Guinée : de l’amour au désamour, la junte a-t-elle perdu le nord ?

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L e Colonel Mamadi Doumbouya a ôté l’épine Alpha Condé dans les pieds des Guinéens, c’était une épine devenue corrompue, répressive, voire liberticide. Les Guinéens en ont exulté. Les nouvelles autorités ont juré sur tous les saints qu’elles redonneront du sourire au peuple, faire l’amour et jamais la Guerre. Mais à voir ce qui se passe, en moins de deux années seulement, la junte a presque battu les tristes records du régime despotique qu’elle avait pourtant renversé.

Avant de commencer, revisitons le discours du Colonel, tenu le matin du 5 septembre 2021 : « La situation sociopolitique et économique du pays, le dysfonctionnement des institutions républicaines, l’instrumentalisation de la justice, le piétinement du droit des citoyens, l’irrespect des principes démocratiques, la politisation à outrance de l’administration publique, la gabegie financière, la pauvreté et la corruption endémique, ont amené l’armée à prendre ses responsabilités vis-à-vis du peuple souverain de Guinée ».

La situation sociopolitique. Alpha Condé a fait 3 ans avant que la situation ne devienne difficile. Il y a eu plusieurs manifestations assorties de morts pour qu’il organise les élections législatives de 2013. Avec le Colonel, en moins de deux ans, les leaders de 1er plan sont en exil. Leurs domiciles démolis et/ou retirés. Plus de 20 morts dans des manifestations de rue. Des arrestations par dizaines. Le dialogue devenu impossible malgré l’implication des religieux.

Sur la situation économique du pays et la pauvreté. Il est vrai que le Franc Guinéen s’est apprécié face aux devises étrangères. Mais les prix des marchandises et services n’ont jamais baissé pour autant. Le Colonel avait fait diminuer le prix du carburant, pour ensuite le faire augmenter d’environ 30%, dirait-on ainsi. Le transport et tout le reste en ont conséquemment galopé.

Sur la pauvreté. Selon les résultats de l’analyse du Cadre Harmonisé (mars 2022), 982 982 personnes avaient besoin d’aide alimentaire en Guinée. En 2023, pour la situation projetée par l’analyse (période de soudure), 1 198 458 personnes seraient en situation de crise alimentaire. C’est sans commentaire.

Dysfonctionnement des institutions républicaines. L’on ne peut que trop en juger pour le moment. Le dysfonctionnement saute aux yeux, notamment l’immixtion de l’exécutif dans le judiciaire. Les poursuites fantaisistes, les détentions prolongées, le refus de juger les personnes arrêtées en disent suffisamment. Sans parler du législatif, nombre de Guinéens avaient critiqué la nomination de Dansa Kourouma (accusé à tort ou à raison d’avoir roulé pour le régime déchu).

Instrumentalisation de la justice. Il y a à boire et à manger. Les opposants Cellou Dalein et Sidya Touré en savent quelque chose. Pour Cellou, pendant que le dossier était devant la justice, la junte l’a déguerpi sans ménagement. Un déguerpissement qui a mobilisé le Haut-Commandant de la Gendarmerie nationale accompagné du Chef d’Etat-major général des armées, pour l’occasion. Tous armés jusqu’aux dents. Foniké Mengué, Ibrahima Diallo, Billo Bah ont croupi en prison une dizaine de mois avant d’être libérés, sans procès. Alors que ces leaders d’opinion et politiques avaient chacun fait la promotion du Colonel auprès des institutions internationales pour lui donner une crédibilité certaine. Le FNDC est allé jusqu’à le retirer de sa liste noire. Où en est-on aujourd’hui ? Ironie du sort, n’est-ce pas ?

Kassory Fofana, Mohamed Diané, Oyé Guilavogui croupissent eux-aussi en prison. Il a fallu que leurs avocats remuent terre et ciel pour qu’un simulacre de procès se tienne. Mofa Sory Dounoh, le féticheur qui avait prédit la chute du Colonel, a été traqué sans ménagement. Il continue de l’être encore. Les membres de sa famille brièvement arrêtés, puis relâchés.

Piétinement du droit des citoyens et l’irrespect des principes démocratiques. Jamais les citoyens n’ont été privés de liberté comme en ce moment. Toute manifestation est interdite, en violation de l’article 8 de la Charte de la transition que la junte avait pourtant librement rédigée et fait entrer en vigueur sans passer par l’adoption populaire. Plus de 20 morts, plusieurs dizaines de blessés et d’arrestation. L’armée réquisitionnée pour mater les militants « pro-démocratie ». S’il a fallu 10 années à Alpha Condé pour recourir à l’armée pour contenir les manifestations, le CNRD n’aura eu besoin que de seulement deux ans.

Politisation à outrance de l’administration publique. Si le fichier de la fonction publique est en train d’être épuré, il y a cependant des forts soupçons liés à l’engament de plusieurs personnes à la fonction publique, sans recrutement aucun, selon plusieurs sources. Le lanceur d’alerte du Ministère de la Fonction publique, Koly Koivogui, en a fait les choux gras. Le recrutement dans l’armée a aussi été commenté par des journalistes qui parlent de recrutement ‘’ethnique’’, ce qui a valu une convocation du journaliste Marwane Camara par devant la HAC.

Gabegie financière, corruption. Jusqu’à date, bientôt deux ans, aucun membre du gouvernement n’a déclaré ses biens, comme le voudraient les normes démocratiques et lois guinéennes. La junte octroierait ou en tout cas, est accusée d’octroyer des marchés publics d’envergure, sans pour autant respecter les procédures pertinentes en la matière. Beaucoup de voix dénoncent l’absence de transparence dans la gestion des ressources du pays. Exactement comme au temps du despote Condé. Les contrats miniers ou les arrangements qui se font autour devraient être revus par les futures autorités du pays. Il semblerait qu’il y a autant d’entorses que de contournements dans les procédures. Raisonnablement, une junte n’a pas vocation à octroyer des marchés ayant une certaine importance en termes d’investissements majeurs.

Mal entouré ?

Dès sa prise du pouvoir, le peuple a adhéré à son projet. Alpha Condé avait trop martyrisé le peuple. Cela a favorisé le coup d’Etat et légitimé la junte. A y voir plus clair, le Colonel va droit au mur. S’il était animé de bonnes intentions au départ, ces intentions semblent aujourd’hui dévoyées. La faute pourrait être dû au casting qu’il a réalisé. Le Colonel se serait entouré de politiciens et membres de la société civile frustrés et démagogues. Ceux-ci profiteraient aujourd’hui du parapluie de son régime pour régler des comptes « personnels ».

Certains des Ministres de son gouvernement commencent à se comporter en élus, tellement ils abusent de leur pouvoir. Si nous prenons le cas sur la liberté d’expression, elle est soumise à rude épreuve. Des journalistes sont régulièrement convoqués à la HAC : Mohamed Bangoura de Mosaïqueguinee, Ibrahima Soumah (Lincoln) de Fim, Marwane Camara, du site lerevelateur224 , saisie de la caméra de Abdramane Bah de TV5, bastonnade des journalistes à Kankan et Kindia, le démantèlement sans explication des émetteurs du groupe Africvision, le brouillage de la fréquence de FIM, la coupure d’internet , notamment dans ses composantes en lien avec les réseaux sociaux … pour ne citer que ceux-ci.

Le Ministre des Postes et télécommunications est allé jusqu’à évoquer la possibilité de fermer des médias. Ces propos sont scandaleux dans une démocratie. La liberté d’expression en Guinée a été acquise après des décennies de combat. C’est d’autant plus grave que ce n’est même pas son rôle d’ouvrir ou de fermer un média.

Le Colonel avait promis de faire l’amour à la Guinée, mais là, c’est le désamour entre lui et le peuple. Si son entourage y est pour quelque chose, il devrait quant à lui assumer la plus grande part des responsabilités. C’est bien lui le Chef, c’est lui qui nomme, qui limoge, donc à lui revient toute la responsabilité de son régime et de ses actes.

La Guinée serait devenue une plaque tournante du trafic de drogue. Beaucoup de saisies ont été faites à travers le monde et en Guinée ces derniers temps. Pour un régime militaire, c’est inquiétant. Les trafiquants devraient plutôt fuir. Mais au contraire, ils se sont renforcés.

En ce qui concerne les services sociaux de base : eau, électricité, logement notamment, aucune amélioration nette. D’ailleurs, la fourniture en électricité a baissé, pas plus tard que ce weekend, une manifestation a eu lieu à Kountia pour réclamer du courant et une femme en a reçu une balle. Exactement comme au temps d’Alpha Condé, où le régime n’avait plus qu’un argument, le plomb.

En tant que citoyen français, j’interpelle les autorités françaises (Assemblée nationale, Sénat) et l’Elysée, sur les agissements de la junte en Guinée. Ça sent un silence coupable, faut-il rappeler que Mamadi Doumbouya fut un légionnaire français. La France doit se prononcer sur la situation en Guinée, interpeller le Colonel sur sa gestion. C’est d’ailleurs ainsi qu’elle pourrait regagner la confiance des Guinéens, pendant qu’elle est décriée partout en Afrique.

Mon Colonel, reprenez le dessus sur le cours des évènements. Relisez votre discours du 5 septembre 2021 et reprenez notre boussole. Aujourd’hui, votre personne est indissociable des problèmes que traverse le pays. Elle en est également la clé de voûte. Ne vous méprenez guère sur votre mission. Réalisez-la telle que vous nous l’aviez présentée et conformément au planning que vous avez librement fait publier et vulgariser.

A vous de jouer, mon Colonel !

Par

Alpha Diallo, fondateur et directeur de publication de www.guineeactuelle.com
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