Sanctions de la cedeao contre la guinée : tout ce qu’il faut savoir

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La Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est réunie, en session extraordinaire, jeudi 16 septembre 2021 à Accra, sous la présidence de Nana Addo AKUFO-ADDO (Président de la République du Ghana, Président en exercice de la Conférence ndlr), afin de faire le point de l’évolution de la situation politique en République de Guinée.

Ont répondu présents à cette session, dite extraordinaire, les Chefs d’Etat ci-après : Roch Marc Christian KABORE (Burkina Faso), Alassane OUATTARA (Côte d’Ivoire), Nana Addo Dankwa AKUFO-ADDO (Ghana), Umaro Sissoco EMBALO (Guinée Bissau), Georges Manneh WEAH (Libéria), Mohamed BAZOUM (Niger), Macky SALL (Sénégal), Julius Maada BIO (Sierra Leone), Faure Essozimna GNASSINGBE (Togo).

D’autres Etats, non des moindres, se sont faits représentés au plus haut niveau : Aurélien AGBENONCI (Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération du Bénin), Filomena MENDES GONÇALVES (Ministre à la Présidence du Conseil des Ministres de la République du Cabo Verde), Mamadou TANGARA (Ministre des Affaires Etrangères, de la Coopération Internationale et des Gambiens de l’Extérieur de la Gambie).

Les sévères décisions de la CEDEAO contre la Guinée

Au cours de cette session, les Chefs d’Etat de l’institution sous-régionale ont pris des résolutions et des décisions fermes contre les nouvelles autorités guinéennes.

« Le maintien de la suspension de la Guinée de toutes les instances de la CEDEAO jusqu’à la restauration de l’ordre constitutionnel. La tenue, dans un délai de six (6) mois, des élections présidentielle et législatives pour la restauration de l’ordre constitutionnel. La mise en œuvre des sanctions ciblées conformément aux protocoles de la CEDEAO, impliquant l’interdiction de voyage des membres du CNRD ainsi que des membres de leur famille et le gel de leurs avoirs financiers. L’appui de l’Union Africaine, de l’Union européenne, des Nations Unies, et des partenaires multilatéraux et bilatéraux pour la mise en œuvre desdites sanctions. L’interdiction aux membres du CNRD d’être candidats à l’élection présidentielle. L’accompagnement de la CEDEAO dans la résolution rapide de la crise et la préparation des élections», rapporte le communiqué de la CEDEAO, en date du 16 septembre 2021.

Outre leurs caractères sévères, la CEDEAO a lancé un appel à ses pairs de la communauté internationale notamment l’Union Africaine, les Nations Unies ainsi que les partenaires au développement à endosser ces décisions prises et à accompagner la restauration de l’ordre constitutionnel en République de Guinée.

Les enjeux des décisions

De manière générale, il est courant de constater que les décisions prises par la Conférence des Chefs d’Etat de l’institution sous-régionale sont déterminées par des enjeux devenus classiques. Au titre de ceux-ci, la volonté de maintenir la paix et la sécurité communautaire, la prévention des crises sociopolitiques, l’instauration, le respect et le renforcement des grands principes démocratiques, la mitigation des impacts du terrorisme à l’échelle sous-régionale ; occupent une place proéminente.

Cependant, dans les faits, il est souvent reproché à la CEDEAO de n’être qu’une institution à la solde de ces timoniers. Une sorte de caisse de résonance et d’instrument de défense des intérêts des Chefs d’Etats au détriment des populations africaines. Certains auteurs parlent à cet égard de « faitières des Chefs d’Etats » et proposent la nécessaire mutation d’une CÉDÉAO des Chefs d’Etats à la CEDEAO des peuples.

En contexte guinéen, le durcissement du ton de la CEDEAO devrait interpeller tous les acteurs. Pour monsieur BAH Oury, leader politique : « Les sanctions prises par la CEDEAO à l’encontre de la Guinée ne sont pas du tout valables » a-t-il déclaré sur les ondes de la radio Espace Fm.

Poursuivant, le président du parti UDRG a laissé entendre que le positionnement de l’institution sous-régionale est davantage motivé par des questions liées principalement aux intérêts d’anciens présidents que par la volonté de défendre ceux du peuple de Guinée.

«Je pense que la CEDEAO montre par ce biais là qu’elle se soucie beaucoup plus de ses anciens collègues. De ce point de vue de là, la CEDEAO apparait plus comme une structure qui s’intéresse aux intérêts des Chefs d’Etat en situation de responsabilité que de prendre en compte les intérêts vitaux des populations de la région ouest-africaine qui est dans une situation de tout le monde, » affirme –t-il.

Concernant la crise des coups d’Etat, la vérité sous-jacente des prises de position des Chefs d’Etats ouest-africains s’inscrivent dans une large mesure à tempérer les appétits d’autres forces militaires dans la sous-région. Surtout quand on sait que la Cote d’Ivoire du Président Alassane Dramane OUATTARA obéit, à quelques exceptions près, aux mêmes enjeux sécuritaires que son voisin guinéen.

Le Président ADO, à l’instar de son ami de circonstance Alpha CONDE, tous auteurs de coups d’Etat constitutionnels ayant abouti à leur 3ème mandat, est aussi préoccupé par la survivance des démons se trouvant au Nord et surtout au Sud de son pays. Rappelant les affres qui ont précédé la prise du pouvoir par ADO, beaucoup d’analystes postulaient, à ce titre, que le risque de survenance de coup d’Etat était beaucoup plus élevé en Côte d’Ivoire qu’en Guinée.

Sur un autre registre, les observateurs craignent, à maints égards, un risque de contamination à l’échelle de toute la zone ouest-africaine. En l’espace d’une année, au moins trois (3) coups d’Etats se sont opérés avec brio. D’abord, au Tchad suite à la disparition du Président Idris Déby Itno dans des conditions jusque-là non élucidées. Ensuite, au Mali. Puis maintenant en Guinée par des militaires du groupement des forces spéciales pourtant biberonnés par l’ex président Alpha CONDE.

Le trait commun entre chacun de ces coups d’Etat est la confiscation du pouvoir par des franges oligarchiques portées par des hommes à la mentalité totalitariste du pouvoir. Toute chose qui reste contraire à l’exercice du pouvoir démocratique. Cette situation n’échappe aux autres Etats de la sous-région.

Dans cette optique, toute la partie occidentale de l’Afrique se trouve être engouffrée dans de réelles crises institutionnelles assorties de profondes contradictions internes aux Etats qui la composent. Ces contradictions sont souvent générées, exit la mauvaise gestion des mannes financières de l’Etat, par des velléités de conservation des privilèges octroyés par le pouvoir politique. Ce constat n’est pas à l’apanage des seuls Etats victimes des coups d’Etats. D’autres Etats comme le Sénégal, la Guinée Bissau, la Sierra Léone, le Libéria ou encore le Nigéria, pour ne citer que ceux-ci, pourraient être les prochains sur la liste. Si toutefois leurs autorités ne tirent pas des leçons suffisantes des expériences guinéenne, burkinabé, malienne ou tchadienne.

Parallèlement, la sous-région ouest-africaine est aussi en proie à des phénomènes de déstabilisation djihadiste. Tout le sahel est aujourd’hui en constante guerre contre des forces djihadistes qui deviennent de plus en plus prégnantes dans la  bande sahélo-sahélienne. Pas que, l’ensemble des Etats ayant convoyé des militaires dans cette partie de l’Afrique sont aussi placés sous la menace guihadiste. La République de Guinée n’échappe pas à cet épouvantail. Et c’est d’ailleurs à ce titre que les décisions prises par la CEDEAO à l’encontre de la Guinée sont perçues comme inintelligibles.

La CEDEAO a failli à sa mission en Guinée

L’une des missions essentielles de la CEDEAO est de favoriser la construction d’institutions démocratiques fiables et pérennes. Pour maints juristes, la CEDEAO est la gardienne du droit communautaire ouest-africain. A ce titre, elle veille au respect des principes démocratiques et à l’instauration des Etats de droit dans son espace géographique.

En décembre 2001, les Chefs d’Etats ouest-africains avaient adopté le Protocole additionnel de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance. A l’article 2 de ce Protocole additionnel, a été prohibé, toute réforme substantielle de la loi électorale intervenant dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques.

A l’évidence, jamais la CEDEAO ne s’est proposée comme bouclier entre la volonté viagère d’un de ses Chefs d’Etats et le besoin de renouvellement de la classe politique pourtant souvent exprimé par les peuples ouest-africains par le truchement de manifestations pacifiques.

Entre 2019 et 2020, les partis de l’opposition guinéenne, réunis au sein du FNDC, avaient maintes fois interpellé la CEDEAO sur les velléités de mandat viager qui sous-tendaient la volonté d’Alpha CONDE à tenir, non de manière inclusive, son projet de changement constitutionnel via un referendum. Ils sont allés jusqu’à prendre pour responsables tous les Chefs d’Etat de la communauté.

Interpellé sur la question, monsieur BAH Oury a rappelé l’attitude biaisée de la CEDEAO à l’époque : «je rappelle qu’en juin 2020, j’avais écrit à tous les Chefs d’Etat de la CEDEAO pour leur dire de venir au chevet de la Guinée afin d’empêcher que nous allions dans une dynamique de changement anticonstitutionnel qui allait créer de sérieux problèmes à la Guinée et à la région. Ils n’ont pratiquement pas réagi comme il le fallait. » Et d’ajouter « Maintenant, ils veulent mettre la Guinée dans une situation où la transition, dans ce contexte, risque d’être mise en difficulté par la position relativement que je ne considère pas réaliste de la CEDEAO elle-même» a-t-il rappelé.

C’est à se demander que cherche véritablement la CEDEAO ? Étant entendu que l’analyse de la situation guinéenne, vue sous l’angle des sanctions en vue de la tenue rapide d’une transition démocratique, pose la problématique centrale des moyens pour atteindre l’objectif démocratique. Ces moyens font-ils appel à une certaine « rationalité démocratique » ? Existe-t-il une stratégie univoque de transition démocratique applicable universellement ? Ou faut-il considérer, au contraire, que ceux-ci sont fonction des attentes des peuples souverains ouest-africains et qu’il convient par conséquent d’adapter les moyens à la situation de chaque Etat ? Ce questionnement vaut tout son pesant d’or.

Que devrait faire les nouvelles autorités guinéennes ?

Dans ce contexte, si la CEDEAO a failli à ces obligations vis-à-vis de la Guinée, pourquoi les guinéens devraient en retour tenir scrupuleusement compte de ces injonctions. La question demeure et revêt des intérêts à maints égards. Surtout à un moment où la quasi-totalité des forces actives de la Guinée sont unanimes à dire que le pays a davantage besoin de réformes structurelles que d’organisation d’élections qui ne répondent à aucun enjeu véritable et bénéfique pour leur pays.

Les nouvelles autorités du pays se doivent de mobiliser toutes les bonnes volontés, tous les bons offices imbus des négociations bi/multilatérales, à la fois aux niveaux national et mondial, à l’effet d’engager rapidement des pourparlers avec la communauté internationale. Ces pourparlers doivent être opérés par des professionnels de la diplomatie et portés par des patriotes invétérés qui maitrisent parfaitement le contexte guinéen.

L’une de leurs principales missions consistera par exemple à concilier le besoin de réformes profondes exprimé par les guinéens au désidérata de la communauté internationale qui est souvent déconnecté des réalités propres à nos Etats. Cette équipe de négociation devra être constituée de spécialistes de tout bord. Puisqu’outre le soutien politique, la Guinée aura aussi nécessairement besoin d’un appui technique et financier pour que les reformes soient efficientes. Le leitmotiv phare serait d’amener la CEDEAO, porte d’entrée de la communauté internationale en Guinée, à faire du cas guinéen, un cas d’école à l’échelle continentale. Ce, dans la mesure où toutes les conditions sociopolitiques sont arrivées à maturité dans le pays.

Dans cette dynamique, un chronogramme, adopté de manière consensuelle au niveau national, allant d’un délai minimal de deux (2) ans à un maximal de trois (3) ans, serait non seulement défendable mais surtout adapté aux exigences d’établissement d’institutions fortes et pérennes.

CHERINGAN

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