Pour en finir avec l’économie de traite en afrique (tribune)

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A l’indépendance, les pays Africains ont dans leur majorité, hérité du modèle économique colonial. Ce système, l’économie de traite, consistait au négoce entre les firmes dites internationales et nos Etats considérés à la fois, comme des réservoirs de matières premières devant ravitailler les industries du monde, et comme le déversoir de tous les produits manufacturés destinés à la poubelle ou pire, des déchets chimiques.

L’intégration de nos États à l’économie mondiale s’est opérée par une politique économique de domination primaire, c’est-à-dire notre apport à l’économie mondiale, notre rôle pendant longtemps, la place qui nous était réservée dans la mondialisation se limitait à cette mission de fournisseurs de matières premières, et surtout, à vil prix.

Ce système dont décrit savamment le Professeur Joseph Ki-Zerbo dans son célèbre chef d’œuvre « l’économie de traite en Afrique Noire ou le pillage organisé ». Une contribution hautement scientifique à la civilisation humaine que je recommande à la jeunesse Africaine. Au lieu de procéder à la transformation des matières premières et exporter les produits finis, les États  Africains, en accentuant l’exportation des produits bruts comme le fait la Guinée aujourd’hui, exacerbent la dépendance économique, freinent l’industrialisation et enregistrent par cet effet, un énorme manque à gagner.

                                                        PILLAGE ÉCONOMIQUE

Le cas de notre pays « la Guinée » est illustratif. Son gouvernement s’enorgueillit de la prévision de croissance liée à l’augmentation de la production de la bauxite brute. Ce qui est surprenant pour celui qui sait analyser les contrats miniers. Il faut savoir que la Guinée, en raison de 30 dollars la tonne de bauxite, ne perçoit que 150 millions de dollars us environ par an de redevances fiscales par exemple. Alors que le pays qui le transforme percevra 20 fois plus, en raison de 2000 dollars la tonne d’aluminium. La fierté aurait dû être la construction d’une raffinerie d’alumines, qui nous rapporterait, au lieu de 150 millions, mais un minimum de 5 milliards us par an.

Il faut savoir que par son manque de vision et de charisme, le gouvernement se transforme en gardiens de richesses pour ensuite les bazarder aux multinationales et à leurs pays. C’est ce qui explique certainement le soutien dont bénéficie le gouvernement de la part d’institutions financières et des magnats de la finance. Ces institutions financières qui ne tarissent pas d’éloges pour ces « bons élèves » qui maintiennent leurs pays dans ce rôle de pourvoyeurs qui leur est savamment réservé. S’il est tolérable pour la première République d’avoir réussi à exiger et d’avoir obtenu la majorité des parts dans des contrats miniers, il n’y a aucune excuse pour la deuxième République de détenir moins de 10% de parts, et pire pour la troisième République qui, au lieu de poser les bases de la transformation, augmentent de façon abyssale la production de la terre brute.

Le Niger exporte l’uranium à l’état brut depuis plus de 40 ans à la société COGEMA devenue plus tard AREVA et aujourd’hui ORENA, qui le transforme en France et finance à 85% sa politique énergétique. C’est le lieu de préciser que la France est numéro UN mondial dans ce secteur, pendant qu’au Niger, la région d’Arlit d’où est exploité l’uranium reste dans l’obscurité et dépourvue d’infrastructures de base par le fait de l’inégalité des échanges. La France pourrait arguer certainement sa licence d’exploitation obtenue presque gratuitement, ou par le biais de l’intimidation. Mais la réalité est que l’uranium nigérien continue d’enrichir une Nation autre que la sienne.

La filière du cacao qui exploite le paysan ivoirien et enrichit l’investisseur. Parce qu’elle ne contrôle pas la filière du café-cacao, la Côte d’Ivoire gagne à peine le quart de la richesse générée par son exploitation. L’investisseur étranger lui, son gain en valeur est de l’ordre de 100 %. Sans parler des activités de transformation, d’emballage de ces produits et de leurs effets sur la consommation. C’est un énorme manque à gagner qui contribue à enrichir d’autres Nations.

Mais il y a encore pire : le cas du pétrole gabonais, celui du Congo -Brazzaville ou du Sénégal. Des contrats léonins dans lesquels les États Africains perçoivent moins de10 %. Du pur braquage. Le démembrement de la République Démocratique du Congo entre multinationales ! Et cela continue ! Nul besoin de vous énumérer les retombées de ce système vicieux, nous le vivons au quotidien. Mais encore, le pillage organisé n’est pas le seul problème que nous pose l’économie de traite. Ses effets se font ressentir aussi sur le plan social et même environnemental.

                                         DÉSASTRE SOCIAL ET ÉCOLOGIQUE

Ce modèle d’exploitation, en dépit des énormes fuites de capitaux, nous expose souvent à un désastre social et écologique. Notamment dans le secteur minier où le bien-être et la santé des populations se trouvent affectées. En dehors de la traite, son modèle d’exploitation a un impact nuisible sur la santé des populations et sur l’environnement. D’abord les méthodes d’extraction des minerais, ensuite les produits chimiques utilisés, ou encore les déchets chimiques qui sont déversés dans les villes environnantes. Ou même les politiques managériales qui ne tiennent compte d’aucune forme d’éthique… Des pratiques qui causent non seulement des problèmes de santé parmi les populations, mais aussi la destruction de notre faune et de notre belle flore.

Les situations de Boké et de Siguiri en Guinée illustrent parfaitement cette catastrophe. A Siguiri, non seulement la ville est poussiéreuse par les opérations archaïques d’extraction, mais la jeunesse fait face à un problème de de-scolarisation poussée. En effet, attirés par l’exploitation artisanale, les élèves ont fini par se détourner de l’école. Ce qui constitue un frein à l’émergence d’une société éduquée.

La situation des enfants travailleurs dans la filière du Cacao en Côte d’Ivoire. Nombreux sont des enfants dont l’avenir est sacrifié pour rentabiliser le chiffre d’affaire de l’investisseur.

En Afrique Centrale, Total s’apprête à construire un pipeline gazéifié qui risque de détruites des centaines de cours d’eau, d’énormes espèces animales sans parler des retombées sur de milliers de familles. Là non plus, les exemples ne finissent pas.

La logique de l’économie de traite est de permettre à l’investisseur de faire du profit, et aux autorités locales de recevoir quelques ristournes. Mais aux populations de subir les conséquences de cette traite comme une tragédie.

                                                      QUELQUES EXCEPTIONS

Cependant il est à préciser quelques progrès réalisés par certains pays comme l’Éthiopie, la Namibie, le Botswana, le Ghana, l’Égypte… Des pays qui avaient très tôt emprunté la même voie courageuse que nous dans les années 1960, et qui pour la plupart étaient au même stade de développement que nous dans les années 80. Ces pays sont à la phase de transformation et de commercialisation de produits finis. Le Botswana par exemple, en plus de détenir 85 % des parts face à la multinationale De Beers (15%), produit, transforme et vend son diamant à partir du Botswana. Ce qui lui permet d’entrer en bourse. L’Éthiopie produit, transforme, consomme et commercialise son café dans le monde. Quant au Ghana, c’est en novembre 2020 qu’il a commencé à exporter ses produits dans l’espace de la ZLEG. Les exemples n’en finissent pas. Pendant que notre gouvernement, quant à lui, se réjouit de la majoration de la quantité de bauxite à exporter. Que le gouvernement le fasse à court terme dans la perspective de financer l’industrialisation, ça aurait été compréhensible. Mais que le gouvernement en fasse un indicateur de performances, cela démontre son manque extraordinaire de vision. Un gouvernement avisé aurait réussi en 10 ans de gouvernance, à poser les bases d’une industrialisation à grande échelle, au lieu de se réjouir des maigres résultats d’un modèle qui a fait son temps.

C’est donc un fait que nous ne pouvons plus continuer à évoquer l’esclavage et la colonisation comme seuls facteurs déterminant la crise structurelle que traverse notre pays. A partir du moment où nos dirigeants ont choisi, en toute conscience, de continuer le modèle économique colonial et d’exploitation minière, qu’ils assument maintenant les conséquences de leurs choix, et reconnaissent qu’ils sont responsables de la paupérisation de notre société.

                                          IN FINE

Chers compatriotes, si nous proposons un modèle de développement basé sur la paysannerie (l’agriculture, la pêche, l’élevage…), nous prévoyons cependant que cela soit conçu en tenant compte des liaisons entre les autres secteurs de l’économie. Par exemple, le développement de l’agriculture doit permettre de ravitailler l’industrie en marché et en matières premières nécessaires à son démarrage. Réciproquement, l’orientation des choix industriels doit répondre aux besoins de l’agriculture. Il se créera ainsi une dynamique d’interdépendance et de complémentarité liant entre eux : la paysannerie, l’industrie et le commerce. Le développement de cette dynamique constituera une base interne d’accumulation du capital, et pourra une fois la demande intérieure satisfaite, s’ouvrir aux marchés extérieurs. Mais ces propositions feront l’objet d’un autre article dans lequel, nous exposerons de façon succincte, notre plan de réindustrialisation de la Guinée.

Que Dieu bénisse et protège la Guinée et l’Afrique…

Kémoko CAMARA

Porte-parole du Front Républicain

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