Diplômé sans emploi : ’’le métier de taxi-moto…c’est un métier noble’’. souleymane bah

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La  crise sociopolitique enregistrée depuis quelques années en Guinée affecte parfois l’orientation du système éducatif du pays. L’adéquation entre le système éducatif national et le monde du travail semble connaître un écart de plus en plus important, que ce soit en quantité (nombre de diplômés à la sortie) ou en qualité (filières académiques et qualité de la formation). Ils sont chaque année des milliers de jeunes diplômés à se retrouver sur le marché de l’emploi. Mais seuls quelques centaines d’entre eux arrivent à décrocher leurs premiers CDD ou CDI. Beaucoup d’entre eux estiment qu’il est du devoir de l’Etat guinéen de leur fournir un emploi. De ce fait,  il n’est pas rare de voir en journée ces jeunes diplômés sans emploi aux devantures des maisons familiales ou chez des camarades, sirotant du thé pour combler leur oisiveté. C’est pour  se distinguer des autres étudiants diplômés que Souleymane Bah, diplômé en  droit et développement communautaire à préférer se convertir en conducteur de mototaxi.

Newsguinee.info : Bonjour Souleymane Bah

Souleymane Bah : Bonjour

Newsguinee.info : vous êtes diplômé de droit et vous conduisez le mototaxi ?

Souleymane Bah : A un moment j’avais abandonné les études après avoir échoué au concours d’entrée aux institutions d’enseignement Supérieur de Guinée. Je suis détenteur des diplômes d’enseignement secondaire du baccalauréat (première et deuxième partie) en 2004. J’ai fait les 3 cycles de l’ISFAD (ndlr l’Institut Supérieur de Formation à Distance) et comme beaucoup d’autres jeunes diplômés sans emploi. Je me suis retrouvé sans emploi et à fréquenter les coins de préparation du thé.

Newsguinee.info : Comment vous est venue  l’idée de faire le transport des personnes ?

Souleymane Bah : j’utilisais déjà cette moto  pour mes courses personnelles. Mais vu la crise et les multiples échecs à la recherche d’un emploi dans le droit et développement communautaire et comme il fallait trouver de quoi vivre, j’ai tenté ma chance dans le transport de taxi moto et ça a marché.

Newsguinee.info : Qu’entendez-vous par  ça a marché ?

Souleymane Bah : avant je dépendais de l’assistance de mes parents et  de certains grands frères commerçants et d’autres fonctionnaires. Mais depuis que j’ai débuté ce métier de conducteur de mototaxi, je gagne mieux  ma vie, ça me permet de faire face au besoin quotidien de la famille. Bref ce boulot de conducteur de mototaxi me permet de survivre.

Newsguinee.info : ils sont nombreux parmi les diplômés à espérer s’inscrire sur la liste des travailleurs de la fonction publique. Cela n’est pas votre cas ?

En tant que jeune intellectuel, il faut être en mesure de créer des activités rémunératrices. Il n’y a pas de sot métier, mais il y a d’autres jeunes  diplômés qui n’accepteront jamais de faire cette activité.

Newsguinee.info : mais vous, vous avez acceptez de le faire…

Je suis marié et père de deux enfants je préfère me débrouiller dans ce job que de demander aux parents ou certaines connaissances mieux placées. Il est inadmissible pour moi en tant qu’homme de baisser les bras. Peut-être avec le temps la situation sociale du pays changera.

Newsguinée.info : il n’est pas aussi facile aujourd’hui de faire le taxi-moto à Conakry, surtout qu’on n’a pas besoin de diplôme, il suffit d’avoir une moto…

Souleymane Bah : vous savez ce métier de taxi-moto, c’est un métier noble partout où vous vous rendez aujourd’hui, vous trouvez des taxi-motos. ET ce,  malgré les multiples difficultés que nous rencontrons.

Newsguinee.info : quelles sont les difficultés que vous rencontrez?

Souleymane Bah : Il y a des clients qui sont difficiles à gérer. Certains d’entre eux sont des bandits qui peuvent te faire descendre de ta moto, en te proposant de choisir entre la vie et la mort. C’est le reflet de  l’insécurité qui gangrène notre capitale. Mais aussi la tracasserie policière demeure un frein dans les activités des conducteurs de mototaxi. Autres difficultés rencontrées : ce sont des bandits déguisés qui volent des sacs à main des piétons en se faisant passer pour un conducteur de mototaxi. Ce qui entache la crédibilité du métier. Il y a également des fonctionnaires ou d’autres citoyens qui font le transport de mototaxi aux heures de pointe pour arrondir leur fin de mois.

Newsguinee.info : il y a des clients qui se plaignent du manque de courtoisie de certains d’entre vous, que pensez-vous de cela ?

Souleymane Bah : le manque de respect est réciproque, parmi nous les taxis motards il y en a certains qui ne sont pas disciplinés. Certains n’ont pas été à l’école, d’autres ont été sans savoir pourquoi ils ont été à l’école. Pour moi c’est la faute au syndicat des transports : ils doivent comprendre que leur rôle va au-delà de vendre des tickets de stationnement  ils doivent faire aussi l’éducation civique de ces jeunes. La même chose pour le ministre des transports Oyé Guilavogui, qui doit d’abord les protéger, mais ensuite les faire bénéficier des cours d’éducation civique sur le respect du code de la circulation routière. Mais également le ministre de la sécurité et de la protection civile doit élaborer des stratégies de protection pour assurer la sécurité des conducteurs de moto qui transportent des clients dans tous les coins de la ville et sa périphérie.

Newsguinee.info : est-ce que vous êtes organisé entre vous conducteurs de taxi-moto ?

Souleymane Bah : toutes les lignes de taxi moto sont structurées. Il y a un bureau mais aussi à travers le gilet on peut identifier un conducteur.  Ce bureau, par endroit est composé d’un  président, d’un chef de ligne, il y a le chargé de la sécurité. Dans tous les grands ronds-points et intersections de la capitale, si vous n’avez pas de gilet, on vous retire votre engin qu’on met à la fourrière et il faut payer de l’argent pour récupérer la moto.

Newsguinée.info : Le comportement des conducteurs de moto taxi est très mal apprécié par les agents de la sécurité routière. Qu’est ce qui explique cela ? Il semblerait que les taxi motos soient impliqués dans des cas d’accidents réguliers.

Souleymane Bah : parfois ce sont ces mêmes policiers qui provoquent ces accidents. Comment pouvez-vous expliquer un policier qui se dresse subitement devant un motard en pleine circulation et retire la clé de la moto. Avant-hier dans la commune de Kaloum, devant la Sureté dans le quartier Coronthie, un policier s’est lancé devant ma moto il a tenté de retirer la clé. Je me suis opposé avant d’attraper sa main. Et lui demander : « qui ta autorisé de prendre ma clé ?       Parce que tu roules ici sans papier

–    Parce que tu roules ici sans papier

–    Qui ta dit que je n’ai pas de papier ?

–    Alors présente tes pièces ou je gare ta moto à la fourrière

C’est grâce à un de ses chefs hiérarchiques à qui j’ai présenté toutes mes pièces (carte grise, vignette, assurance) au complet que je me suis libéré de ce policier qui me demandais de payer 50.000 FG.

Newsguinee.info : comment expliquez-vous aujourd’hui que des conducteurs de ces engins à deux roues n’aient aucune pièce sur eux ?

Souleymane Bah : c’est regrettable de circuler sans aucune pièce d’identité, mais il faut souligner aussi le comportement inadmissible de certains policiers dans la circulation, c’est pour cela que d’autres ne s’intéressent même pas aux papiers : des policiers préfèrent quelques billets de francs guinéens que d’être rigoureux à l’endroit des taxis motards indélicats (pas de chaussures fermées, pas de casque, parfois pas de plaque d’immatriculation et manque de pièces)  dans le contrôle des pièces de la moto. Il faut qu’on soit parfois sévère.

Newsguinée.info : est-ce que vous êtes solidaire entre vous ?

Souleymane Bah : je ne connais pas pour toutes les lignes de mototaxi à Conakry. Mais chez nous, nous sommes très unis en cas de problème envers la sécurité, en cas de cérémonie de baptême, de mariage ou de décès nous cotisons et nous assistons nos collègues d’une même ligne. Ce que nous regrettons c’est le comportement de nos syndicats qui ne jouent presque pas leur rôle.

Newsguinee.info : avez-vous un message à l’endroit de vos confrères de la circulation ?

Souleymane Bah : à mes frères qui pratiquent ce métier, je lles invite à prendre conscience que la coque d’une moto c’est le conducteur, donc d’être prudents dans la circulation. Aussi de rouler doucement s’ils rencontrent un client qui est pressé, de le conseiller de prendre une autre moto. Aux clients aussi de savoir que même s’ils payent de l’argent pour leurs courses, ces jeunes conducteurs leur rendent un grand service. Aux autorités de la police routière de mieux sécuriser les conducteurs de moto taxi.

Newsguinee.info : merci beaucoup Souleymane

Souleymane Bah : c’est à moi de vous remercier

 Une interview réalisée par Mohamed BAH

 

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