A l’approche de la présidentielle de 2025, la Guinée traverse une campagne électorale d’un genre inédit. Alors que le pays avait été marqué par de fortes tensions lors du scrutin de 2020, la compétition politique actuelle se déroule dans un climat globalement apaisé. Cette évolution s’inscrit dans un contexte où, sous la présidence de Mamadi Doumbouya, l’État continue de fonctionner et des décisions majeures sont mises en œuvre pendant le temps électoral.
En Guinée, toutes les campagnes électorales ne se ressemblent pas. Certaines s’inscrivent dans une routine institutionnelle, d’autres réveillent des fractures politiques, sociales et territoriales anciennes. La campagne électorale actuelle ne peut être comprise sans un retour méthodique sur les cycles précédents, en particulier celui de 2020, tant les mémoires collectives restent marquées par les tensions de cette période.
Il ne s’agit pas ici de raviver les clivages, mais de rappeler les faits, d’en tirer les enseignements et d’évaluer, à la lumière du présent, les évolutions observables dans le paysage politique guinéen.
Une polarisation politique ancrée depuis plus de 20 ans
La Guinée se caractérise par une diversité ethnique et régionale riche, au sein de laquelle deux groupes démographiques majoritaires, les Peulhs et les Malinkés, occupent une place centrale. Depuis plus de vingt ans, cette réalité sociologique a progressivement structuré les comportements électoraux, sans jamais être officiellement revendiquée par les acteurs politiques, mais en influençant durablement les dynamiques de vote.
Au fil des scrutins, les allégeances électorales se sont territorialisées. La Moyenne-Guinée, et en particulier le Fouta-Djallon, s’est imposée comme un bastion durable de l’opposition, tandis que la Haute-Guinée est devenue un espace de forte mobilisation en faveur du pouvoir en place sous la présidence d’Alpha Condé, issu de l’ethnie malinké.
Cette configuration a installé une lecture duale du champ politique, où les campagnes électorales se sont progressivement transformées en affrontements symboliques entre territoires perçus comme acquis à tel ou tel camp.
La présidentielle de 2020: un moment de tension extrême
La campagne présidentielle de 2020 a constitué l’aboutissement de cette polarisation. Les tensions latentes se sont traduites par des incidents graves dans des régions hautement symboliques.
Le 29 septembre 2020, à Labé, dans le Fouta-Djallon, région majoritairement acquise au candidat de l’opposition Cellou Dalein Diallo, le cortège du Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana, également directeur de campagne du président sortant Alpha Condé, a été la cible de jets de pierres à la sortie d’un meeting. Plusieurs véhicules avaient été endommagés et des occupants blessés, selon un communiqué officiel relayé par Guineenews.
Quelques jours plus tard, en octobre 2020, c’est le cortège du candidat de l’opposition Cellou Dalein Diallo qui a été bloqué à l’entrée de Kankan, en Haute-Guinée, fief traditionnel du pouvoir d’alors, comme l’ont rapporté VOA Afrique et Le Point Afrique.
Ces deux événements, survenus dans des bastions politiques opposés, illustrent une réalité souvent occultée : la violence électorale de 2020 n’avait épargné aucun camp et traduisait un climat de confrontation généralisée.
Diviser pour régner : une logique de blocage
Sous la présidence d’Alpha Condé, la gouvernance s’est exercée dans un contexte de contestation permanente. Les mobilisations de rue, les appels à la désobéissance civile et une communication politique fortement polarisée ont contribué à installer un climat de tension quasi continu.
De son côté, l’opposition, forte d’un ancrage électoral régional solide, a elle aussi structuré sa communication autour de ces clivages, rendant la confrontation inévitable et le pays politiquement inflammable à chaque échéance électorale.
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Après le 5 septembre 2021, une inflexion discursive apparaît dans le débat public. L’expression « tuer l’ethnie », largement commentée, visait non pas à nier les identités, mais à dénoncer l’ethnocentrisme politique comme un frein majeur au vivre-ensemble, à la cohésion nationale et au développement.
Il s’agissait de rompre avec une pratique politique consistant à instrumentaliser les appartenances communautaires pour conquérir ou conserver le pouvoir, et de réorienter le débat vers une citoyenneté fondée sur l’intérêt général.
La campagne de 2025: des signaux inédits
La campagne électorale actuelle offre des signaux qui contrastent fortement avec les séquences précédentes.
Le 12 décembre 2025, le candidat Abdoulaye Yéro Baldé, d’ethnie peulhe, a été reçu à Mandiana, en Haute-Guinée, par les notabilités locales, dans une ambiance marquée par la ferveur et l’appel à la cohésion sociale, selon le journal Horoya.
Dans le même temps, la campagne du président Mamadi Doumbouya s’est structurée à Labé, région historiquement associée à l’opposition. Le 15 décembre 2025, le quartier général régional de la Génération pour la Modernité et le Développement (GMD) y a été inauguré en présence du Premier ministre Bah Oury, directeur national de campagne, comme l’a rapporté Guineematin.
Ces séquences auraient semblé difficilement envisageables lors de la campagne de 2020.
Campagne électorale et développement : l’État en action
Parallèlement à la campagne électorale, la Guinée connaît des évolutions économiques majeures. Le lancement des travaux de la raffinerie d’alumine de Boké, porté par le consortium WCAG, marque une étape stratégique dans la volonté de transformer localement les ressources minières. En 2024, les exportations de bauxite ont atteint des niveaux records sous l’effet de la forte demande mondiale, renforçant le débat sur la nécessité de créer davantage de valeur ajoutée sur le territoire national.
Cette orientation est portée au plus haut niveau de l’État, avec un rôle central joué par Djiba Diakité, ministre Directeur de cabinet de la Présidence et président du comité stratégique Simandou 2040, qui incarne la volonté de structurer des chaînes de valeur industrielles durables.
Dans le secteur agro-industriel, la dynamique est également perceptible.
Le 12 décembre 2025, la ministre Dr Diaka Sidibé s’est rendue à Dabola pour constater l’état d’avancement de la pré-relance de l’huilerie, unité héritée de l’indépendance, appelée à jouer un rôle clé dans la souveraineté alimentaire et la substitution des importations.
Le 14 décembre 2025, elle s’est déplacée à Kankan pour évaluer les travaux préparatoires à la remise en service de l’usine de jus de fruits, longtemps restée à l’arrêt, selon iMedias.
Une campagne apaisée, une rupture historique
Dans cette campagne électorale, certaines lectures continuent de s’appuyer sur les codes classiques de la mobilisation politique. Or, les faits observables racontent une autre histoire. Pour la première fois depuis plusieurs cycles électoraux, la Guinée traverse une campagne présidentielle sans violences majeures, sans pertes humaines et sans destructions matérielles significatives.
Ce climat apaisé n’est pas le fruit du hasard. Il s’inscrit dans une dynamique où l’action publique se poursuit, les institutions fonctionnent et les projets structurants avancent, traduisant une conception du leadership fondée sur la stabilité, la continuité de l’État et la préservation de la paix civile.
La campagne électorale de 2025 marque ainsi une rupture silencieuse mais significative dans l’histoire politique récente de la Guinée. Là où les précédents scrutins avaient laissé place à la confrontation et à la violence, le pays traverse aujourd’hui une séquence électorale apaisée.
Cette évolution traduit une autre manière d’exercer le pouvoir et d’aborder le temps électoral, où les actes, la stabilité et le développement parlent plus fort que les tensions. Une campagne qui, à bien des égards, redéfinit les repères politiques du pays.



