Interview du pr alpha condé à rfi et tv5 : « je n’accepterai pas que des médias internationaux viennent masquer l’histoire de la guinée où la france d’alors a sa part de responsabilité »

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« Aucune pression de ma part ne sera faite pour que la justice décante le jugement du 28 septembre. J’ai déjà donné les moyens ».

« L’histoire de la Guinée ne se limite pas au 28 septembre, il y a le camp Boiro et Kindia en 1985. La jeunesse doit savoir ce qui s’est passé ».

« Emmanuel Macron n’a que 39 ans, il ignore certains pans de l’histoire guinéenne que la jeunesse française et africaine doit savoir ».

« Évitez de dire que la Guinée ne progresse pas alors que la BAD vient de nous choisir avec le Ghana pour être des pépinières agricoles sur le modèle Sud-Américain ».

À l’occasion du 60ème anniversaire de la Guinée, le Pr Alpha Condé était face à RFI et TV5 ce dimanche matin. Il n’a pas fait la langue de bois sur l’histoire du pays notamment avec la consœur Françoise Joly de TV5 qui était en compagnie de Sophie Malibeaux, chef adjoint du service international de RFI et de Christophe Châtelot du journal Le Monde.

JEUNESSE À L’HEURE DES RÉPÈRES

C’est avec des images de Paul Pogba que l’interview a commencé. Ému, le président Alpha Condé s’est dit fier du champion du monde de football originaire de Macenta. La réussite qu’incarne le Guinéen évoluant avec l’équipe Française de football est de bon augure pour la jeunesse qui n’a pas vécu la joie que le syli national et le Hafia FC ont apportée à la Guinée et qui ont fait la gloire du sport national : « la jeunesse ne l’a pas connu et voir Pogba qui fait partie des éléments moteurs du succès français importe. On aurait voulu qu’il soit avec le syli », a confié le Pr Condé.

Pour le président Condé, la célébration du 60ème anniversaire de l’indépendance en cette année 2018, est une restitution historique du vécu de la Guinée sur les non-dits à l’endroit des nouvelles générations.

MACRON À L’ECOLE DE L’HISTOIRE GUINEENNE

D’emblée le Pr Alpha Condé a indiqué que : « nos liens avec la France n’ont pas été un long fleuve tranquille ». Si la Guinée va de l’avant, force est de reconnaître que la période postcoloniale n’a pas été évidente. Le Chef de l’État a laissé entendre que la France d’alors a empêché l’essor de la Guinée indépendante. Et de rappeler la longue histoire du pays dont des pages sombres tels que le camp Boiro ou Kindia en 1985 qu’il dit assumer. Il poursuit que : « Macron n’a que 39 ans, il ne connaît pas certains pans de notre histoire » selon le PRAC qui refuse que l’anniversaire du pays soit masqué par des sombres pages.

Ce qui le conduit à dire que les confrères de RFI et TV5 ne sont pas dans les réalités du pays et qu’ils se doivent de mettre aussi en avant la responsabilité des autorités Françaises des années 60. Pour lui, cette célébration est une occasion pour que la jeunesse guinéenne soit informée de l’histoire globale de son pays depuis 1958 sans une instrumentalisation par des médias occidentaux qu’il a d’ailleurs déplorés.

LE 28 SEPTEMBRE, SUJET QUI FÂCHE

Cette question sera à l’origine des divergences entre le Président Guinéen et les journalistes. Pour lui : « on ne doit pas polariser la Guinée au drame du 28 septembre » où il dit avoir pris toutes les dispositions. Le Président Condé réfute que l’affaire prenne du retard et met d’ailleurs en garde les nations qui insistent sur la tenue rapide du procès. Pour celui qui préside la Guinée depuis 2010, il n’y a pas péril en la demeure car tout est sous contrôle.

Concrètement, Alpha Condé déclare avoir : « donné les moyens » à la justice pour qu’elle fasse le jugement. Il attend donc comme le peuple ; la fin des préliminaires du 3ème pouvoir. Et d’insister sur le fait qu’Il n’y aura aucune pression de l’exécutif qu’il incarne.

DÉFIS DE LA RECONCILIATION

Alors que la rentrée parlementaire est prévue pour le 5 octobre, le PRAC a levé le voile sur les travaux des députés à travers cette révélation : « on prépare une loi sur la réconciliation au parlement ». Une suite logique des travaux de la commission provisoire qui avait planché sur la question lors de son premier mandat. Refusant d’expliquer les contours de cette question sensible, Alpha Condé mettra en avant son lien avec le peuple auprès de qui, il discutera dans les détails des questions phares.

Face à l’insistance des confrères, il rappellera que 80% de sa population ne comprend pas français voire n’écoute pas les médias. Ses tournées permanentes dans le pays profond font qu’il est en phase avec le peuple de Guinée à ses dires. Le Pr Condé démentira tout appel du pied à son homologue français qui avait pris position concernant la mémoire collective au sujet de l’Algérie : « Il n’y a aucun crime du genre de la France contre la Guinée. Je ne demande rien à Macron dans ce sens », argumente-t-il pour faire comprendre qu’il ne tend aucune main pour une reconnaissance de l’ancien colon à l’endroit de son peuple.

ÉMERGENCE ÉCONOMIQUE ENVISAGÉE

Le locataire du palais présidentiel après Lansana Conté a rappelé qu’à son arrivée en fin 2010, l’opposition a conduit les enfants à prendre la rue. Une désobéissance civile qu’il fustige surtout que la Guinée n’avait jamais terminé un programme avec le FMI et n’avait pas encore atteint le point d’achèvement de l’initiative PPTE. Faire face aux besoins primaires de la population est le cheval de bataille de son mandat. Il défend d’ailleurs au passage le progrès agricole du pays indiquant que les voyants sont verts. La BAD a choisi la Guinée et le Ghana parmi les pays du continent pour transférer les compétences agricoles de l’Amérique latine.

Agacé, il lance à Françoise Joly de TV5 : « soyons sérieux, vous ne vous informez pas. Je suis déçu par votre manque de réalité. Les gens sont dans la rue mais c’est une réalité générale même en France ». Et de justifier la marche en avant du pays à travers le pourcentage d’enfants scolarisés depuis 2011 qui a augmenté ; le développement du tourisme avec des hôtels dignes de nom comme le Sheraton. Ce n’était pas le cas avant en faisant allusion aux conditions d’hébergement de ses invités car, il y a la stabilité selon le numéro 1 Guinéen.

UNE GUINÉE QUI PROGRESSE

Alpha Condé prévient les confrères : « on ne doit pas présenter la Guinée comme un pays instable à l’occasion du 60ème anniversaire. Il faut parler de ce que les gens ne savent pas », a-t-il insisté. Face à sa réticence, la consœur Joly a voulu clore en indiquant que les réponses de l’opposant historique de la Guinée étaient « vives et compliquées ». Mal l’en a prise, car le patron de Sékhoutoureyah a fait une révélation non des moindres : « je garderai ma liberté de ton et même si beaucoup de chefs d’État vous courent après, je n’ai pas de complexe surtout avec les médias internationaux !».

On retiendra donc de cet entretien que la Guinée se réconcilie avec un crédit auprès des bailleurs internationaux. L’histoire aux yeux du président Alpha Condé doit prendre en compte ce qui s’est passée sous les régimes Conté et Touré. Le devoir de mémoire collective lors de la traversée du désert après l’autodétermination en 58 pour la jeunesse du pays et du continent est un passage obligé pour rétablir la vérité. Seul le peuple décidera du 3ème mandat et aura la primeur des intentions allant dans ce sens quand il faudra défendre le bilan.

Bonne fête de l’indépendance à la Guinée pour avoir ouvert la voie de l’autonomie au continent, 60 ans plus tard dans la pauvreté et l’obscurité omniprésente.

Idrissa KEITA

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