Immigration clandestine : l’errance des jeunes marocains coincés sans avenir à melilla (reportage)

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R efusant de retourner dans leur pays d’origine, des centaines de jeunes Marocains, de moins de 25 ans, vivent à Melilla sans aucune ressource et sans papiers. Bloqués dans l’enclave, dormant dans des immeubles abandonnés ou à flanc de falaises sous des abris de fortune, ils se disent abandonnés par l’Espagne.

Hassan a un visage de poupon. On lui donnerait difficilement plus de 17 ans. Il dit en avoir 22. Vêtu d’un survêtement sale et d’un portable, – « Tout ce que je possède, je le porte sur moi » – le Marocain vit à Melilla depuis un an. Sa vie ressemble à celle d’un prisonnier, confie-t-il. Sa cellule est un territoire de 13 km2 dont il ne peut s’échapper.

« Je suis coincé ici », répète-t-il à plusieurs reprises. Depuis Melilla, minuscule enclave espagnole en territoire marocain, la mer est en effet l’unique voie de sortie pour atteindre l’Europe continentale. « Je ne veux pas retourner au Maroc, je veux aller en France. Pour sortir d’ici, il n’y a qu’un moyen, c’est le port… Se cacher dans un ferry et quitter cet enfer ».

Un « enfer » qui n’a rien d’une image exagérée. À Melilla, Hassan n’a ni maison, ni papiers, ni travail, ni argent. Il dit aussi être régulièrement pourchassé et frappé par la police espagnole. « Quand tu vis ici et que tu es Marocain, tu es foutu. Tu n’as pas le droit à l’asile, tu n’as pas le droit à un titre de séjour pour travailler, tu dois te cacher tout le temps pour ne pas te faire taper par la police ».

Pour dormir, Hassan vit avec trois amis dans une « chabolas », du nom de ces abris de fortune, faits de bouts de tôles, de draps et de cartons. Souvent invisibles, cachés à flanc de falaises au dessus de la mer, ou dans les buissons, ces « chabolas » sont régulièrement démantelées par la police.

« Je vis là parce que je n’ai nulle part où aller », dit-il en riant. « Ma mère au Maroc ne sait rien de ma situation ici. Mais elle doit deviner que ça se passe mal. Elle me demande de rentrer à Al Hoceima, à la maison. Mais je ne veux pas, il n’y a rien pour moi là-bas ».

« Les autres migrants ont un meilleur traitement »

Selon les associations de Melilla qui viennent en aide à population vulnérable, ils seraient environ 200 ou 300 dans le cas de Hassan, administrativement inexistant sur le sol espagnol. Conformément à un accord passé entre l’Espagne et le royaume chérifien, ces ressortissants marocains sont expulsables dès leur entrée sur le sol espagnol.

« Il est presque impossible pour eux de demander l’asile, ils sont régulièrement victimes de ‘pushback’ et renvoyés dès qu’ils sont interceptés », confirme Marta, membre du CEAR (Commission espagnole d’aide aux réfugiés). Ceux qui passent entre les mailles du filet, comme Hassan, sont destinés à une vie de galères à Melilla.

« Ce n’est pas normal, quand je vois les autres [les Africains subsahariens, ndlr], ils peuvent demander l’asile, on leur propose un endroit où dormir, nous rien », se plaint encore le jeune Marocain. Les associations reconnaissent à demi-mots que les Africains subsahariens bénéficient d’un meilleur traitement. « Dans les rues, vous ne voyez presque jamais de migrants à la peau noire », déclare Philomena, membre de Solidary Wheels, une association qui vient spécialement en aide aux ressortissants du royaume chérifien à Melilla. « Ces migrants subsahariens n’ont pas une vie facile ici, mais ils peuvent déposer une demande d’asile et être transférés vers le continent ». Pour les Marocains, cette option est rarissime.

Les anciens mineurs également abandonnés par l’Espagne

Alors coincés dans ce petit bout de terre, les jeunes Marocains traînent dans les rues de l’enclave, désoeuvrés. « On les reconnaît à leur jogging et à leur casquette, ils ne portent jamais de jean », explique une bénévole. Certains mendient, d’autres tombent dans la délinquance. « Ici, tu ne fais rien, alors tu coules vite », continue Hassan qui affirme passer ses journées sur la plage « à réfléchir », ou aller au skatepark dans le centre-ville où il sait qu’il trouvera un peu d’aide (vestimentaire notamment) des associations.

Pour les ex-mineurs marocains, ceux arrivés enfants à Melilla il y a plusieurs années, la vie n’est pas plus facile. Si avant leur 18 ans, ils ont été protégés par l’État, logés dans un des trois centres pour mineurs de la ville, à leur 18 ans, l’immense majorité se retrouvent rapidement sans papiers. La faute à « la mauvaise volonté » des autorités de Melilla et à la « complexité du système administratif et à ses lenteurs », déplore Philomena.

C’est le cas de Ayoub, arrivé à 17 ans à Melilla. Hébergé pendant un an dans un centre d’accueil pour mineurs, le centre Purissima au coeur de la ville, Ayoub a été mis dehors à sa majorité. Il va bientôt avoir 20 ans. « Personne ne m’a aidé avec les papiers là-bas », déplore-t-il. « Tu passes des mois à Purissima et personne ne te dit ce qu’il faut faire pour avoir des papiers… Alors en quelques mois, je me suis retrouvé dans l’illégalité ».

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