Lutte contre la corruption : un vrai challenge pour le cnrd (safayiou diallo)

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La corruption a été reconnue officiellement en 1996 suite à son entrée dans l’agenda des Institutions Financières Internationales (FMI et Banque mondiale), comme un phénomène comparable à un cancer qui gangrène les circuits financiers du développement. En 2002, des chercheurs de l’Institut de la Banque Mondiale pour la bonne gouvernance ont évalué la corruption de 300 milliards de dollars : une somme considérable, représentant un manque à gagner énorme pour la mise en œuvre des projets de développement.

D’un point de vue économique, la corruption se définie comme étant un « abus de positions publiques à des fins d’enrichissement personnel ». En d’autres termes, est corrompu, toute personne qui profite de sa fonction pour s’enrichir au-delà de sa rémunération légitime. En partant de cette définition, les économistes analysent de nos jours la corruption sous l’angle de marché où se rencontrent une offre de corruption, une demande de corruption et un prix de la corruption qui est le pot-de-vin ou dessous de table.

Transparency International basée en Allemagne a procédé à la publication en 2019 de son Indice de Perception de la Corruption (IPC). Cet indice fait suite à une enquête qui mesure comme son nom l’indique, la perception du phénomène de la corruption dans le secteur public sur la base d’appréciations des chefs d’entreprise, des analystes pays et des hommes d’affaires etc.

A l’issue de ce résultat, la Guinée est classée 130ème/180 pays dans le monde entier. A notre humble avis, ce classement est très préoccupant même si la corruption semble socialement banalisée dans notre pays par méconnaissance de ses conséquences pour l’économie et la société. Statistiquement, le montant « officiel » de la corruption en Guinée a plus d’un (1) milliard de dollar par an (ce montant semble sous-estimé) depuis 1984, constitué essentiellement de détournements dans les caisses de l’Etat et des fonds y afférents. A la lecture de ce chiffre qui donne des tournis, une question importante se pose : comment un pays comme la Guinée, doté d’immenses ressources naturelles, humaines et de conditions climatiques favorables à l’agriculture, peut-il se retrouver après 63 d’indépendance « effective », au rang des pays les moins avancés de la planète ?

La réponse à cette question démontre en partie la responsabilité de la corruption dans le retard de notre pays malgré qu’elle ne soit pas la seule responsable de ce sort. Au vu du caractère sensible du sujet mais aussi des objectifs que sont se fixés le CNRD dans le cadre de cette transition politique, il nous semble évident de le mettre sur la table de discussion tout en montrant la nécessité de lutter efficacement contre ce fléau néfaste au développement économique de notre chère patrie : la Guinée.

L’objectif de cette analyse est de contribuer non seulement à ce débat d’idées, mais aussi et surtout de mettre à la disposition des nouvelles autorités du pays certaines informations que nous estimons pertinentes afin d’éclairer leur lanterne sans pour autant apporter des solutions miracles qui n’existeraient que dans l’absolu.

De la mise en place des Institutions en charge de la lutte contre la corruption :

Dans le cadre de la lutte contre la corruption, les autorités guinéennes ont mis en place un Comité National de Lutte contre la Corruption (CNLC) le 4 février 2000 à travers le Décret D/2000/017/PRG/SGG). Ce comité était composé des représentants de l’Etat, de divers partis politiques, de la société civile et du secteur privé. Selon le gouvernement, ce Comité a documenté plusieurs cas de corruption et les a transmis au système judiciaire pour qu’il y soit donné suite. Jusque-là il n’y a pas eu de suite.

Cependant, le seul cas qui a fait l’objet de verdict en Guinée, est celui de la Banque Mondiale. Cette affaire est le résultat des poursuites effectuées par son Département de l’Intégrité Institutionnelle. Pour la petite histoire, ce Département a été saisi en mars 2003 pour le détournement de fonds destinés au Projet de Renforcement des Capacités Institutionnelles (PRCI) financé en Guinée par ses soins à hauteur de 19 millions de dollars.

Dès lors, l’Institution a suspendu le financement du projet en question qui venait à peine d’être entamé. Par ailleurs, le Président guinéen d’alors qui n’a jamais affiché publiquement une ferme volonté politique vis-à-vis de la lutte contre la corruption a procédé en juin 2004 et cela sans raison valable à la dissolution du CNLC (jusqu’à une période récente, c’est le statu quo car, malgré l’adoption d’une loi relative à la lutte contre la corruption en juillet 2017, le Directeur exécutif de l’Agence Nationale de Lutte contre la Corruption, décédé en 2014, n’est toujours pas remplacé).

Toutefois, 4 mois après cette suspension et sous le poids des nouvelles pressions de la communauté des bailleurs des fonds, une Agence Nationale de la Lutte contre la Corruption (ANLC) a été créé le 20 octobre 2004. A la différence du CNLC, l’ANLC est rattachée au Ministère du Contrôle Economique et Financier et non à la présidence comme ce fut le cas pour le CNLC. D’un point de vue gouvernance, la composition des deux Institutions est presque identique. L’ANLC a comme l’ex-comité, les mêmes prérogatives et comprend 20 membres issus de l’Assemblée Nationale, de la Cour Suprême, du Conseil National de la Communication, du Ministère de la Justice, du Conseil Economique et Social, de la jeunesse, du Ministère de l’Economie et des Finances.

Cependant, jusqu’à une date récente, aucun des nombreux détournements de deniers publics n’a été entrepris pour éloigner les auteurs présumés de la gestion publique. En revanche, on a souvent assisté à une certaine récompense des coupables par une mécanique de promotion administrative perçue par les citoyens comme une prime à la corruption.

Quelques mesures complémentaires prises par les autorités pour mettre fin à la corruption : 

Pour mettre fin à ce fléau qui dégrade la qualité de l’image de l’Etat chargé de la mise en œuvre des mécanismes de gouvernance, plusieurs initiatives ont été prises par les Institutions Financières Internationales et les partenaires au développement notamment la sensibilisation et les pressions sur les autorités comme indiqué ci-haut. Pour ce faire, La Banque Mondiale a mis en place via son département de Déontologie Institutionnel, un numéro d’urgence afin de dénoncer toute fraude dans la gestion des projets de développement qu’elle finance.

En Guinée, le programme de lutte contre la corruption s’est matérialisé non seulement par les 2 Institutions que nous avons citées ci-haut, face aux pressions exercées sur le gouvernement, sous peine de coupures partielles ou totales de l’Aide Public au Développement (APD). Dans le même sillage, le gouvernement guinéen a pris un certain nombre de mesures dont les principales sont :

Une large diffusion des informations concernant les allocations et/ou mises à disposition des ressources publiques;

L’organisation régulière des points de presse par le Ministère de l’Economie et des Finances (MEF) afin de présenter au public la situation économique et financière du pays;

La création des revues mensuelles/trimestrielles intitulées « chiffres et reformes contre la pauvreté en Guinée ». Ces magasines sont supposés présenter l’état général des finances publics (Tableau de Bord Mensuel de l’Economie Guinéenne et la Note de Conjoncture de l’Economie Guinéenne) ainsi que des informations sur l’impact des réformes sur les différents secteurs de développement.

Si la création des revues mensuelles/trimestrielles (Tableau de Bord Mensuel de l’Economie Guinéenne et la Note de Conjoncture de l’Economie Guinéenne) a été effective, la large diffusion des informations concernant les allocations des ressources, l’organisation régulière des points de presse par le Ministère de l’Economie et des Finances (MEF) afin de présenter au public la situation économique et financière du pays  ainsi que des informations sur l’impact des réformes sur les différents secteurs de développement font toujours défaut.

En conclusion, la corruption génère non seulement les inégalités sociales mais aussi et surtout une mauvaise allocation des ressources. De plus, elle détériore le climat des affaires et aggrave la pauvreté. Bref, elle remet en cause les conditions du marché et le principe de la libre concurrence.

Lutter efficacement contre la corruption en Guinée dans le cadre de cette transition politique sera à notre humble avis très difficile surtout que les principaux services publics sont touchés par ce type de pratiques. Aussi, les citoyens et le secteur privé ont souvent vendu leur soutien aux différents partis qui se sont succédés au pouvoir en échange d’obtention des possibilités de rentes ou de concessions.

De plus, l’Etat guinéen a souvent octroyé de façon injustifiée des licences et des exonérations abusives à plusieurs niveaux occasionnant ainsi un manque à gagner énorme au niveau des recettes publiques et de surcroit des difficultés d’exécution des dépenses allant dans le sens du développement économique. A cela s’ajoutent le manque de transparence dans les procédures d’appel d’offres et de passation de certains marchés publics.

Dans la même lancée, les nominations à des postes de responsabilité ont été longtemps fondées sur une distribution de postes de récompenses à des agents qui n’ont pas la compétence requise. Tous ces facteurs ne sont pas propices pour la bonne marche de l’économie.

Si aujourd’hui, les villas et les terrains des quartiers nantis de la capitale Conakry sont inaccessibles à la majeure partie de la population guinéenne, c’est en partie le fait de la corruption qui, affaibli chaque jour, un peu plus, la solvabilité des fonctionnaires et autres travailleurs intègres. Ces villas et terrains sont en effet vendus à des prix artificiellement élevés et comparables à ceux pratiqués dans les grandes capitales occidentales telles que Paris et Washington DC (Badara Dioubate, 2009).

Pour mettre ainsi fin à cette situation, les nouvelles autorités du pays doivent s’atteler à créer des conditions de transparence, de disponibilité et de fiabilité de l’information car, le grand laxisme juridico-judiciaire que nous avons connu de par le passé, la désinformation, l’insécurité, les détournements des recettes ainsi que les dépenses publiques de leur objectif, sont des terreaux propices aux délinquants de tout genre et offre ainsi des possibilités beaucoup plus larges aux bandits à col blanc.

Ce sujet reste entier et mérite d’être murie de par tous les guinéens afin d’extraire les paisibles populations à l’extrême pauvreté qui n’a que trop durée.

Safayiou DIALLO, analyste économique

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