Dans un contexte où la jeunesse guinéenne s’enlise dans une quête quasi vaine de recherche de modèle de réussite.
On dit souvent : « Il y’a quelque chose de plus haut que l’orgueil et de plus noble que la vanité, c’est la modestie, et quelque chose de plus rare que la modestie, c’est la simplicité ».
C’est un homme simple, courtois et souriant que la direction de Newsguinee.info a rencontré pour vous, il s’agit bien entendu de Docteur Ousmane KABA, un homme plutôt assez discret avec un parcours rempli de ruptures.
Dans cette première partie de son interview, nous parlerons exclusivement de son parcours et de son choix pour l’éducation.
Suivez l’entretien:
Docteur, vous n’êtes plus à présenter dans ce pays, vous faites partie de ces rares personnalités qui sont encore considérées comme »modèle de réussite » pour la jeunesse guinéenne, mais encore on se demande quel est le véritable parcours de Docteur Ousmane KABA ?
– C’est toujours compliqué de parler de soi mais je vais tenter de simplifier.
J’ai commencé mes études dans mon village à Karifamoryah (rire), ensuite je suis parti à Conakry, j’y ai fait une année puis j’ai continué au Mali où j’ai eu mon Bac série Math-Technique-Génie civil. J’ai passé une année à l’école nationale d’ingénieurs que j’ai quittée pour aller faire l’économie à Abidjan où j’ai pu obtenir une maitrise. De là, j’ai continué à Paris, j’ai fait un DEA à la Sorbonne et j’ai terminé par un Doctorat d’Etat à seulement 27ans, c’était exactement en fin 1982. Ce qui à l’époque était un record même chez les blancs (rire). Je suis sorti ‘’Major de ma promotion’’ avec la mention ‘’TRES HONORABLE’’, félicitations du jury avec à la clé: ‘’deux prix de recherche de l’académie de Paris’’.
Juste à après l’obtention de mon Doctorat d’Etat au terme d’un concours d’entrée au FMI (Fond Monétaire International ndlr) que j’ai gagné, j’ai été recruté par cette institution comme jeune économiste.
Après trois années de service au fond monétaire, Monsieur Kerfalla YANSANE à l’époque Gouverneur de la Banque Centrale de la république de Guinée est venu me chercher avec une autorisation du gouvernement. C’est ainsi que je suis retourné au pays après être confirmé comme expert économiste. Renoncer à son salaire du FMI et venir prendre un salaire guinéen, on m’a traité de fou parce qu’à l’époque, c’était vraiment inédit, ma vie a souvent été faite de ruptures de ce type. C’est Monsieur OUATTARA (actuel président de la Cote D’Ivoire ndlr) qui à l’époque, était mon directeur au département Afrique, c’est lui d’ailleurs qui m’a autorisé à venir en Guinée, il se sent souvent responsable de mes mésaventures (rire). Voilà comment je suis revenu en Guinée dans le but d’aider la Banque Centrale à mettre en place toutes les reformes dont notre pays avait besoin.
C’est à ce titre que j’ai été nommé comme coordinateur du programme des réformes économiques et sociales parce qu’à l’époque, il n’y avait pas de Premier Ministre, donc on assurait la coordination économique et c’est l’arrivée de Sidya en tant PM qui a mis fin à ça. Après j’ai quitté la Banque centrale pour divergences avec le gouverneur Monsieur YANSANE.
A ce stade, je n’avais plus qu’un choix à faire : me retourner à Washington comme le souhaitait mon ancien directeur, ou décider de rester en Guinée. C’est ainsi qu’en 1995, j’ai fait le choix de rester au pays en fondant une école. Et ce fut justement sur le chantier de cette école que Sidya TOURE est venu me chercher pour intégrer son gouvernement en qualité de Ministre de l’Economie, des Finances et du Plan. Malheureusement, cela n’a duré que sept mois, je répète parce que les gens ont l’impression que j’ai fait une éternité à ce poste, cette aventure n’a duré que sept mois. Ensuite, j’ai été débarqué du ministère de l’économie et des finances pour être ensuite reconduit comme Ministre de la Coopération et du Plan, mais cette autre situation n’a aussi duré que huit mois. Donc au total je n’ai passé que quinze mois dans le gouvernement. J’ai été le premier à être remercié quand ils ont décidé d’abattre le premier ministre Sidya TOURE. Donc, depuis 1997 où j’ai été débarqué du gouvernement, je n’ai plus jamais rien géré en Guinée. C’est important à savoir parce que tout le monde pense qu’on est tous responsables, je dis, pas moi. Je répète, depuis vingt-un ans, je n’ai rien géré en Guinée et cela jusqu’à aujourd’hui.
Alors, regardez le paradoxe d’un spécialiste de l’économie qui n’a jamais eu de responsabilités dans son pays depuis plus de vingt ans. Un pays où on s’enfonce économiquement et tout le monde me demande comment faire des recettes pendant que personne ne veut me voir aux manettes parce que simplement, j’applique une rigueur qui ne convient pas aux gens de ce pays.
Il se dit que dans ce pays, les hommes rigoureux n’ont pas leur place. Mais Docteur, vous n’allez quand-même pas nier que le président Alpha CONDE vous a nommé après son élection ?
-Voici justement une des confusions que les gens font. Depuis 1997, je n’ai rien géré en guinée encore une fois. Le professeur Alpha CONDE m’a effectivement nommé mais c’était simplement comme Conseiller à la Présidence. A ce titre, je ne gère aucun dossier, je donne tout simplement des avis sur des dossiers. En guise d’exemple, je me suis occupé de la Chine où j’ai quand même pu négocier beaucoup de projets, mais encore une fois, en tant que simple conseiller mais là aussi, j’ai vu que ça devenait trop compliqué et je suis allé à l’assemblée nationale où on ne gère quoique ce soit.
Jusqu’à la date d’aujourd’hui, voilà un peu à quoi ressemble mon parcours. C’est un parcours, je dirais, où j’ai raté ma grande carrière d’universitaire pour avoir été ici, sinon mon travail en réalité, c’est d’écrire des livres d’économie, j’aurais rempli déjà une bibliothèque (rire).
Compte tenu de votre bagage intellectuel et de votre carnet d’adresses, vous auriez pu devenir un grand industriel ou tout simplement avoir une grande carrière internationale, mais vous avez décidé de rester et fonder une école, surtout qu’à l’époque, l’enseignement était du domaine exclusif de l’Etat, mais contre toute attente, vous avez décidé d’investir dans ce secteur . Qu’est-ce qui a motivé ce choix ? Pourquoi l’Education ?
– Ecoutez ! Moi, je suis un enseignant, j’ai toujours enseigné.
Ce que je ne vous ai pas peut-être pas dit, c’est que depuis que je travaillais au FMI, je donnais des cours de macroéconomie à Washington à l’institut du fond monétaire. Et quand je me suis retourné en Guinée, pendant que je travaillais à la banque centrale, parallèlement, je donnais gratuitement des cours de ‘’Politique économique’’ aux étudiants de la 4ème année à l’Université Gamal Abdel Nasser (la plus ancienne et la plus grande Université de la Guinée, ndlr). C’est ainsi qu’un jour, pendant que je dispensais mes cours, j’ai posé des questions du niveau 1ère année à mes étudiants du niveau 4ème et comme par magie, je n’ai obtenu aucune réponse. Mais comment étais-ce possible surtout que ces étudiants étaient tout à fait brillants. Alors j’ai creusé et je me suis rendu compte que les programmes de 1ère année n’étaient jamais achevés. Cela à cause du système de CONCOURS d’entrée à l’université qui existait à l’époque et qui faisait que les étudiants en classe de 1ère année ne débutaient effectivement les cours qu’au mois de Mars. J’ai trouvé cette situation scandaleuse et j’ai vraiment tout essayé auprès des autorités universitaires. Etant donné que la connaissance dans différents champs scientifiques, c’est comme construire une maison et chez nous, on élevait nos murs sans qu’il y ait un soubassement solide.
Maintenant, le choix de l’éducation par rapport à d’autres secteurs tel que le secteur commercial où on pourrait engranger beaucoup plus d’argents. Ecoutez, j’ai simplement estimé que l’éducation est la pierre angulaire de tout développement dans n’importe quel pays au monde. Vous savez la Guinée a un certain nombre de secteurs prioritaires et franchement la première priorité devrait être l’Education suivie par l’Agriculture parce que la majorité de la population guinéenne vit dans le monde rural, puis la Santé, l’Energie, etc.
L’importance de l’éducation n’est plus à démontrer, nous les économistes nous avons l’habitude de parler du capital humain. Il faut savoir que la qualité du capital humain détermine la trajectoire du développement d’un pays et c’est pour cela, il est si important. Du reste, si on regarde autour de nous, les pays qui investissent le plus dans l’éducation sont ceux qui ont pris le devant de la scène et il n’y a aucun hasard là-dedans, la côte d’ivoire 40% du budget national, le Sénégal la même chose. Regardez de par vous-même comment tous ces pays se sont développés. Et pendant ce temps en Guinée, tout le secteur de l’éducation (enseignement élémentaire, secondaire, supérieur, technique et professionnel ndlr) est à 13% du budget national. C’est complètement hallucinant ! Cela veut tout simplement dire que la Guinée est l’un des pays qui dépensent le moins pour l’éducation des enfants. Seulement 13% de son budget et nous étions à 11% il y a deux ans. Donc, la Guinée en tant que pays ne dépense pas beaucoup pour son éducation. Et ceci justifie beaucoup de choses aujourd’hui.
Pour résumer tout ça, c’est donc mon expérience personnelle à Gamal, ensuite il faut considérer le fait que je rentrais d’un pays (USA ndlr) où les universités privées foisonnent pour enfin terminer par le fait que notre Etat était défaillant sur ce point. Ce sont toutes ces raisons qui m’ont conduit à créer une école et en 1999, j’ai créé l’Université Kofi Annan soit quatre ans après la création de l’école qui est une école secondaire et professionnelle.
Comment êtes-vous parvenu à faire de Kofi Annan, une université capable de rivaliser avec les autres universités de la sous-région ?
-Ecoutez, il n’y a pas d’autre secret, je crois que c’est la sincérité des programmes. A Kofi Annan, on achève toujours les programmes quel que soit le coût que cela peut générer, c’est un peu la différence avec les autres universités privées. Vous savez dans le privé, on paye les enseignants par heure et c’est justement à cause de cela que la plupart des universités privées n’achèvent pas les programmes, parce que les fondateurs aiment souvent épargner et ce n’est pas mon cas. Ensuite, nous appliquons beaucoup de rigueurs dans notre système d’évaluation. Nos étudiants ne peuvent ni copier, ni tricher. Je pense que c’est à cause de cette rigueur que nos étudiants sont souvent les meilleurs dans la vie active que ce soit au niveau des entreprises privées ou de l’administration publique. Pour vous situer un peu, prenez simplement le dernier concours des magistrats, Kofi Annan parmi plus d’une cinquantaine d’universités privées, a obtenu quinze étudiants sur les cinquantes retenus. Ceci est valable dans le domaine privé également et vous pouvez le vérifier. C’est comme si je vous disais qu’à l’issue de concours sérieux, nos étudiants raflent toujours le peu d’emplois générés (rire) et il y’a aucun hasard là-dans.
Ya aucun hasard parce que non seulement nous avons beaucoup investi dans les matériels et les laboratoires, mais nous investissons énormément dans les enseignants également. Figurez-vous que pour la faculté de médecine seulement, nous faisons venir en Guinée chaque année une quinzaine d’agrégés de médecine du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Togo, d’un peu partout et même de l’Europe et Dieu seul sait que cela coûte cher.
Donc, nous sommes disposés à dépenser beaucoup d’argents pour préserver la qualité des cours qui sont donnés. Donc si vous me demandez ‘’le secret’’ il n’y a pas d’autre secret mon ami, il faut travailler, il faut croire en ce que vous faites parce que malheureusement la notion d’université, depuis 2006 dès qu’il y a eu le problème des boursiers de l’Etat, tout le monde s’est mis dans le secteur, les gens qui ne sont pas enseignants, qui n’ont aucune qualification nécessaire, ont créé des universités un peu partout, il faut être en Guinée pour voir ça, c’est extraordinaire.
En parlant de ça, vous soulevez une problématique essentielle. Tout récemment nous avons observé le gouvernement qui a exprimé sa volonté de créer de nouvelles universités publiques et d’agrandir celles qui existent déjà, vous ne vous sentez pas menacer par ces actions que l’Etat souhaite engager ?
-Personnellement non, mais peut-être que je devrais répondre en tant que président de la chambre représentative des universités privées. Il est donc certain que beaucoup d’universités privées vont disparaitre si l’Etat continue la politique qui consiste à ne pas orienter les étudiants dans les universités privées étant entendu que l’Etat donne la bourse à tous les étudiants bacheliers de Guinée. Donc, le problème fondamental à ce niveau est que le secteur privé ne peut plus absorber de bacheliers puisque tout le monde est boursier de l’Etat. En conséquence, le nombre d’étudiants dans les institutions privées a baissé de manière dramatique et au bout de deux ou trois ans, si la même politique continue, c’est sûr que plus de la moitié des universités privées vont fermer.
Maintenant si vous me posez la question de savoir si cela peut améliorer l’éducation supérieure en Guinée, la réponse est NON parce que rappelez-vous pourquoi le président CONTE en son temps a commencé à envoyer des boursiers dans les universités privées, c’était à cause de l’insuffisance d’infrastructures dans les universités publiques et malheureusement, jusqu’à ce jour, l’Etat n’a pas massivement investi dans le secteur. Il n’y a encore que des intentions mais la réalité est toute autre. La preuve, c’est qu’aujourd’hui, il y a tellement d’étudiants dans les universités publiques que les étudiants n’arrivent pas à suivre les cours, il y en a qui s’arrêtent aux fenêtres et la plupart des universités publiques n’offrent que deux jours de cours par semaine. Cela signifie que la qualité de l’enseignement a drastiquement baissé. Donc, c’est une erreur de faire l’analyse en tant que problème pour les universités privées, je pense qu’il faut poser le problème en terme d’un pays qui a le choix pour assurer l’éducation supérieure des enfants.
CHERINGAN