Interview exclusive (deuxième partie) : « nous nous sommes trompés sur la personnalité du pr alpha condé, nous ignorions qu’il y avait un autre agenda caché … » dr. ousmane kaba

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La République de Guinée placée dans un contexte de graves crises politique et sociale enchevêtrées dans une crise économique de plus en plus aiguë se retrouve, hélas, en face d’un mur opaque, celui d’une perpétuelle et grandissante revendication sociale de sa population.

Pour analyser cette situation, la direction de Newsguinee.info vous propose de suivre la suite de la longue interview que Docteur Ousmane KABA, expert économiste et président du parti PADES, nous a accordée.

Suivez l’entretien :

En 2010, vous faisiez partie de ces personnalités qui ont battu campagne en faveur du candidat Alpha CONDE. Sans doute, vous avez réussi à convaincre beaucoup de guinéens à voter pour votre candidat. Alors Docteur, avez-vous aujourd’hui le sentiment de vous être trompé sur l’intégrité de la personnalité du professeur Alpha CONDE ou c’est plutôt le pouvoir qui a fait changer l’homme ?

-Ecoutez, vous avez raison parce que non seulement nous nous sommes battus pour l’élection du président Alpha CONDE mais rappelez-vous nous étions d’abord des candidats à ce scrutin et parmi les 24 candidats de l’époque, j’étais celui qui avait initié l’idée de l’alliance arc-en-ciel autour du candidat Alpha CONDE.

Il parait que c’est l’ex Ministre de la communication Monsieur Makanera qui l’avait initié ?

Non pas du tout, c’est différent. Makanera avait initié l’idée d’un grand parti, le ‘’RPG arc-en-ciel’’ après la montée au pouvoir du président, mais moi c’était bien avant et nous étions encore en campagne. Alors, après le premier tour, de par mon initiative, nous avons institué ‘’l’alliance arc-en-ciel’’formée à partir des autres candidats du scrutin présidentiel de 2010 et j’étais l’artisan principal de ce rassemblement autour du candidat Alpha CONDE. C’est sur la base de cette alliance que j’ai personnellement négociée, qu’il a été élu comme président de la République. Donc, je suis tout à fait d’accord avec vous que je m’étais beaucoup investi dans l’élection du candidat Alpha CONDE à la magistrature suprême de notre pays. Mais comme je l’ai dit ailleurs, on s’est trompé parce que nous ne savions pas qu’il y avait d’autres agendas outre que le développement de la Guinée.

Alors, quel est votre regard par rapport à la situation sociopolitique de la Guinée ?

Ecoutez, la situation sociale et politique que notre pays traverse est très difficile. Difficile, parce que je le dis souvent, nous avons trois crises qui se superposent en Guinée. Nous avons la crise économique, la crise sociale et la crise politique.

Pourquoi il y a une crise économique malgré le taux de croissance élevé l’an dernier et cette année aussi (rire), c’est parce que la jeunesse guinéenne est tout simplement au chômage. Nous avons un chômage massif de la jeunesse, donc on peut dire que cette crise est vraiment profonde et les raisons sont multiples.

Il y a aussi la crise sociale, nous sortons d’une grève qui n’est même pas encore finie puisque les négociations sont en cours. Les menaces du syndicat de l’éducation continuent à planer, les banquiers sont aux aguets et les autres fonctionnaires également attendent de voir.

Enfin, nous avons la crise politique. Les dernières élections ont donné lieu à beaucoup de ressentiments de la part de la population en général parce qu’il n’y a pas eu d’équité dans ces élections. De notre côté, les fraudes massives que nous avons vécues directement sur le terrain et l’implication des fonctionnaires et administrateurs territoriaux (gouverneurs, préfets, sous-préfets ndlr) étaient phénoménales. Je crois que l’administration guinéenne n’a jamais été autant politisée que maintenant. Regardez de par vous-même, nous ne sommes plus dans le Parti-Etat, nous sommes quand même dans un régime libéral dans lequel le principe de séparation des pouvoirs est consacré, la compétition entre différents partis politiques est institutionnalisée, mais c’est véritablement scandaleux de voir comment des ministres aux administrateurs territoriaux, tout le monde s’implique pour supporter le parti au pouvoir, c’est effrayant ça.

Il y a aussi une véritable crise de ce côté dans la mesure où les résultats du scrutin ont été complètement transformés dans le processus et aujourd’hui, on n’arrive même pas à élire les maires parce que c’est une élection à deux tours. Il fallait d’abord élire les conseillers, ensuite ces conseillers se réunissent pour élire les maires. Et jusqu’ici, cette deuxième phase du processus n’est pas encore possible. Il y a trop de conflits non seulement dans le processus électoral lui-même mais aussi, les coalitions constituées à l’intérieur de chaque localité sont également trop conflictogènes, c’est une véritable bagarre à ce niveau. Voilà où nous sommes aujourd’hui, ce n’est pas du tout satisfaisant. Et plus grave, je crains pour les prochaines élections notamment les législatives en 2018 qui ont été repoussé pour le premier trimestre 2019 et juste après, n’oubliez pas que le mandat du président prendra fin en 2020. Donc, il faut dire le constat est amer mais surtout que les perspectives ne sont pas tout à fait très bonnes.

Après la crise qui a secoué le RPG arc-en-ciel, vous avez été parmi ces personnalités qui ont claqué la porte au parti présidentiel et aujourd’hui vous avez votre propre parti politique que nous savons, a été créé dans des conditions très conflictogènes. Alors où en est-on avec le PADES ? Qu’est-ce qui vous a motivé de  créer le PADES ?

Ecoutez, il faut revenir au premier mandat du président Alpha CONDE. Effectivement c’est Makanera qui, en 2012 a eu l’idée de créer un grand parti autour du professeur pour assurer la stabilité politique. Moi, j’avais le parti PLUS avec lequel j’avais participé à l’élection présidentielle de 2010 et parmi les partis ayant participé à ce scrutin, j’ai été l’un des rares à accepter de fusionner avec 36 autres partis et le RPG lui-même pour créer le ‘’RPG arc-en-ciel’’. J’ai accepté cela parce que j’avais estimé que c’était la meilleure chose à faire pour que politiquement, le président Alpha CCONDE puisse être beaucoup plus rassuré et pour qu’on puisse amorcer le développement économique du pays.

Malheureusement, nous avons eu des divergences économiques, nous avons aussi eu des divergences politiques et surtout en 2016, rappelez-vous lorsque le président a prononcé un discours à connotation ethnique, je suis allé dire que je ne suis pas d’accord. Nous avions protesté et à l’époque, nous avions écrit une lettre officielle. C’est à l’issue de cela que j’ai été exclu du RPG arc-en-ciel sans même demandé mon avis, ni me rendre mon parti. Donc, je n’ai pas abandonné le RPG, j’y ai été expulsé. Voilà ce qui s’est passé mais ce n’était pas grave, moi je ne suis pas quelqu’un de vindicatif, je ne me bats pas parce que c’est un problème personnel, j’essaye toujours d’éviter les problèmes personnels parce que tout ceci n’a rien de personnel en réalité, puisque j’ai pris une position de principe que les intellectuels doivent prendre, parce que ça évite des dérapages et les guerres civiles dans les pays. Malheureusement, tout le monde n’a pas le courage de le faire et je ne le regrette pas, si c’était à refaire, exactement devant le même type de discours, je vais avoir exactement la même réactionVoilà, il faut que ceci soit clair pour tous.

Alors pour revenir à la question, il faut savoir que j’ai été entre temps courtisé par beaucoup de partis politiques et puisqu’il y a toujours un espace politique qui existe et au regard des dérapages actuels et tout, j’ai personnellement décidé de participer au débat politique en créant un autre parti politique, ce qui est le droit de tout un chacun. C’est sur cette lancée qu’un parti qui existait déjà depuis 2012, le RDI entendez rassemblement des démocrates indépendants, m’a sollicité comme beaucoup d’autres partis d’ailleurs, pour intégrer leur rang. C’est ce que j’ai fait et ils m’ont porté à la tête du RDI. Ensuite, nous avons décidé de changer de nom, ce qui est notre droit le plus élémentaire.  Le RDI est un parti reconnu et disposant d’un arrêté officiel depuis 2012 mais nous avions simplement voulu changer le nom en PADES ‘’parti des démocrates pour l’espoir’’. C’est parce que nous avions estimé qu’il n’y aurait jamais de problème à cela que nous avions fait campagne pour le compte du PADES sans que les papiers aient été changés au préalable et lorsque nous nous sommes retournés pour les changer, c’est là que nous nous sommes butés à l’obstruction du ministère de l’administration du territoire. Cette obstruction se maintien jusqu’aujourd’hui et donc nous étions obligés, pendant la dernière élection communale, de nous associer avec d’autres partis pour faire une coalition et la loi est très claire, lorsque vous faites une coalition, vous donnez le nom que vous souhaitez à cette coalition. Donc c’est ainsi que nous avions repris le nom PADES parce que c’est avec ce nom que nous avions mené campagne un peu partout à travers le territoire national. Finalement, c’est la coalition PADES qui est allée concourir lors des élections communales passées. C’est la solution juridique que nous avions trouvée au problème, mais le problème demeure. A ce jour, nous sommes à la cour suprême et je crois que le droit sera dit parce que nul ne peut dénier à un groupe de guinéens le droit d’avoir son propre parti politique même dans les dictatures les plus noires, ça ne peut pas se produire ainsi et de surcroit faire ça à quelqu’un qui a déjà sacrifié son premier parti pour constituer le RPG arc-en-ciel (rire). C’est un peu trop gros tout ça.

En guise de rappel, vous aviez  été élu député sous la bannière du parti au pouvoir, alors aujourd’hui, pensez-vous que vous pourrez être réélu à la prochaine législature sous la bannière de votre parti, le PADES ?

Vous savez le paysage politique guinéen est en train de se modifier largement. Non seulement je suis certain d’être réélu mais là n’est pas la question, je suis surtout certain d’être réélu avec un groupe parlementaire à la prochaine législature, c’est-à-dire avec au moins une dizaine de députés. Il ne faut pas oublier que le PADES en un an déjà, est devenu un très grand parti et que nous avons le soutien d’une grande partie de la population guinéenne.

Qu’est-ce qui vous permet de jauger cela ? En plus, vous dites être certain d’être réélu, alors dites-nous, à ce jour, quel est le niveau d’implantation du parti PADES en Guinée ?

-Tenez bien, malgré toute la fraude dont nous avons été victimes, il faut savoir que le parti PADES a, au terme des élections du 04 février dernier, 82 conseillers communaux sur toute l’étendue du territoire national. Donc, nous sommes déjà le quatrième ou cinquième plus grand parti politique en Guinée. Regardez les résultats officiels, vous verrez que le PADES a des délégués sur tout le territoire national, beaucoup de délégués au Fouta, ce qui va vous surprendre, beaucoup de délégués en forêt, en Haute guinée, en Basse-côte (rire), nous sommes déjà sur l’échiquier politique et nous sommes déterminés à être très important.

Le positionnement du PADES ?

Nous sommes clairement de l’opposition, mais nous ne sommes pas de l’opposition dite ‘’républicaine’’,  parce que nous ne partageons pas un certain nombre de choses avec cette dernière. Nous restons très critiques vis-à-vis du gouvernement mais ceci dit, nous ne rentrons pas dans la critique politicienne qui est celle qui consiste à tout démolir. Nous pensons que la politique doit être basée sur la vérité et chaque fois que le gouvernement pose des actes positifs, nous apprécierons ces actes, il faut être véridique et parallèlement, s’il y a des dérapages, nous les dénoncerons et les condamnerons avec la plus grande énergie.

Quelle appréciation faites-vous de la législature actuelle ? Sur ce prisme, je souhaite souligner deux points : premièrement, aucune enquête parlementaire n’a été réalisée et deuxièmement, le problème politique relatif au contentieux électoral découle en partie de l’incohérence résultant du code électoral que vous les députés aviez adopté, qu’en dites-vous ?

Ecoutez, il y a plusieurs questions-là. La question la plus simple est peut-être de savoir si nous avons une bonne assemblée nationale, sur ce point ma réponse est un non catégorique. C’est ‘’non’’, parce que l’assemblée nationale telle qu’elle existe à l’heure actuelle est une assemblée très partisane, nous avons une assemblée divisée entre le RPG et l’UFDG, de temps en temps, l’UFR joue un certain rôle. L’assemblée étant trop partisane, la première conséquence est que les lois ne sont pas discutées comme elles devraient l’être. En tant qu’assemblée nationale, nous n’avons pas pu émerger comme une entité forte sur l’échiquier politique guinéen et les deux partis dominants, continuent à dominer tous les débats.

Maintenant s’agissant de la crise post-électorale, elle n’est pas due contrairement, à ce que vous dites uniquement aux carences de la loi électorale, non pas du tout ! Vous savez, notre pays a le secret d’avoir des lois qui sont bonnes mais souvent, c’est l’application qui fait défaut.  Dans la loi, on a dit que l’administration doit être neutre, mais sur le terrain, on voit clairement que l’administration n’est pas neutre. Dans la loi, la CENI qui organise les élections est un corps indépendant, mais dans la réalité, les agents de la CENI qui sont sur le terrain au niveau de des CEPI (commission électorale préfectorale indépendante, ndlr) et CESPI (commission électorale sous-préfectorale indépendante, ndlr) n’obéissent même pas à la direction de la CENI se trouvant à Conakry. Donc, c’est une CENI qui, dans la réalité, est très affaiblie et désarticulée. Je vous donne un exemple terre à terre, pendant la centralisation, lorsqu’on a mis les délégués du PADES à la porte pour ne pas que ceux-ci assistent à cette centralisation, nous avons immédiatement appelé le président de la CENI qui a dit non c’est illégal, ce sont les partis qui concourent à l’élection qui doivent participer à la centralisation. Du coup, il a téléphoné à Kouroussa (lieux du contentieux ndlr), la situation s’est aggravée puisque maintenant ils ne se sont plus contentés d’expulser les représentants du PADES de la salle de centralisation, nos représentants ont finalement été expulsé de la cour. Et en réalité, cette situation n’était pas propre à Kouroussa seulement , c’était la même réalité un peu partout. L’analyse qu’on peut en faire est que le président de la CENI n’est pas écouté par les démembrements de la CENI. Donc, je pense qu’on a un problème qui n’est pas lié qu’aux insuffisances du code électoral uniquement. Je ne dis pas non plus que notre code électoral est parfait mais ce que je dis, c’est que la plupart des problèmes ne viennent pas des textes mais de la pratique politique en guinée.

Il y a quelques jours, le milliardaire français Vincent Bolloré a été mis en examen pour des faits de corruption d’agents publics étrangers en Guinée et au Togo. Un cas de corruption qui se serait perpétré au sommet même de notre Etat et la justice guinéenne est restée indifférente face à cette actualité. Quelle lecture faites-vous de l’état de la justice en Guinée, pensez-vous qu’elle est inféodée au pouvoir ?

Je crois qu’il y a beaucoup de questions qui sont dans la même approche. D’un côté, on parle de la justice en France et de la corruption  et de l’autre, on parle de l’état de la justice en Guinée.

Commençons peut-être par la plus simple, la justice en Guinée n’est pas très bonne, la conséquence de cela est que les gens n’ont pas confiance en cette justice.

Moi-même, j’ai été victime des dérapages de la justice guinéenne. A Kankan, lorsqu’il y a eu des tricheries et qu’on a pris les gens la main dans le sac, on a porté plainte à la justice dans les 48h qui ont suivi. Mais à notre fort étonnement, les juges ont estimé qu’on n’a pas respecté les délais, ce qui était un vrai non-sens. En conséquence, toutes nos plaintes ont été immédiatement rejetées. Et d’ailleurs, plus écoeurant encore, dans cette même ville, il n’y avait que trois avocats et tout ceux-ci avaient déjà été constitués par le RPG arc-en-ciel bien avant même le début des contestations et du contentieux (rire) . C’est vraiment de la mafia. Vous savez que l’avocat ne peut pas travailler pour deux parties en litige dans un même dossier et comme il n’y avait que ces trois avocats, que pouvions-nous faire ? cela signifie tout simplement que la fraude a bien été préméditée et que les gens ont été préparés à cela. Donc, la justice guinéenne est très suspecte vis à vis des justiciables, alors il faut en conclure qu’elle est sous l’influence de la politique.

Mais ceci ne veut point signifier qu’en Guinée, il n’y a pas de juge juste ou fiable, il y a certains juges qui sont intègres mais le système dans son ensemble est un système infiltré, défaillant, inféodé au pouvoir politique et les citoyens ont de moins en moins confiance à ce système judiciaire.

L’affaire Bolloré, c’est beaucoup plus simple, c’est une affaire qui est en justice et quand une affaire est pendante devant une juridiction, on ne doit pas la commenter. Moi je sais que la justice française est indépendante, elle est très qualifiée, elle a déjà fait ses preuves, soyons patients, laissons à la justice le temps d’instruire tranquillement le dossier et surtout n’oubliez pas qu’il y’a le principe de la présomption d’innocence. Par respect pour mes valeurs républicaines, je préfère rester très prudent là-dessus.

Si nous partons de l’hypothèse selon laquelle, Monsieur Bolloré serait condamné au terme d’un procès, avez-vous pensé aux répercussions politiques qu’une telle décision pourrait causer à notre pays en prélude à l’élection présidentielle de 2020, surtout quand on sait que ce Monsieur est notamment accusé d’avoir participé à la campagne du candidat Alpha CONDE en 2010 à travers son groupe de communication Havas ?

Moi je vous ai prévenu que je n’étais pas un bon politicien (rire).

Ecoutez, je ne peux pas spéculer dans ce domaine, ce que je sais, bien que nous ayons aidé le professeur Alpha CONDE à l’époque, moi je n’ai pas du tout participé à cet aspect de la communication avec l’agence de Monsieur Bolloré. D’ailleurs, je ne le savais pas, je l’ai su par voie de presse comme tout le monde. Je me suis plutôt battu pour constituer l’alliance qui a fait élire le professeur à la tête de notre pays. Mon rôle s’est arrêté là mais les autres aspects, je n’étais pas un acteur, je ne peux pas trop me prononcer sur ça, je pense qu’il faut faire confiance à la justice française. Elle a la capacité, l’intégrité et l’expertise nécessaire pour mener à bien ce dossier.

Le Ministre d’Etat Ibrahima Kassory FOFANA, dans l’émission les grandes gueules, a laissé entendre que tous les grands économistes du pays y compris vous, pourraient certifier ou comprendraient la nécessité d’une augmentation du prix du carburant à la pompe, que répondez-vous ?

Ecoutez, on vient de faire un accord avec le FMI en fin 2017 et chaque trois mois, ils viennent regarder comment le budget se porte. Dans cet accord-là, on s’est mis d’accord sur le budget, c’est-à-dire sur les recettes et les dépenses. Malheureusement, ces derniers temps, pour plusieurs raisons dont les raisons électorales, il ne faut pas oublier qu’il y’a eu énormément de sorties d’argents non contrôlés qui ont été distribués pendant le processus électoral, donc il y’a eu un dérapage. Le dérapage ça veut dire deux choses : il y’a eu des exonérations plus que prévues et il y’a eu des dépenses non prévues, ces dépenses non prévues sont des dépenses extrabudgétaires. Sur ce, le fond monétaire vient, il dit écouter, vous avez trop de dépenses non prévues, rectifiez le tir. Parce que si vous ne le faites pas et que vous financez le déficit par la création monétaire, on va avoir de l’inflation et l’inflation va donner lieu à des revendications sociales, celles-ci vont donner lieu à des augmentations de salaire et en même temps à des hausses non prévues de dépenses publiques encore, c’est ça on dit que le serpent se mord la queue et on rentre dans le cercle vicieux.

Donc quand les experts du FMI viennent, ce sont mes anciens collègues et je comprends très bien leur logique, ils disent « venez rectifier », cela signifie tout simplement qu’il faut réduire les dépenses et augmenter les recettes, c’est tout.

Ce sont les guinéens qui prennent leur propre budget et qui regardent, c’est à nous de dire : voilà où on peut réduire les dépenses, voilà où on peut avoir des recettes supplémentaires. Donc, c’est un choix des guinéens. Alors, on m’a demandé l’autre jour, est-ce que c’est obligatoire d’augmenter le prix du carburant, j’ai dit qu’il n’y a rien d’obligatoire en politique économique. Lorsque vous voulez augmenter les recettes, vous pouvez les augmenter sur chacune des lignes, c’est à vous de décider sur la base des chiffres que vous avez devant vous. Et Comme moi je n’ai pas participé aux dernières discussions, je n’ai pas les chiffres devant moi, il me sera alors très difficile de trancher. De toute façon, c’est au gouvernement de savoir, mais ce que je dis en tant qu’expert dans le domaine, c’est qu’à chaque fois que vous prenez une décision d’augmentation des recettes, vous touchez une partie de la population et chaque fois que vous décidez de réduire les dépenses, vous touchez aussi une partie de la population. Donc, des gens très qualifiés doivent d’abord savoir quelle est la partie de la population qu’ils peuvent toucher, c’est là qu’il y’a le problème de l’équité parce qu’en réalité, les taxes ne sont jamais neutres, les impôts ne sont jamais neutres. C’est à ce niveau que le gouvernement doit faire le choix, c’est à lui de savoir s’il peut augmenter ou non le prix du carburant. Le gouvernement sait quels sont les gens que cela peut toucher et puisque le carburant est un produit très sensible qui va toucher le transport et par ricochet l’ensemble des secteurs mais aussi toute la population guinéenne. Donc, si le gouvernement souhaite y aller, il doit être assez fort pour faire face aux mécontentements sociaux qui vont résulter de cela, est-ce qu’il sera assez fort pour résister à la pression des syndicalistes ? sur ce point, je n’en sais rien, c’est au gouvernement de le savoir.

En tant qu’économiste, je vous dis simplement qu’un gouvernement a plusieurs choix alternatifs.

Concrètement, que pensez-vous des huit millions, comme salaire de l’enseignant guinéen, exigés par le SLECG ?

Exigé ? non, je ne crois pas que le SLECG ait exigé quoi que ce soit, ce que je sais, c’est que les huit millions qu’il demande n’est que le point de départ pour les négociations.

Maintenant, est-ce qu’une augmentation peut être possible ? Je réponds oui. Mais, c’est au gouvernement de savoir quel pourrait être l’impact de cette augmentation sur le budget.

Quelles recommandations pouvez-vous formuler pour endiguer la crise ?

(Rire) Je ne peux pas répondre à cette question pour une raison très simple, on ne m’a pas demandé et je n’ai pas eu le temps de me pencher sur la question donc je ne peux pas dire ce que ce gouvernement devrait faire, c’est au gouvernement de savoir ce qu’il faut faire.

Nous sommes à l’approche d’une crise économique et sociale sans précédent, il faut bien que vous préconisiez quelque chose puisque notre économie se porte mal ?

Ecoutez, l’indicateur le plus fiable de notre économie, c’est qu’il n’y a pas de création d’emplois. Ça c’est un indicateur que notre économie ne se porte pas bien et pourquoi il n’y a pas d’emplois, c’est parce qu’il n’y a pas beaucoup d’investissements privés ni des étrangers, ni des guinéens. Ce sont les PME guinéennes qui sont les grands fournisseurs d’emplois, c’est ce qu’on oublie. A chaque fois qu’on parle d’investissement, les gens pensent tout de suite aux grands groupes miniers mais en réalité, ceux-ci ne créent pas beaucoup d’emplois pour la Guinée. Sinon la Guinée a beaucoup percé dans le secteur bauxitique où nous produisons des dizaines de millions de tonnes bauxitiques supplémentaires qui sortent de la Guinée, mais combien d’emplois ont-ils été créés ? Très peu, simplement les chauffeurs de Caterpillars, de camions, voilà l’emploi que cela peut créer. C’est pour cela que nous avons toujours insisté d’avoir dans le secteur bauxitique des usines de transformation d’abord de l’alumine, ça on peut le faire. Ensuite, de l’aluminium plus tard parce que l’aluminium demande beaucoup d’énergies. Si la Guinée avait une bonne gouvernance économique et une bonne stratégie, elle serait le paradis de l’aluminium, puisque nous avons la possibilité de faire beaucoup de barrages donc d’avoir de l’énergie, moins cher pour attirer les investissements pour l’alumine et l’

aluminium. Malheureusement, nous sommes concentrés sur la bauxite sans compter tous les dégâts écologiques que cela peut créer pour le pays et pour Boké en particulier. Donc, notre politique minière est à revoir complètement.

La politique agricole est aussi à revoir parce que nous avons été incapables d’avoir un secteur agricole performant. Il est vrai que le gouvernement a fourni des efforts en distribuant des engrais, il ne faut pas le nier, c’est une très bonne chose, mais ce n’est pas suffisant. Il faut aller filière par filière, organiser les différentes filières, connaitre les chaines de valeurs pour pouvoir les retenir en Guinée et c’est suivant ce point de vue que j’ai toujours dit de privilégier les micros-barrages à l’intérieur du pays notamment en forêt et en Haute-Guinée qui sont aussi de grandes zones agricoles, parce que cela permettrait d’implanter des unités de transformation agricole dans ses endroits. Lorsque vous avez des usines de transformation agricole, vous encouragez l’agriculture en amont qui, utilise des milliers et des milliers de jeunes, voilà ce que l’on devrait faire. Donc, en matière de politique économique, nous savons des choses et malheureusement on n’est pas écouté. Et finalement, moi je suis un peu fatigué de dire ce qu’il faut faire pour rien, parce que ça ne sert pas à grand-chose.

Depuis 2015, la Guinée s’est davantage tournée vers la Russie, la Chine et l’Inde comme nouvel axe stratégique de coopération, quelle appréciation faites-vous de cela ?

Rappelez-vous qu’à la présidence, j’étais responsable de la coopération avec la chine et que c’est moi qui ai commencé à trouver beaucoup d’argents de la chine. Malheureusement à l’époque, comme je l’ai dit tantôt, le gouvernement n’a pas écouté parce que nous avions beaucoup d’autres possibilités.

Question simple : pourquoi la Guinée, à l’instar des autres pays africains, se tourne de plus en plus vers la chine au détriment de la coopération avec les alliés traditionnels de l’occident ? C’est parce que les nouveaux pays asiatiques dont la chine dépensent beaucoup d’argents pour financer les infrastructures en Afrique, c’est aussi simple que ça. Donc, si vous voulez faire une route, eh bien vous prenez ceux qui vous financent pour votre route. C’est un choix raisonnable et j’ai été le premier à annoncer que nous devrions tout faire pour aller dans ce sens. Malheureusement à l’époque, on ne m’a pas écouté et maintenant aujourd’hui on le fait, je dis tant mieux. Je ne suis pas de ceux qui vont critiquer le gouvernement parce qu’il a une bonne relation avec la chine. Je vous ai dit que je ne suis pas dans la politique politicienne mais simplement, il faut bien négocier les termes de ces relations. Je vous donne un exemple pratique, la chine est prête à fiancer nos routes, en tant que négociateur du gouvernement, il faut demander à la chine de sous-traiter 30% de la route par exemple aux entreprises guinéennes, on le fait dans beaucoup de pays pourquoi pas ici. Et comme cela, l’impact est multiplié, nous avons l’impact pour faire la route mais aussi de l’expertise et surtout les guinéens vont s’impliquer dans les travaux publics.  C’est de cela qu’il s’agit.  Je suis donc d’accord avec le gouvernement d’intensifier la coopération vers les pays qui nous financent dont la chine, l’Inde, etc. mais cela ne veut point signifier qu’il faut abandonner les financements traditionnels des français, des américains ou des autres pays occidentaux. Nous sommes toujours à la recherche de financements de nos infrastructures donc c’est quelque chose que je ne critique pas mais je dis simplement qu’on peut améliorer le contenu.

Avec notre gouvernement, on ne produit pas suffisamment de richesses et nous avons besoin d’argents. Par rapport à cette situation, nos collaborateurs occidentaux ont un certain nombre d’exigences quant à la façon de décaisser cet argent notamment des exigences liées à l’état de la démocratie et aux droits de l’Homme or, avec ces nouveaux collaborateurs, il n’y a pas de conditionnalité de ce type quant au décaissement de l’argent,  qu’en dites-vous ?

Ecoutez, ce qu’il faut faire comme je l’ai dit tantôt, c’est à la Guinée de déterminer ses priorités. Mais il n’y a pas de différence que ce soit la chine ou même l’Europe. La dernière fois que je me suis élevé contre un financement à l’assemblée nationale c’était un financement de la BAD (banque africaine de développement ndlr), c’était relatif aux poteaux et à l’interconnexion que nous sommes entrain de faire entre le Mali, la Haute-Guinée et la forêt, j’ai trouvé que c’est stupide parce qu’il n’y a pas de sources d’énergies à distribuer. Ça veut tout simplement dire que dans nos villages, on va juste avoir des poteaux et des fils mais sans électricité aucune. Donc ce n’est pas la chine seulement, face à n’importe quel bailleur, si vous ne présentez pas un programme cohérent, le bailleur de fond pourrait financer mais ça ne veut pas dire que c’est leurs fautes, c’est notre faute à nous.

En ce qui concerne la Chine et l’Inde, si nous avons des financements, ce que nous faisons généralement, c’est de prendre des bureaux de contrôle ou des bureaux d’études ailleurs pour s’assurer de la qualité du travail qui est fait ou qui est à faire. Autrement dit, si la chine finance une route et que vous prenez un cabinet d’étude américain ou français, vous êtes au moins sûr que le travail qui est fait sera un travail de qualité. Donc, ce sont des choses que l’on peut faire pour améliorer le contenu de la coopération mais un gouvernement coopère avec celui qui est prêt à lui financer, sur ce point il n’y a aucun problème.

Selon le dernier rapport de ‘’Transparency International’’, la Guinée y est classée comme l’un des pays les plus corrompus au monde en même temps, l’un des plus pauvres de la planète, alors quelle lecture faites-vous de ce rapport ?

 Ça veut dire qu’il y’a une corrélation entre la corruption et la pauvreté, autrement dit, il y’a un lien étroit entre la corruption et la pauvreté parce qu’il est très difficile de sortir de la pauvreté un pays corrompu. Malheureusement, nous sommes l’un des pays où on respecte moins les règles de la bonne transparence notamment dans le domaine des marchés publics. Malheureusement, on a vu l’année dernière, lorsqu’il y’a eu l’audit des marchés publics que 92% des marchés publics étaient attribués gré à gré. Ça, ce ne sont que des faits, ce n’est pas une opinion de Docteur KABA ou de quelqu’un d’autre, ce sont des faits avérés. Donc à partir de là, on peut dire que malheureusement, le système est trop corrompu en Guinée. Je suis d’accord avec vous, il va falloir améliorer la gouvernance financière dans notre pays. Les fonctionnaires véreux profitent de la politique, ils sont tous là pour soi-disant, porter le président de la république , or en réalité, ils se font leurs poches. Voilà la triste vérité, il faut que le président soit un peu moins sensible aux aspects politiciens des fonctionnaires et qu’il prête une attention plus soutenue à leurs gestions, c’est de cela qu’il s’agit.

Il n’est pas interdit à un chef d’Etat de promettre ou de faire rêver ses populations, mais qu’est-ce qui manque aujourd’hui pour que ces rêves deviennent une réalité ?

Ecoutez, moi je suis plus prudent, je vais vous expliquer quelque chose.

Aujourd’hui par exemple, il y’a beaucoup de gens qui se révoltent contre le pouvoir en place pour des questions de routes ou d’électricité alors qu’auparavant, ces gens n’avaient jamais de routes ou d’électricité (rire).

En réalitéles révoltes ne se font pas parce que les routes ne sont pas faites, les révoltes se font parce que les routes ont été promises. Donc, ce sont les promesses n’ont tenues qui font que les gens se révoltentExemple pratique, à Mandiana, les gens se sont révoltés parce que leur pont n’a pas été construit et la route Mandiana – Kankan n’a pas été faite non plus, mais cette route n’avait jamais été faite auparavant, ce pont n’avait jamais existé non plus. Pourquoi c’est maintenant que les gens vont dans la rue ? Parce que tout simplement des promesses ont été tenues contre des bulletins de vote et ses promesses n’ont jamais été réalisées, voilà l’origine de ces dissensions et de ces frustrations.

Maintenant, qu’est-ce qu’il faut faire ? Il ne faut annoncer un projet que quand vous avez son financement, il faut éviter les effets d’annonce inutiles, c’est cela l’inconvénient du populisme. Le populisme consiste à promettre monts et merveilles à tout le monde en même temps sans avoir mobilisé les moyens financiers qui permettent de les réaliser. Donc, moi je pense que le gouvernement devrait être beaucoup plus grand dans sa communication, ne communiquer les projets que lorsqu’ils sont financés. Comme cela, il y aura moins de frustrations et probablement moins de révoltes de nos populations, ceci est un conseil que je peux donner.

Quand on fait une analyse économique du pays, on se rendra compte que nous nous dirigeons tout droit vers un mur, il est établi que nous avons un problème de gouvernance. A ce jour, si on vous proposait d’intégrer le gouvernement afin d’assainir nos finances publiques et de relancer notre économie, quelle serait votre position ?

Ecoutez, tout dépend de ce que l’on offre, moi je suis un patriote comme beaucoup d’autres guinéens dont le devoir est d’assister le pays, mais encore faut-il que les conditions soient clarifiées. Le fait de rentrer dans un gouvernement n’est pas une fin en soi, il faut que l’on puisse changer les choses à l’intérieur de ce gouvernement. Pour ce faire, il y’a des conditions précises ; la vie politique aussi parce que l’économie est liée à la politique, il faut une bonne politique, il faut créer les conditions nécessaires pour que la stabilité soit effective. Il faut que les partis politiques puissent pleinement jouer leurs rôles en toute responsabilité, il faut qu’ils posent des actions qui puissent positivement influencer la gouvernance du pays.

Donc, si vous me demandez, si on me proposait de rentrer  dans un gouvernement, je vous répondrai peut-être oui mais les conditions doivent être suffisamment réunies.

Pensez-vous que ces conditions peuvent être réunies sous le magistère du président Alpha CONDE ?

(Rire) écoutez, moi je ne suis pas aussi pessimiste que vous, n’oubliez quand-même pas que c’est mon grand frère.

Pour être plus sérieux, en dépit de toutes les divergences, chacun doit faire de son mieux pour que la maison GUINEE marche convenablement. Il faut que ce pays se redresse, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur d’un gouvernement, chacun devrait se battre pour que nous aboutissions, nous y avons tous intérêt.

Docteur Ousmane Kaba, merci

C’est à moi de vous remercier.

CHERINGAN

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