Guinée: vers une législature moins représentative et efficace que la précédente

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A près plusieurs reports, la Guinée se prépare à mettre en place un nouveau parlement le 1er Mars 2020. Le mandat de l’assemblée nationale actuelle étant expiré et conformément au principe classique de séparation des pouvoirs, il est impératif d’organiser de nouvelles consultations électorales pour élire des nouveaux représentants du peuple.

A l’instar des précédentes compétitions électorales, celle-ci intervient dans un contexte de méfiance et défiance entre les acteurs de la sphère politique. Cet abime politique risque de conduire le pays à installer une assemblée nationale moins inclusive, comme fut le cas de la deuxième République. Pour rappel, l’actuel parlement guinéen est l’un plus représentatif du continent africain, puisqu’il regorge à son sein toutes les sensibilités politiques du pays. Une assemblée nationale au sein de laquelle, la mouvance présidentielle, sans compter ses alliés ne dispose pas d’une majorité confortable.

Cette configuration apparait comme un stimulant de la bonne gouvernance, mais aussi elle constitue un gage de contrôle efficace et efficient des actions du pouvoir exécutif. Contrairement aux premières élections législatives organisées en 2013, la prochaine législature sera marquée par l’absence des ténors de la classe politique notamment l’UFDG de Monsieur Cellou Dalein Diallo, l’UFR de Monsieur Sydia TOURE et tant d’autres. Il ne faut pas méprendre que le butin électoral a  pendant longtemps été constamment partagé par ces poids lourds du politique.

 Que faut-il craindre de l’absence de ces entités politiques au rendez du 1er Mars 2020 ?

Quelles peuvent être les répercussions de telles élections sur le plan politique et économique ?

Quels sont les enjeux juridiques y afférents ?

Dans un système démocratique, l’autorité des pouvoirs publics ne peut être légitime que si, elle repose sur la volonté du peuple exprimée à la faveur d’élections sincères, libres et régulières, tenues selon les échéances prévues par la Constitution.  S’agissant de la non-participation des principaux partis politiques ou ténors de la scène politique, notamment l’absence des principaux partis politiques notamment l’UFR et l’UFGD aux prochaines élections. L’article 3 de la constitution dispose que : « Les partis politiques concourent à l’éducation politique des citoyens, à l’animation de la vie politique et à l’expression du suffrage. Ils présentent seuls les candidats aux élections nationales». 

Ainsi, il apparait  que les partis politiques ont pleinement le droit de participer  aux consultations électorales. Toutefois, le refus de ne pas prendre part au scrutin reste autant un droit. Les conditions d’organisation desdites élections font l’objet d’un désaccord dont l’issue reste incertaine à l’heure actuelle. La commission électorale nationale indépendante en charge d’organiser ces législatives dont l’impartialité est remise en cause, se dit prête pour le 1er Mars sans cependant évaluer les répercussions de l’absence des autres partis politiques.

Le  dernier alinéa du texte indique que « les droits des partis politiques de l’opposition de s’opposer par les voies légales à l’action du Gouvernement et de proposer des solutions alternatives sont garantis ».

A cet égard, l’opposition est en train de purger les voies de recours nécessaires pour faire reporter ces législatives. Dans l’hypothèse où celles-ci restent sans aucune suite favorable (cas le plus probable), le scrutin législatif se tiendra sans les barons de la société politique actuelle, entrainant ainsi dès le lendemain du 1er Mars, l’élection d’une assemblée moins inclusive que l’actuelle. Certes ce choix aura des avantages à travers un renouvellement du paysage politique mais des inconvénients ne se feront pas attendre.

En effet, l’une des conséquences de ce parlement monocolore peut résulter de la complaisance des nouveaux élus vis-à-vis des projets de lois du gouvernement. Ces derniers risquent d’être adoptés comme une lettre à la poste, sans la moindre discussion au fond.  De ce fait, le contrôle parlementaire qui doit servir de ressort à la séparation des pouvoirs va perdre toute son efficacité eu égard à la majorité absolue, probablement acquise à l’exécutif. Cet état de fait constitue un recule, pour une nation dont la culture et le système démocratique reste fragile.

Politiquement, on peut s’attendre à un taux de participation très faible : sachant que les électeurs se déplacent lors qu’existent des perspectives significatives d’un changement politique. Puisque les enjeux sont relativement limités en tenant compte des conditions d’organisation (fichier électoral contesté) et l’absence d’une véritable compétitivité. On ne peut malheureusement donc espérer  une  grande mobilisation de la population le 1er Mars 2020. Ces éléments remettent-ils en question la légitimité des futurs députés ?  Le temps et le futur paysage politique sauront nous édifier.

 D’un point de vue économique, ce déséquilibre institutionnel peut dissuader les investisseurs. En amont, la présence des investisseurs dans un pays nécessite un environnement propice, stable politiquement, mais aussi l’exigence d’une coutume démocratique marquée par les élections transparentes crédibles. Outre les conditions d’organisation, la crédibilité et la transparence des élections sont subordonnées à la participation de toutes les parties prenantes au processus électoral. Il faut rappeler l’importance des investisseurs pour un pays comme le nôtre. Ils représentent les 1ers pourvoyeurs de l’économie nationale à travers le secteur privé, ils créent des emplois et ils contribuent activement à réduire la pauvreté et à améliorer les conditions de vie de la population. Une assemblée exclusivement monocolore, peut éloigner les partenaires bilatéraux et multilatéraux. A l’image des autres pays du tiers monde, la Guinée, en plus de la mobilisation des ressources financières propres, obtient une grande partie de ses financements à travers les projets de développements, les aides, les dons, les   prêts consentis par les institutions internationales. Parfois l’octroi de ces fonds est conditionné au respect des principes et normes démocratiques.

En prenant en compte ces éléments, il est indispensable pour tous les acteurs intéressés par le processus électoral, de trouver un compromis quitte à faire des concessions réciproques pour une élection législative apaisée et inclusive. Les acteurs impliqués (acteurs politiques et la société civile) doivent trouver les ressorts nécessaires à ce consensus tant impérieux à la préservation de la cohésion et de la quiétude sociale, même à le faire à l’encontre de certaines dispositions législatives et réglementaires.

Ne dit-on pas qu’un mauvais accord vaut mieux qu’un bon procès ?

Abdoulaye SAVANE

Chercheur en droit des affaires, Paris Saclay

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