La charte de la transition entre avancées et limites (par ibrahima sory touré)

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La prise effective du pouvoir dans la matinée du 05 septembre 2021 a plongé la République de Guinée dans une transition démocratique. Selon les premières déclarations du Comité National de Rassemblement pour le Développement (CNRD), la Constitution a été « dissoute », les institutions également dissoutes et/ou suspendues. Par conséquent, cet accaparement du pouvoir, quoique accompagné d’une certaine légitimité populaire et acceptabilité sociale, administrative et politique, crée un vide juridique et institutionnel.

Pour combler cet état, l’une des avenues juridiques a été de doter l’État d’une « Constitution de crises », qui peut prendre des dénominations variées : Acte fondamental comme au Niger en 1990, au Mali en 1991 et 2020, Ordonnance portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de transition en 2010 au Niger, Constitution de la transition comme en RDC en 2003, Accord politique en Guinée en 2009, Constitution intérimaire, Loi transitoire d’administration de l’État comme en Irak, la Charte de la Transition comme au Burkina en 2014, au Mali en 2020 et au Tchad en 2021.

S’inspirant des autres formes de transition à l’échelle du continent africain et tirant les leçons des deux (2) précédentes transitions (1984, 2008), le CNRD a adopté une Charte de la transition pour baliser la transition.

L’analyse de cette Charte pour les uns, révèle pour les uns, un sentiment de satisfaction par ses avancées et innovations, et pour les autres, une série de questionnements qui constituent des manquements et/ou limites.

Les guinéens dans leur grande majorité ont agréablement « accueilli » la Charte de la transition. Enfin, pour la première fois, en République de Guinée, une Charte de la transition est adoptée !

L’une des innovations de la Charte est inhérente au processus qui a conduit à son élaboration. Elle fut élaborée après l’organisation des consultations nationales. Cette démarche participative et inclusive constitue un gage de réussite de la transition amorcée. Elle reflète la vision du CNRD.

Sur le fonds, à examiner méticuleusement, on constate suffisamment des garanties pour une transition réussie, les plus essentielles sont :

  1. Au Préambule, comme en période normale, le CNRD réaffirme leur attachement aux différents instruments internationaux sur les droits humains, la démocratie et les élections adoptés au sein des Nations Unies, l’Union Africaine et la CEDEAO ;
  2. Également, dès les premières dispositions, des valeurs et principes nobles sont proclamés pour guider la transition. Les organes et personnalités doivent observer valeurs et principes. De même, en tenant compte du passé, des réalités du moment et pour un lendemain prometteur dans une transition consolidante, une mission est définie ;
  3. L’affirmation des libertés, devoirs et droits fondamentaux ;
  4. La prestation de serment du Président de la transition art. 47 ;
  5. L’engagement des autorités à ne pas se présenter aux élections politiques : Le Président de la Transition et membres du CNRD (art.46), le Premier ministre (PM), les membres du Gouvernement (art.55 al.2), les membres du Conseil National de transition CNT (art. 65 al.3) ne peuvent faire acte de candidature, ni aux élections locales, ni aux élections nationales (législatives et présidentielles) à venir. Ces dispositions ne peuvent faire l’objet d’aucune révision ;
  6. L’affirmation de certains critères pour appartenir aux organes de transition (conviction, compétences avérées et probité) pour être PM (art. 49) qui d’ailleurs est en rapport avec l’art. 51 al.2, des compétences reconnues et une grande probité (art. 64) pour la Présidence et la Vice-présidence du CNT ;
  7. L’association du PM dans la composition du Gouvernement art. 53 ;
  8. La représentativité de l’essentiel des forces vives de la Nation  (art. 60) au CNT : Cette composition est un effort de synthèse, d’efficacité et d’efficience ;
  9. La prise en compte de la représentativité des femmes (30% au moins), art. 60 al.2 ;
  10. La fixation de la durée par consensus.

En dépit des avancées notables, plusieurs limites ou manquements sont à relever comme à l’analyse de toute œuvre humaine.

Celles-ci (limites) s’expliqueraient par le contexte et l’urgence de doter le pays d’une norme qui encadre la transition.

Nous pouvons relever deux (2) catégories de limites :

  1. La première est d’ordre méthodologique.
  2. La seconde est d’ordre légistique.

En ce qui concerne la première, on peut affirmer qu’il y a eu manquement à l’objectif de transparence et d’inclusion effective dans la rédaction de la Charte.

Dès le deuxième « considérant » du Préambule, il est affirmé la prise en compte des conclusions des concertations nationales. Or, les conclusions n’ont point été rendues publiques, aucunement !!! Le CNRD, volontairement ou involontairement a posé des entraves à l’inclusion, l’une des valeurs fondamentales de la transition. Pourtant, par leur volonté politique affirmée de rompre avec le passé, le CNRD a librement inscrit ses actions dans une démarche participative et inclusive. C’est dans ce contexte, qu’elles ont lancé les consultations nationales du 14 au 23 septembre 2021. En principe, à défaut d’être validées par l’ensemble des parties prenantes à la consultation, les conclusions desdites consultations auraient été sanctionnées par un rapport publié à travers les canaux officiels de communication du CNRD. C’est ce rapport publié officiellement qui aurait constitué les bases de rédaction d’une Charte de la transition par un Comité « restreint » dont la composition et les membres sont connus.

Quant à la seconde, qui est d’ordre légistique, concerne la rédaction « défectueuse » de certaines dispositions mais aussi l’omission de certains droits – libertés et principes. Le légiste s’intéresse quant au contenu, à la forme et à la structure de la norme. La légistique est une science appliquée comme le souligne le Professeur Jacques Chevallier. Un texte de loi « constitutionnel » doit avoir une structure logique ; être clair, concis et lisible : principe de clarté, principe d’intelligibilité et d’accessibilité (des objectifs à valeurs constitutionnelle OVC). C’est un précepte de légistique formelle. Ils concourent à la sécurité juridique (principe constitutionnel).

Article 2 : Missions

Le Chapitre II porte sur les missions. Ce titre pose problème mais aussi la formulation de l’article 2. En principe, il n’y a qu’une seule mission et des objectifs pour atteindre ses missions. Les rédacteurs confondent la mission qui est une, qui est l’essentiel de la raison d’être et les objectifs qui contribuent à l’atteinte de celle-ci (mission). L’énoncé de mission de toute organisation, structure ou programme est une phrase courte, simple et formulé en verbe d’action à l’infinitif. Il en est de même pour les énoncés d’objectifs. Malheureusement, ce qui n’est pas le cas dans la Charte.  Ce qui affirmé dans la charte sont des objectifs mal formulés et ambigus. Deux (2) éléments sont fondamentaux pour l’élaboration d’un énoncé de mission de transition démocratique : la transitologie (qui est le passage à la démocratie) et la consodologie (pour la consolidation de la démocratie et des institutions). Exemple de mission et d’objectifs parmi tant d’autres :

La transition a pour mission de refonder ou réinventer l’État et la démocratie pour garantir et consolider la bonne gouvernance (politique, économique et sociale) nécessaire au développement durable, harmonieux et inclusif, ce en coopération avec les partenaires techniques et financiers (PTF). A cet titre, il s’agit de :

  1. Sauvegarder l’intégrité du territoire et la sécurité des personnes et de leurs biens ;
  2. Renouer les liens de coopération avec les PTF ;
  3. Bâtir les institutions fortes, crédibles et légitimes ;
  4. Engager des réformes majeures sur le plan économique, politique, électoral et administratif ;
  5. Renforcer la cohésion nationale et poursuivre le processus de réconciliation nationale ;
  6. Renforcer l’indépendance de la justice et la lutte contre l’impunité ;
  7. Promouvoir et protéger les droits humains et les libertés publiques ;
  8. Instaurer une culture de la bonne gouvernance et de la citoyenneté responsable ;
  9. Elaborer une nouvelle Constitution et la faire adopter par référendum ;
  10. Organiser les élections libres et transparentes.

Au nom du principe d’intelligibilité (lisibilité) de la loi « constitutionnelle », au Chapitre 3, l’article 7 devrait être l’alinéa 2 de l’article 3.

L’article 3 dispose que la Guinée est une République unitaire et indivisible, souveraine, laïque, sociale démocratique.

Et l’article 7 dispose : Tout acte portant atteinte à la forme républicaine de l’État, à la laïcité de l’État, à la souveraineté, à l’indépendance et à l’unité est un crime de haute trahison et puni comme tel par la loi.

Un texte constitutionnel doit avoir une structure logique. Il y a un lien logique entre l’article 3 et l’article 7. L’article 7 est la suite logique de l’article 3. Par conséquent, ils devraient être fusionnés ; donc l’article 7 doit disparaitre. Tel n’a pas été le cas !!!

Aussi, le titre du Chapitre 3 porte sur l’État et la souveraineté, mais force est de constater qu’il n’y a aucune disposition portant sur la souveraineté au niveau dudit chapitre. Avant même d’affirmer à l’article 6 que les partis concourent à l’expression du suffrage, il était pertinent d’affirmer d’abord que le suffrage est universel, direct et secret. Par conséquent, ce titre est ambigu et « trompeur ». Ceci heurte le principe d’intelligibilité et de clarté de la loi.

En ce qui concerne le Chapitre IV portant sur les libertés, devoirs et droits fondamentaux, les rédacteurs confondent citoyen et individu dans plusieurs articles. Il s’agit :

Article 8 : Les libertés et droits fondamentaux sont reconnus et leur exercice est garanti aux citoyens dans les conditions et les formes prévues par la loi.

Les libertés et droits fondamentaux sont reconnus et leur exercice est garantit à toute personne, à tout individu. Dans ce grand ensemble des droits et libertés, seulement quelques uns appartiennent aux citoyennes et citoyens, ce sont les droits de citoyenneté, qui sont essentiellement des droits politiques (droit au suffrage : vote et éligibilité, droit d’accès à la fonction publique, droit à une nationalité). Toutes les personnes, tous les individus ne sont pas citoyens mais tous les citoyens sont des individus.

Article 10 al. 2 : Tout citoyen a droit au libre développement de sa personne, dans le respect du droit d’autrui, des bonnes mœurs et de l’ordre public.

Ici, nous n’avons pas à faire à un droit de citoyenneté. Bien au contraire, toute personne, tout individu qui partage l’essence humaine jouit de ce droit.

Il en est de même des articles 16 sur le droit de fixer librement son domicile ; 18 sur la libre circulation ; 21 sur le droit au travail à une juste rémunération : ces droits appartiennent à toute personne, à tout individu et non au citoyen seulement ; 31 sur le respect des lois et règlements. C’est tout le monde, toute personne, tout individu se trouvant sur la juridiction guinéenne qui doit respecter les lois et règlements.

Enfin, il faudrait aussi souligner l’omission de la reconnaissance de certains droits dont : le droit à un environnement (qui d’ailleurs est très important dans le contexte guinéen), le principe de neutralité et d’impartialité de service public, l’exercice des fonctions selon l’intérêt général.

 Article 37 : Le CNRD est l’organe central de définition et d’orientation stratégique de la politique économique, sociale, culturelle et de développement du pays. Il est exclusivement composé des forces de défense et de sécurité.

Nous constatons que le CNRD est d’une part, une institution quasiment fermée. Cette disposition accorde des pouvoirs étendus et « illimités » au CNRD. Or, vu l’importance des pouvoirs qui lui sont accordés, il était pertinent d’ouvrir le CNRD aux expertises civiles. D’autre part, nous remarquons que son organisation est méconnue des citoyennes et citoyens. Son organisation aurait pu nous donner des éléments de réponse sur la vacance de pouvoir. Alors, ce mutisme constitue une insécurité juridique et porte atteinte à l’intelligibilité de la loi, viole le droit d’information des citoyennes et citoyens sur l’organisation des institutions.

Aussi, la lecture combinée des articles 37 et 54 et révèle une certaine incohérence.

Article 37 : Le CNRD est l’organe central de la définition et d’orientation stratégique de la politique économique, sociale, culturelle et de développement du pays.

Article 54 : Le Gouvernement de la Transition conduit et exécute la politique de la nation définie par le Président de la Transition.

Dans l’article 37, c’est le CNRD qui définit la politique de la nation (économique, sociale, culturelle et de développement du pays). Or, il est aussi affirmé à l’article 54 que c’est le Président de la transition qui définit la politique de la nation. Après lecture et analyse de ces deux (2) dispositions, nous remarquons donc une incohérence manifeste. Par ailleurs, on peut même affirmer que ceci crée un certain dédoublement institutionnel et/ou fonctionnel dans la gestion de la transition et dans l’élaboration – révision des politiques publiques. Ce qui porte atteinte au principe de clarté et d’intelligibilité de la loi. Encore, il faudrait réaffirmer qu’un texte de loi « constitutionnel » doit avoir une structure logique. Ceci doit être corrigé !!!

Article 47 : Il y a une omission importante au niveau de l’énoncé du serment : respecter et faire respect les décisions de justice. Ayant fait de la justice la boussole d’orientation, il est saugrenu que les rédacteurs aient ignoré ou biffé le respect des décisions de justice dans la formulation du serment du Président de la transition. Ceci figurait dans l’énoncé de serment dans la Constitution de 2010 mais aussi celle de 2020. Lors de la prestation de serment, le Président de la Cour suprême avait même affirmé que l’un des problèmes de la société guinéenne demeure l’inexécution des décisions de justice.

De même, on constate une omission du principe d’indépendance de la justice (pouvoir judiciaire : les cours et tribunaux). Ceci n’est pas manifestement réaffirmé dans la Charte. Vu la déclaration du Président du CNRD, Président de la transition de faire de la justice la boussole qui orientera toutes nos actions, vu l’actualité et le comportement peu honorable de certains magistrats, il était judicieux d’affirmer expressis verbis l’indépendance du pouvoir judiciaire. Cette absence d’affirmation crée à cet égard une insécurité juridique.

Article 57 : Le CNT a pour mission :

  • D’élaborer et soumettre pour adoption, par référendum le projet de Constitution;
  • … ;

Il y a une certaine confusion de rôle ou de mission. Le rôle ou la mission d’un organe législatif en temps normal (Assemblée nationale AN) ou en période d’exception (CNT) est de légiférer (élaborer une Constitution…) à partir d’un projet ou d’une proposition, puis le/la soumettre et l’adopter en plénière. Mais, l’AN ou le CNT dans le cadre de la transition, n’a pas pour vocation ou mission de soumettre le projet de Constitution au référendum. En période de crises tout comme en période régulière, c’est l’exécutif, dans le cas d’espèce, le Président de la transition / Président de la République / Chef d’État qui soumet le projet de Constitution à la sanction populaire qu’est le référendum. Souvent, la soumission du projet à la sanction populaire est précédée d’un discours officiel appelant le véritable organe politique qu’est le Peuple à se prononcer par un Oui. En conséquence, la formulation de cette disposition porte atteinte au principe de clarté de la loi. Elle crée une ambigüité et/ou incertitude juridique.

Enfin, il manque une mission essentielle d’un organe législatif (AN, CNT) : le contrôle de l’action gouvernementale.

Article 60 al.3 : Les membres du gouvernement et ceux des institutions dissoutes à la date du 5 septembre 2021 ne peuvent être désignés au CNT.

Cet article heurte sensiblement certaines valeurs fixées dans ladite Charte : l’inclusion, la tolérance et le pardon. Par ailleurs, il y a une incohérence « antinomique » dans l’esprit de cette disposition. Qu’en est – il pour intégrer le Gouvernement de transition ? Aucune mention à cet effet, donc deux (2) poids, deux (2) mesures. Encore, il faudrait réaffirmer qu’un texte de loi « constitutionnel » doit avoir une structure logique.

Article 77 : La durée de la transition sera fixée de commun accord entre les forces Vives de la Nation et le CNRD.

Enfin, nous constatons, par principe de précaution, le CNRD n’a pas fixé la durée de la transition. Pourtant, on pouvait s’accorder sur une durée. Le contenu (mission) est connu, alors la fixation de la durée n’était pas l’exercice le plus difficile. Les deux (2) semaines de consultations auraient pu se dérouler en de véritables concertations avec une grande thématique simple : Quelle transition démocratique pour la Guinée et des sous-thèmes comme Ordre de jour bien précis (acteurs, mission, objectifs stratégiques, organes / institutions, durée). Ceci éviterait de se pencher sur des sujets qui n’ont rien à avoir avec la transition, mais aussi permettrait d’aboutir aux conclusions synthétisées et consensuelles selon les différents points traités. Ces conclusions seraient validées par l’ensemble des parties prenantes. Compte tenu de l’immensité de la mission, cette façon de procéder aurait enfin permis aux nouvelles autorités d’économiser « l’énergie » dont elles ont tant besoin. C’est ce consensus sur la mission, les objectifs stratégiques, les organes / institutions et la durée qui aurait pu servir d’éléments pour la Charte, d’autant plus que le Président du CNRD, Président de la République s’engage à respecter la Charte. Mais, cette fois ci une Charte dans laquelle la durée n’est pas expressément fixée.

Cette situation constitue à certains égards une insécurité juridique. Alors, la méthodologie pour faire participer les citoyennes et citoyens devraient être adaptées. Plusieurs niveaux de participation existent pour agir ensemble. Une concertation est différente de l’information, du sondage, de la consultation, prises de contact, de la sensibilisation, du partenariat. La concertation est l’un des niveaux les plus élevés de l’échelle de la participation. Elle se déroule dans un cadre bien défini. Elle a des principes, méthodes et outils différents des autres formes de participation. La concertation aboutit à une véritable construction collective. Les rencontres organisées par le CNRD sont plutôt des consultations que des concertations.

Ibrahima Sory Touré, MAP, AdmA, Jursite constitutionnaliste, Maitre en administration publique et Administrateur agréé de l’Ordre des administrateurs agréés du Québec. Expert en réingénierie de l’État, en stratégie et gestion des organisations et en lutte contre la corruption.

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