La révolte des agriculteurs hollandais paralyse les pays-bas

Publicité

L es Pays-Bas sont quasiment bloqués depuis lundi dernier par des agriculteurs auxquels se sont joints des routiers et des pêcheurs. Curieusement, si l’information a percé dans la presse régionale (Ouest-France, Charente libre…) ou spécialisée (La France agricole) ou encore à Sud-Radio, nos médias nationaux n’en avaient encore soufflé mot ce 7 juillet.

Ce sont pourtant les premières manifestations de masse contre les contraintes imposées par l’Union Européenne au nom de la transition écologique. La contestation pourrait s’étendre à d’autres pays membres de l’UE.

Commencées dès le 22 juin dans le village de Stroe, au centre du pays, les manifestations se sont étendues à tout le pays et se sont envenimées. Le 28 juin, des agriculteurs se sont opposés à la police qui protégeait le domicile de la ministre de la Nature. Mardi soir, 5 juillet, la police néerlandaise a reconnu elle-même avoir tiré des coups de semonce à balles réelles qui n’ont pas fait de blessé mais touché un tracteur, à un rond-point de Heerenveen, en Frise, dans le nord des Pays-Bas.

En cause, un plan du gouvernement destiné à réduire les émissions de gaz à effet de serre, d’azote notamment. Les Pays-Bas sont un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre en Europe. Ce pays de 17,5 millions d’habitants, densément peuplé, compte près de quatre millions de bovins, 12 millions de porcs et 100 millions de poulets. Annoncé le 10 juin, ce plan gouvernemental vise à faire baisser les rejets d’azote jusqu’à 70 % dans 131 zones clés afin d’atteindre les objectifs environnementaux fixés en 2030 par les instances européennes.

Pour les agriculteurs, ce plan signifie, d’ici huit ans, une baisse des émissions de 40 % en moyenne, et jusqu’à 70% dans certaines zones proches de réserves naturelles ou à risque pour la qualité des eaux et des sols.

Les 12 provinces du pays doivent maintenant préparer des suggestions, qu’elles présenteront l’an prochain, pour faire baisser les gaz émis par le bétail, la construction et la circulation. Globalement, l’agriculture est tenue pour responsable de 16 % des émissions néerlandaises de gaz à effet de serre, en particulier via les engrais et le lisier.

« Nous réalisons que [ce plan] aura un impact énorme sur les agriculteurs, a déclaré vendredi dernier le Premier ministre Mark Rutte lors de sa conférence de presse hebdomadaire. Ce secteur va changer. Malheureusement nous n’avons pas le choix, nous devons faire baisser les émissions d’azote. » A ces objectifs régionaux s’ajoute un objectif national : porter « les trois quarts des zones Natura 2000 sensibles à l’azote à un niveau sain d’ici à 2030. »

Concrètement, le gouvernement ne laisse aux agriculteurs que trois options : rendre leur exploitation plus durable, la délocaliser ou cesser purement et simplement leur activité. Si l’objectif est louable, la méthode laisse à désirer…

S’estimant injustement ciblés pour ces 16% d’émissions de gaz à effet de serre par rapport aux grandes entreprises et à l’industrie, de nombreux fermiers néerlandais bloquent, avec leurs tracteurs, des autoroutes et des centres de distribution de supermarchés. Les agriculteurs ont été rejoints par des routiers et des pêcheurs qui bloquent les ports. Initié par un pays réputé des plus calmes, c’est un phénomène semblable au « Convoi de la liberté » (« Freedom Convoy ») pour protester contre les mesures sanitaires au Canada qui se profile.

Au micro d’André Bercoff sur Sud Radio (6 juillet, vidéo de 12’52 en lien ci-dessous), Philippe Herlin, économiste au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), analyse cette révolte inattendue. Il souligne qu’elle survient dans un contexte particulier : guerre en Ukraine, flambée des coûts de l’énergie, et… pénurie d’engrais venant principalement de Russie et d’Ukraine. Un moment particulièrement mal choisi pour imposer la réduction de la production agricole en Europe afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050 -dont déjà -50% d’ici 2030, objectif utopique… ou ruineux s’il était poursuivi à marche forcée. Rappelons que l’Europe n’émet que 10% de gaz à effets de serre dans le monde, la France étant pour une fois en tête des bons élèves avec 0,9 % (tandis qu’aux accords de Paris, la Chine et l’Inde ont obtenu l’autorisation de continuer d’augmenter leurs émissions de CO2 jusqu’en 2030…)

Mais il ne faut pas désespérer d’un retour au bon sens : hier, mercredi 6 juillet, une majorité de députés européens s’est dégagée pour reconnaître, au terme de deux ans d’âpres débats, que le gaz et le nucléaire seront inclus dans la taxonomie verte européenne des activités économiques durables. D’autres révisions, déchirantes pour nombre d’écologistes, pourraient suivre, s’agissant par exemple du « tout électrique » dans l’automobile…qui n’a rien d’écologique s’agissant notamment de la fabrication et de la provenance des batteries.

Philippe Oswald

In LSDJ

Publicité