lit.

Le samedi arriva. Il était 9h45. Labyrinthe aurait pu s’acheter une télécommande pour appuyer sur pause afin que n’arrive jamais 10h mais hélas, elle n’existe pas encore cette télécommande. Depuis sa chambre, il surveillait l’arrivée de la voiture de Sandrine qui n’était toujours pas là à 10h20.

« Cela ne lui ressemble pas, elle est toujours à l’heure. »

Labyrinthe décida alors de lui passer un coup de fil.

  • Je suis au lit, je ne peux pas venir.
  • Que se passe-t-il ?
  • J’ai perdu le bébé depuis mercredi. Oui, je ne t’en ai pas informé puisque tu t’en fous de toutes façons.

Labyrinthe était très heureux. « Je suis chanceux » pensait-il ! Il a raccroché le téléphone et est allé voir Geneviève.

  • Elle ne viendra pas.
  • Mais pourquoi donc ? Je lui ai fait sa tarte au citron meringuée !
  • Elle se sent toujours fatiguée. Elle viendra sûrement samedi prochain.

Il était tellement aux anges qu’il décida d’aller se promener dans les bois afin de savourer son bonheur. Mais c’était sans compter sur la colère de Sandrine. Elle n’avait pas apprécié le mépris à son égard.

« Il ne m’a pas demandé si j’ai souffert, si je me porte mieux, si je suis triste, pire, il a osé me raccrocher au nez ».

Sandrine appela Geneviève et lui raconta la vérité. Cette dernière était si énervée que la conversation téléphonique s’est résumée à « Je ne veux plus te voir dans ma vie, ne m’appelle plus jamais, et ne viens plus me voir ». Son ton était catégorique, sa décision était sans appel.

Geneviève songea alors à tout le cinéma de Labyrinthe. Elle se repassait en boucle les images de leur complicité et compris à posteriori à quel point elle avait été aveugle.

Elle décida alors de se venger, elle n’y alla pas de main morte.

Quelques jours passèrent. Geneviève convoqua Labyrinthe dans le séjour pour une « réunion de famille ». Il ne se doutait de rien.

  • Je suis au courant pour Sandrine et toi et pour le bébé.

Le cœur de Labyrinthe s’était accéléré à une vitesse qui lui était presque insupportable. Il transpirait, avait la gorge serrée et la bouche sèche. Il sentait comme un étranglement à la gorge par une force invisible. Il était plus abattu par le calme olympien de Geneviève que par le fait qu’elle ait été au courant de cette relation.

Geneviève saisissait bien cette sensation et venait de comprendre que sa stratégie était la meilleure.

  • J’ai beaucoup réfléchi et j’ai décidé de fermer les yeux sur cette histoire.

Geneviève se leva et quitta le séjour sans ajouter un mot.

Labyrinthe se serait bien enterré vivant. Il était scotché, il ne savait pas ce qui lui arrivait. Il aurait préféré une belle gifle de Geneviève mais non, Rien. Il se sentait redevable à cette femme au cœur si grand. Il ferait dorénavant tout ce qui lui ferait plaisir. Il s’est juré d’être à ses petits soins.

Geneviève venait de gagner.

Labyrinthe était devenu l’homme à tout faire. Le ménage, le jardinage, la cuisine, la vaisselle, bref, toutes les corvées de la maison. Il n’avait plus droit à de nouveaux vêtements ou chaussures, il ne dormait plus avec Geneviève, il lui fallait un peu de temps pour repartir à zéro sur ce plan-là, lui avait-elle-dit.

Labyrinthe était même devenu un objet sexuel pour Geneviève et sa bande de copines. Le temps du thé commençait bien à 16h tous les samedis mais s’éternisait jusqu’à pas d’heures.

Pendant toute la durée du séjour des copines, il devait jouer les rôles qu’elles souhaitaient, nu, et devait satisfaire chacune de ces cinquantenaires.

Cela devenait moralement et physiquement insupportable pour Labyrinthe.

« Quand je pense au cow-boy en jean bleu et au chapeau qui m’avait proposé des prestations aux abords du périphérique parisien, je me dis que lui au moins me demandait mes services moyennant quelques billets. Et dire que je trouvais cette proposition indécente ! Au pire, franchement, il vaut mieux se faire abuser par un colosse comme lui que par une bande de vielles qui ne savent pas quoi faire de leur temps libre ! La bourse aux vielles, je suis bien servi ! Je suis l’arroseur arrosé. ».

Labyrinthe en avait assez de se faire humilier par ces dames qui ricanaient comme des ânes à chaque fois qu’elles lui faisaient subir un supplice. Il décida d’appeler Djibril pour lui demander de venir le récupérer à Lille.

Labyrinthe savait où Geneviève avait pour habitude de garder son bas de laine. Il le déroba ainsi que quelques-uns de ses bijoux. Il l’enferma dans la salle de bain, pris tranquillement sa besace et son magot puis alla à Lille par auto-stop.

Il rejoignit Djibril qui s’était garé non loin de la gare de Lille Flandres. La voiture démarra en direction de Paris.

A suivre !

Adama Garanké DIALLO

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