L’etat de droit, l’autre promesse du professeur alpha condé

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« Justice must not only be done, it’s must also be seen to be done ».

En période de campagnes électorales, même pour les plus fervents des militants, certaines promesses des candidats aux suffrages procèdent plus de vœux pieux que de véritables projets réalistes et réalisables. La ferveur militante aidant, on veut bien croire à la promesse de Donald Trump d’ériger un mur de séparation entre les Etats-Unis et le Mexique, à l’annonce tant répétée du Professeur Alpha Condé de rendre la césarienne gratuite pour les femmes enceintes.

Les récents troubles politiques en Guinée et leurs corollaires de morts par balles rendent opportun de s’interroger sur la réalité ou la réalisation d’une des plus importantes promesses du candidat Alpha Condé à la présidentielle de 2010. L’engagement électoral de faire de la Guinée un Etat de droit avait de quoi séduire des électeurs de toutes obédiences politiques, lassés par des années de déliquescence de la République de Guinée en terme d’Etat de droit.

Concrètement, peut-on à tout le moins conclure à une certaine avancée de l’Etat de droit en Guinée sous le magistère du professeur Alpha Condé, alors qu’il vient d’entamer la troisième année de son second mandat de cinq ans ? L’Etat de droit étant entendu comme la primauté du droit et l’obéissance de tous les sujets de droit, gouvernants comme gouvernées, à la loi.

Abordée sous un paradigme purement politique, les réponses varieront selon que l’on soit plutôt favorable à la mouvance ou carrément opposé à la politique que mène le régime. L’une des caractéristiques premières du régime Alpha Condé étant d’avoir opéré un véritable clivage dans l’opinion, on l’aime ou on ne l’aime pas.

Revenant à la question de l’Etat de droit pris sous l’angle de la soumission des sujets de droit à la loi ou plus prosaïquement sur la question de l’effectivité de la justice, on ne peut soutenir avec raison que le Professeur Alpha Condé n’a rien fait. Du reste, tout est question de proportion et de nuance.

Sur les mesures tendant à améliorer l’outil judiciaire, la signature, le 24 juin 2014, du décret portant statut particulier du magistrat a permis en théorie du moins de renforcer l’autonomisation de la magistrature guinéenne par la création du Conseil Supérieur de la Magistrature, la soustrayant quelque peu à l’emprise de l’exécutif. La revalorisation du salaire des magistrats est-elle aussi, en règle, une volonté de réduire le risque de corruption de juges.

Ensuite, les nouvelles moutures du code pénal et du code de procédure pénale représentent une avancée substantielle en termes de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Du point de vue des reformes, la justice guinéenne semble avoir été dotée des outils pour agir efficacement et gagner progressivement la confiance des justiciables. Sous Alpha Condé en effet, des magistrats ont été suspendus, après enquête, pour faits de corruption avérés, il s’agit là d’une avancée indéniable.

Les réformes structurelles précitées de l’appareil judiciaires, si elles ont permis d’illustrer la volonté de l’Etat de redorer l’image de la justice auprès du public, elles ont, à ce jour, dramatiquement montré leur limite, une fois confrontées à la réalité du droit des gens. Ce n’est pas dire que des décisions de justice ne sont pas quotidiennement rendues, loin de là, mais elles manquent en équité, en visibilité et accusent souvent une lenteur abyssale selon des auxiliaires de justice.

Adage : « Justice must not only be done, it’s must also be seen to be done ».

Le sentiment d’injustice également très souvent exprimé à l’occasion des manifestations politiques de l’opposition dite républicaine. Ces manifestations, droit constitutionnel par ailleurs, sont souvent ternies par des morts par balles parmi les manifestants. Des morts et des blessés sont parfois enregistrés parmi les agents des forces de l’ordre qui sont, par ailleurs, les suspects naturels des coups de feu mortels. Au-delà des revendications et récriminations habituelles de l’opposition républicaine en général et de l’UFDG en particulier, pour une justice effective pour « les assassinats » de leurs militants, force est de constater que la justice regarde ailleurs en ces cas.

Plus de 93 homicides dans les rangs de l’opposition depuis l’arrivée au pouvoir du Professeur Alpha Condé et, au moins, une dizaine d’agents des forces de l’ordre tués lors des manifestations restent non élucidés.

L’UFDG crie à une action sélective de la justice guinéenne plus prompte à traquer ses militants pour le moindre motif alors que le décompte inexorable de ses morts n’a en réalité nécessité ni enquête sérieuse, ni mesures préventives dignes de ce nom. Le visage incohérent présenté par la justice du pays à l’occasion de ces tragiques événements laisse place libre aux spéculations effrénées sur les réseaux sociaux et, à juste titre, à l’idée d’une injustice à l’encontre des militants de l’UFDG, peuls pour la plupart.

Faut-il pour autant conclure à une justice « pénale guinéenne » aux élans ethniquement sélectifs, voire anti-peuls? Les contingences politiciennes et les balbutiements contradictoires des préposés de l’action publique peuvent faire pencher l’analyse en ce sens.

Toutefois, pour qui connait la machine pénale guinéenne, l’absence de poursuite pénale est la règle et les recherches dans les affaires de crimes et autres homicides font l’exception. Très souvent, à travers le pays, la routine des corps sans vie découverts dans des caniveaux, sous des ponts ou dans des marchés n’émeut plus personne. L’absence de descente du parquet sur les lieux de crime ou le défaut de mise en branle d’une enquête judiciaire digne de ce nom rompt avec la volonté tant affichée du Président de la République de faire de la Guinée un Etat de droit dans son acception judiciaire.

De ce qui précède, il est permis de penser que l’inefficacité de la chaîne de poursuite pénale et, par conséquent, l’absence de procès si ce n’est à l’encontre des plus faibles, sont les causes réelles du sentiment d’impunité et de discrimination ethnique exprimés par certains Guinéens.  Est-ce à dire que des considérations politiques n’entrent pas en jeu ? Difficile d’y répondre sans réserve.

Dans un récent jugement prononcé à Labé, un juge a condamné le préfet de la ville à un an de prison avec sursis et à une amende. C’est là une belle illustration de ce que des magistrats du pays peuvent se montrer à la hauteur des enjeux, pour autant que la chaîne judiciaire se tienne sans dysfonctionner.

Avec un peu plus de volonté politique et d’impulsions positives en termes de moyens et d’indépendance du personnel judiciaire, la promesse électorale du Professeur Alpha Condé pourrait connaitre des manifestations plus concrètes.

Mais en attendant, le sentiment d’injustice grève très sensiblement son action politique. Ce serait dommage qu’il ne continue à inspirer que ce sentiment à une bonne partie de ses concitoyens au vu de tout qu’il a voulu leur offrir et qu’il a déjà accompli pour aller vers un véritable Etat de droit.

Titi SIDIBE

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