E n Guinée, les offres de service des sociétés de téléphonie ne conviennent pas aux consommateurs. Ces derniers pensent être souvent abusés dans la facturation. L’Etat, à travers l’Autorité de régulation des postes et télécommunications (ARPT), traite très peu, ou pas du tout les plaintes.
Ce laisser-aller profite aux sociétés téléphoniques, avec en tête Orange-Guinée, le plus grand en terme d’abonnés. Faute d’organisation crédible pour défendre les consommateurs, ceux-ci se résignent à ravaler leurs frustrations. Comment Orange s’est imposée en maitre sur le marché de la téléphonie au point d’imposer son rythme ?
Areeba-Guinée, devenu MTN en 2006, a cassé le monopole de la SOTELGUI qui était déjà en décrépitude. Les abus de la SOTELGUI ont favorisé l’implantation rapide d’Areeba-MTN qui a’’ démocratisé’’ la téléphonie. A son installation, en 2006, le taux de pénétration du marché de la téléphonie mobile était de 5,6%. La société s’est délectée de son âge d’or pendant plus d’un an jusqu’à ce qu’Orange Guinée, entre dans l’arène en 2007.
En 2016, Orange a mis fin à l’âge d’or de MTN avec une part de marché de 57,6 % (plus de 6 millions d’abonnés), selon l’ARPT. Déjà en mars 2014, Orange était officiellement le leader de la téléphonie. Et en septembre 2018, Orange Guinée détenait 67 % des parts du marché guinéen, contre 18 % pour Cellcom et 15 % pour MTN (ARPT). S’il n’y a pas de baromètre indépendant et fiable pour mesurer la percée d’Orange Guinée, il y a tout de même deux explications qui reviennent souvent :
-D’abord, un changement brusque de politique commerciale : les abonnés, parmi ceux qui ont migré, expliquent que MTN a augmenté sa facturation, puis réduit considérablement certains avantages, notamment MTN Cool, un service sms presque gratuit dont nombre de jeunes utilisaient pour communiquer. Le même service permettait avec presque 100 francs guinéens de communiquer à partir de minuit. Et bien d’autres services entre 2012 et 2013. Dès 2014, cette politique commerciale jugée trop clémente par la nouvelle équipe de MTN a changé. Nombre d’abonnés ont alors migré vers orange. Sans attendre. Frustrés.
-Ensuite, une négligence de chefs-lieux de préfectures et sous-préfectures : MTN a couvert tout le territoire guinéen, du moins en y implantant des antennes relais aux alentours de 2010. Sans lancer le réseau, préfère se concentrer sur les centres urbains. Orange, lui, a installé les pylônes et a lancé en même temps le réseau. Dans les préfectures et sous-préfectures, le nombre d’abonnés Orange a explosé. MTN a lancé tardivement son réseau, mais ne pouvait grappiller que des miettes. Ainsi, Orange a pris une sérieuse option sur son concurrent direct.
Alors comme toute entreprise allait faire, Orange a tiré profit des faux pas de son rival. Ça marché. Pourtant, les clients d’Orange ne sont pas heureux.
Pourquoi c’est cher ?
Nous sommes dans un marché libéral, concurrentiel dont tous les coups sont permis. Dans le domaine minier, on enseigne qu’il y a les règles écrites et les règles non-écrites. S’il n’y a aucune certitude, aucune étude là-dessus, les observateurs estiment qu’Orange ‘’abuse’’, du fait qu’en face la concurrence est quasi-nulle. Alors elle profite. En affaires, il n’y a pas de sentiments. D’autres expliquent par le fait que Orange doit rentabiliser sa Licence 4G acheté à prix d’or : 90 millions de dollars. « Trop cher », estime un observateur, à comparer avec un prix nettement moins cher pour la même Licence au Sénégal (49 millions d’euros). Alors que la Guinée et le Sénégal comptent à peu près la même population, et l’économie sénégalaise se porte mieux que celle guinéenne. Toujours dans la comparaison, la Côte d’Ivoire a vendu sa Licence 4G à 160 millions d’euros en 2015, ce qui pourrait sans doute s’expliquer par la démographie de ce pays limitrophe à la Guinée.
Notre interlocuteur a estimé que la facturation ‘’exagérée’’ de Orange découle de ce fait. « Vous pensez que Orange est une entreprise philanthropique ? Non. Orange est là pour faire des profits. Ces 90 millions de dollars, c’est le consommateur guinéen qui va le payer ». Sauf que cela n’explique pas tout, parce qu’Orange génère des milliards de francs guinéens par jours.
Un service hors de portée
Si la qualité du service est acceptable, le coût est hors de prix pour la majorité des abonnés dans un pays où le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) fait 440 000 (moins de 50 euros). Et même ceux qui sont capables de mettre la main à la poche ne digèrent pas certaines facturations, notamment la connexion mobile et les appels. Les innombrables plaintes sont sans suites. Officiellement, les appels Orange vers Orange sont de 8 francs la seconde et 11 francs vers les autres opérateurs TTC. Sauf que des abonnés se plaignent régulièrement d’avoir été facturés beaucoup plus.
Pour les forfaits internet, Orange a 4 offres pass jour, deux pour le pass semaine et trois pour le pass mois, tous facturés au Mo ou au Go. Contrairement à Orange Sénégal ou Côte d’Ivoire où il y a des offres de pass internet en temps et non en volume. Si nous prenons le pass max de 15 Go en Guinée valable un mois à 185 000 francs guinéens, en Côte d’Ivoire 20 Go coûte 20 000 CFA. C’est relativement le même coût. Au Sénégal, le pass de 25 Go coûte 15 000 CFA, c’est nettement moins cher qu’en Guinée. Pendant ce temps, MTN Guinée a une offre de pass nettement plus abordable, mais les consommateurs ne se ruent pas sur les brancards. La qualité de la connexion pas satisfaisante.
Consommateurs impuissants
Les appels au boycott du réseau se sont multipliés ces derniers temps, sans succès. D’ailleurs, il n’existe aucun moyen de savoir si le boycott avait été suivi ou pas. Les Association guinéenne des consommateurs peine à rassembler.
Lansana Diawara, président du Réseau Citoyenneté des producteurs et consommateurs de Guinée (RECIPROC)-Guinée, a reconnu qu’il y a un bras de fer entre les sociétés de téléphonie, Orange particulièrement et les citoyens.
« Nous continuons d’enregistrer des plaintes, nous sommes en phase de se constituer partie civile, les dossiers seront transmis à notre pool d’avocat qui va saisir les tribunaux. Nous avons 47 personnes, avec preuves à l’appui, qui ont été victimes de cette société. Nous allons nous constituer partie civile pour saisir la justice » explique-t-il.
Le hic, en Guinée, il n’existe pas de loi qui permet aux associations des consommateurs de saisir la justice directement au nom des victimes. Ce vide juridique handicape la protection des citoyens contre les abus.
« Nous comptons faire une proposition de loi à la nouvelle législature pour l’amener à voter une loi de protection des consommateurs. Nous allons nous constituer partie civile avec les victimes, mais RECIPROC-Guinée ne peut pas se substituer aux victimes dès lors qu’il y a un vide juridique ». M. Diawara dit avoir saisi l’ARPT par le passé, le régulateur des sociétés téléphonique « s’est montré incapable à protéger les citoyens, nous avons l’impression qu’il y a comme une complicité au niveau de cette direction » ajoute Lansana Diawara.
Jusqu’à présent, aucune des associations des consommateurs n’a pu faire aboutir une plainte, l’on peut bien se demander quelle est la raison d’être de ces associations.
Début juin, les accusations de vol, d’arnaque et les appels au boycott étaient tels qu’Orange a été obligée de réagir sur sa page Facebook : « Orange Guinée est au regret de constater des publications…sur les réseaux sociaux, laissant entendre à une arnaque sur la facturation. Orange Guinée tient à démentir avec la plus grande énergie ces accusations et accorde une importance toute particulière à la satisfaction de ses clients qui sera toujours une priorité absolue… Dans son souci de transparence, Orange Guinée mettra toujours à la disposition de tout client qui le réclame, le détail de consommation de tout pass internet consommé ».
Orange a insisté qu’elle a toujours mis en avant les valeurs d’éthique, de transparence et de responsabilité, de respect de ses obligations en conformité avec les exigences de son cahier des charges.
Pourtant en 2017, l’Union des consommateurs de Guinée a fait plier Orange, à croire aux explications d’Ousmane Keita, président de l’ACG.
« Il y a eu une première vague de plaintes en 2018, suite à la réforme des pass internet, on a assigné Orange en justice, l’ARPT est intervenu, et nous avons pu dédommager 209 000 consommateurs », explique-t-il.
Selon lui, Orange s’était engagée à leur envoyer des unités et que l’ACG a mis en place une plateforme informelle pour traiter les requêtes des citoyens, pour pouvoir saisir l’opérateur, avec les preuves et demander des comptes.
« Les gens ont réagi, mais pas comme on pensait », regrette M. Keita, avant de révéler que le mois dernier, (juin, ndlr), il y a eu d’autres plaintes contre Orange.
« L’UCG a encore saisi Orange qui a accepté de faire des modifications sur le volume de consommation data » rapporte Ousmane Keita qui estime que pour mettre fin à ce problème, il faut que la concurrence y est, une vraie concurrence.
« Nous avons demandé audience avec le ministre des télécoms qui a accepté, avec l’ancien c’était compliqué. Nous lui rencontrons bientôt pour parler de la fibre optique, de Guineetelecom, (ex Sotelgui) en projet. On estime que si la concurrence jouait le rôle qu’il fallait, il n’y aurait lieu de parler de la hausse de la facturation. Guineetelecom ne demande qu’à être réveillé. Il faut que le nouveau ministre réveille Guineetelecom pour que la concurrence soit équilibrée » a indiqué le président de l’Union des consommateurs de Guinée.
M.Keita reconnaît tout de même qu’il n’y a pas de loi qui protège les consommateurs comme c’est le cas en Côte d’Ivoire et le Sénégal, mais son union se bat pour l’obtenir dans les meilleurs délais.
Pendant ce temps, Orange a profité de la Covid-19 pour soigner son image auprès des consommateurs et s’attirer la sympathie du gouvernement, en s’impliquant dans la lutte contre la pandémie par la distribution de kits sanitaire. Orange a même offert 3,5 milliards de francs guinéens au gouvernement dans le cadre de la lutte contre la Covid-19.
L’Etat guinéen, censé protéger ses citoyens contre les abus n’a pas réagi. Pour le moment. Réagira-t-il ?
Hafia Diallo