L a récente décision des États-Unis de relever drastiquement les droits de douane sur des produits technologiques chinois (véhicules électriques, batteries, panneaux solaires…) peut paraître lointaine pour un pays comme la Guinée. Mais en réalité, elle touche directement notre avenir économique.
Il est d’une évidence probante que ces produits reposent sur des matières premières dont la Guinée est un acteur incontournable. Notre pays détient l’une des plus grandes réserves mondiales de bauxite, indispensable à la fabrication de l’aluminium. Or, l’aluminium est un métal stratégique dans l’aéronautique, la mobilité électrique, les énergies renouvelables. De ce point de vue, le monde a besoin de la Guinée.
Et pourtant, nous restons, comme beaucoup d’autres pays africains, coincés dans un modèle d’exportation brute. La bauxite quitte le territoire guinéen sous forme de minerai non transformé, revient parfois sous forme de produit fini (à prix fort) et les revenus directs pour le pays sont souvent minimes, sans compter l’impact environnemental non maîtrisé de certaines exploitations.
La nouvelle géopolitique commerciale, marquée par la rivalité entre la Chine et les États-Unis, change la donne. Elle crée une fenêtre stratégique unique pour la Guinée et pour l’Afrique de manière plus large. Face à la volonté américaine de diversifier ses sources d’approvisionnement et de réduire sa dépendance à la Chine, nous devons nous positionner intelligemment.
Il ne s’agit plus seulement de céder des concessions minières. Il s’agit de négocier, de transformer, de maîtriser notre destin économique.
Voici les leviers concrets que la Guinée peut (et doit) activer :
- Accélérer la transformation locale de la bauxite en alumine, puis en aluminium. Des projets existent, ils doivent devenir une priorité nationale.
- Renégocier les partenariats miniers pour y inclure et y renforcer des obligations d’investissement industriel et de transfert de technologie.
- Créer des zones économiques spécialisées, où les jeunes Guinéens puissent être formés, employés et valorisés dans les métiers de demain. (ou accélérer le processus)
- Adopter des normes environnementales et sociales fortes, qui feront de nos minerais des produits responsables, demandés sur les marchés internationaux.
- S’appuyer sur la ZLECAf pour intégrer une stratégie régionale de transformation des ressources, et négocier en bloc avec les grands acheteurs mondiaux.
Dans cette perspective, la Vision Simandou 2040 représente un catalyseur fondamental. En misant sur la transformation locale du fer extrait de l’un des plus grands gisements inexploités au monde, ce programme offre une perspective à long terme de création de valeur, d’industrialisation et d’intégration aux chaînes d’approvisionnement mondiales. Si ce projet est conduit avec rigueur, transparence et ambition, Simandou peut incarner l’entrée réelle de la Guinée dans l’ère de la souveraineté économique.
Les récents décrets du président de la transition sont encourageants, le Général Mamadi Doumbouya, a retiré les permis miniers restés inactifs ou non conformes aux obligations contractuelles. Cette décision conforme au Code minier guinéen, envoie un message clair : l’ère des promesses sans exécution est révolue. Seuls les projets porteurs de transformation, créateurs d’emplois et respectueux des engagements auront leur place dans la nouvelle dynamique du secteur extractif guinéen.
La Guinée ne manque ni de ressources, ni de jeunesse, ni d’ambition. Ce qui nous manque, c’est la mise en cohérence de nos choix économiques avec les nouvelles réalités du monde. Car il ne suffit plus d’être riche en sol. Il faut devenir riche en valeur ajoutée.
L’heure est venue pour la Guinée de ne plus être seulement la réserve de matières premières de l’industrie mondiale, mais l’un des ateliers stratégiques de la nouvelle économie verte.
Les droits de douane imposés par les USA ne sont pas qu’un affrontement entre puissances : ils sont un signal d’alerte, une occasion historique. À nous de la saisir.
Mohamed Sylla
Analyste juridique et observateur des enjeux socio-économiques en Afrique/Strasbourg