E n Europe du Nord, devenue « l’épicentre du marché de la cocaïne » selon Europol, les narco-trafiquants n’hésitent pas à brandir la terreur jusqu’au sommet de l’État.
En Belgique et aux Pays-Bas, ils menacent physiquement des journalistes, des juges, des avocats, des ministres, et même la famille royale en Hollande. En Belgique, le ministre fédéral de la Justice, Vincent Van Quickenborne, sa femme et ses enfants, ont été placés dans un lieu secret après des menaces d’enlèvement. Comme eux, plus de deux cents personnes sont protégées par la police belge.
Selon une enquête du Point (en lien ci-dessous), les menaces des narco-trafiquants contre le ministre fédéral de la Justice ont pris une ampleur nouvelle lorsque celui-ci a réclamé l’extradition de mafieux binationaux réfugiés à Dubaï.
Les Pays-Bas et la Belgique, en particulier les ports de Rotterdam et d’Anvers (les deux plus importants en Europe), sont des viviers pour les barons euro-marocains de la drogue. Ils y imposent leurs lois par les moyens les plus violents, enlèvements, tortures, décapitations…
Le plus célèbre de ces caïds est Ridouan Taghi, dont la famille est originaire du Rif, centre mondial de la production de haschisch, dans le nord du Maroc. Mais il a changé de braquet avec la cocaïne d’Amérique du Sud qui parvient en Europe via l’Espagne grâce à une alliance avec des cartels colombiens et mexicains. Son arrestation en 2019 à Dubaï puis son transfert et son incarcération au Pays-Bas lui ont certes porté un rude coup, mais il poursuit ses activités criminelles depuis la prison de haute sécurité de Vught, près de Bois-le-Duc.
Depuis l’ouverture de l’enquête, en 2017, Ridouan Taghi a fait assassiner en 2018 le frère d’un de ses tueurs à gage qui s’était repenti après s’être trompé de cible, puis l’avocat de ce « repenti » abattu en 2019 au volant de sa voiture à Amsterdam. Taghi serait à l’origine de multiples menaces contre les médias enquêtant sur la « Mocro Maffia » (terme argotique néerlandais, Mocro faisant allusion à « Marocains »), menaces concrétisées en juin 2018 par une attaque au lance-roquettes contre le quotidien Panorama et par l’irruption fracassante d’une voiture bélier dans le hall d’entrée du journal De Telegraaf. Mais l’opinion a été surtout marquée par l’assassinat, le 15 juillet 2021, du célèbre journaliste d’investigation Peter De Vries.
L’avocat de la famille de la victime a annoncé qu’il figurait lui-même sur la liste des personnes à éliminer.
L’escalade s’est poursuivie avec des menaces contre le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, et contre l’héritière du trône, la princesse Amalia d’Orange-Nassau, 18 ans ; elle a été exfiltrée le mois dernier de son logement d’étudiante pour être confinée au palais royal de La Haye avec les autres membres de la famille.
En Belgique, le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne, a échappé de justesse à une tentative d’enlèvement. C’est ainsi que Ridouan Taghi cherche à obtenir un non-lieu ou une peine réduite, alors que son procès se poursuit, avec 16 de ses complices présumés dans le « Bunker », la salle d’audience sécurisée installée dans la banlieue d’Amsterdam. Les avocats des parties civiles y plaident le visage masqué. Le verdict, attendu au cours de l’année 2023, devrait être une condamnation à perpétuité.
Peu d’espoir cependant que cette probable issue judiciaire sonne la fin d’un trafic colossal pour lequel rivalisent la Mocro Maffia, les Surinamiens, les gangs sud-américains, mexicains, la Camorra napolitaine, la Ndrangheta calabraise, les clans balkaniques, la mafia turque…
Ils sont dotés de moyens technologiques et financiers toujours plus importants, assortis d’une corruption et d’une ultra violence destinées à entraver ou à paralyser toute opposition. « La situation nous a échappé depuis des années » a confié à France-Info Michel Claise, juge d’instruction spécialisé dans la criminalité à Bruxelles. Face aux milliards d’euros brassés par ces mafias, les moyens de la police et de la justice semblent en effet dérisoires.
On en serait resté à cette conclusion pessimiste si, aujourd’hui même, 28 novembre, Europol n’avait annoncé le démantèlement d’un « super-cartel » de la cocaïne à Dubaï et en Europe, avec six arrestations à Dubaï, treize en Espagne, six en France et dix en Belgique, assorties de la saisie de 30 tonnes de cocaïne.
Selon Europol, ce « super-cartel » contrôlait environ un tiers du commerce de la cocaïne en Europe. Le parquet néerlandais indique qu’il va demander aux Émirats arabes unis l’extradition des deux suspects arrêtés à Dubaï. L’un a la double nationalité néerlandaise et marocaine, l’autre, la double nationalité néerlandaise et bosniaque.
Deux « gros bonnets » du trafic international de drogue, « principalement depuis l’Amérique du Sud via les ports d’Anvers et Rotterdam », selon un communiqué du parquet néerlandais. Reste encore à neutraliser les deux tiers du commerce de la cocaïne en Europe… pour ne parler que de la cocaïne.
Philippe Oswald