La pandémie a-t-elle tué le sens du travail ?

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C ’est à se demander si continuer de travailler a encore vraiment un sens…

La pandémie et ses conséquences sur l’organisation du quotidien professionnel, entre confinement et télétravail, ont chamboulé la notion même de travail. À tel point que nombre d’emplois supposant d’être présent et de travailler dur pendant que les autres se distraient (hôtellerie, restauration…) sont actuellement confrontés à une véritable pénurie de main d’œuvre. Une nouvelle forme d’inégalité professionnelle a par ailleurs vu le jour, creusant un fossé entre ceux qui peuvent télétravailler, et organiser leur vie personnelle en conséquence, et ceux qui ne le peuvent pas. Pourtant, une majorité de Français (54%) estime que leur activité ne leur permet tout simplement pas de travailler à distance.

En entreprise, les recruteurs ressentent de plus en plus la pression imposée par une nouvelle génération de salariés. Quand les uns disent vouloir donner du sens à leurs choix professionnels, les autres montrent surtout une absence totale d’engagement au service de leur employeur. Plus largement, de la vie du couple au fait d’avoir des enfants, en passant par la vie professionnelle, c’est le fait même de s’engager qui semble – parfois – rebuter cette génération. Si le lien salarial la lie encore à son employeur du moment, le sentiment d’appartenance à une entreprise, lui, n’a apparemment pas survécu à la pandémie. Pas question de perdre sa vie à la gagner, comme disaient les manifestants bien souvent d’origine bourgeoise de Mai 1968… Certains vont même jusqu’à écarter toute offre d’emploi ne proposant pas de télétravail. Ainsi, selon une récente étude de l’Adp Research Institute, 71% des jeunes de 18 à 24 ans estiment qu’ils pourraient quitter leur job si leur employeur leur demandait de revenir à 100% en présentiel. Les mots clés du quotidien professionnel sont désormais « autonomie » et « flexibilité », au grand dam du management intermédiaire, qui perd au passage sa raison d’être dans cette nouvelle hiérarchie professionnelle aplatie. Le travail distant se fait désormais en solitaire, les outils connectés permettant en soi de mesurer la productivité réelle de chacun.

Serait-ce comme si la vie ne devait plus qu’être une adolescence sans fin ? La philosophe Fanny Lederlin, auteur de l’ouvrage Les Dépossédés de l’open space. Une critique écologique du travail (PUF, 2020), constate « l’installation, dans les rapports de travail, d’une alternative satisfaction/démission, qui semble avoir succédé à l’alternative satisfaction/revendication, qui prévalait jusqu’alors. » Elle s’apparente selon elle à « une relation consumériste : si les conditions de travail sont satisfaisantes, je reste, sinon, je pars. La dimension collective du travail semble avoir disparu. »

Pour autant, après deux ans d’essor, le télétravail ne fait plus rêver comme aux premiers jours. Une forme de lassitude semble poindre chez de nombreux Français, Allemands et Italiens, si l’on en croit l’étude tout juste réalisée par Allianz-Trade auprès plus de 3000 employés. Si la baisse des temps de trajet et une certaine flexibilité des horaires constituent de vrais plus, la disparition de toute barrière entre vie professionnelle et vie privée pose question. Sans oublier la quasi absence de relations humaines avec ses collègues, de vie d’entreprise, si la répartition du télétravail sur la semaine n’est pas bien gérée.

Judikael Hirel in LSDJ

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