Q ui seraient les gagnants et les perdants du sommet de l’OTAN qui s’est tenu à Vilnius la semaine dernière ?
Pour certains, le sommet a été un triomphe pour le leadership américain d’une alliance nord-atlantique paradoxalement revigorée par Vladimir Poutine malgré lui, un retour en force de la politique étrangère de Joe Biden, qui avait atteint son point le plus bas lors du retrait américain de Kaboul en 2021. En Russie, cependant, les propagandistes d’État ont présenté Vilnius comme un cinglant échec pour Volodymyr Zelensky, étant donné que l’Ukraine n’a reçu aucun calendrier pour rejoindre l’OTAN. Pour d’autres, la grande nouvelle a été l’abandon surprenant de l’opposition de la Turquie à l’adhésion de la Suède à l’alliance. On pourrait même dire que le président turc Erdogan apparaît comme le principal bénéficiaire du sommet, qui a exposé les leviers diplomatiques considérables dont jouit Ankara en ce moment pour la poursuite de ses intérêts. Surtout dans la situation actuelle où la Turquie est le seul membre de l’OTAN à avoir conservé des liens significatifs avec la Russie et donc la possibilité de négocier avec les deux acteurs du conflit en Ukraine.
Le président ukrainien n’a certes pas masqué sa déception initiale à Vilnius, qualifiant d’ « absurde » l’absence d’invitation formelle à rejoindre l’OTAN. Le britannique Ben Wallace a par ailleurs irrité Kiev en disant que l’Ukraine devrait montrer plus de « gratitude » envers l’Occident et que la Grande-Bretagne n’était « pas Amazon » quant aux livraisons d’armes. Le sommet peut néanmoins être considéré comme un succès partiel pour l’Ukraine. Il est largement admis qu’il est presque impossible pour l’OTAN de donner une date pour son adhésion tant que dure la guerre avec la Russie, en raison du risque élevé d’un conflit direct entre Moscou déclenché par le fameux article 5 du traité de l’alliance sur la défense collective. Toutefois, Kiev a obtenu plus que des expressions informelles de sympathie, sous la forme de la création d’un conseil OTAN-Ukraine et d’une déclaration commune de soutien des pays du G7.
Lors du sommet, le président turc Erdogan a d’abord conditionné son acceptation de la candidature suédoise à l’OTAN à la réouverture des discussions sur l’adhésion de la Turquie à l’UE, avant de finalement accepter l’adhésion de la Suède le lendemain. Ayant brandi des propos nationalistes et plutôt anti-occidentaux avant sa réélection en mai 2023, il semble pour beaucoup d’analystes qu’Erdogan aurait calculé qu’il serait mieux servi actuellement par un virage pro-occidental. Parmi certains facteurs de motivations possibles, on cite son besoin de chercher des capitaux étrangers face à une crise économique domestique persistante mais aussi le fait qu’une relation trop étroite avec Moscou pourrait nuire à Ankara. Même si Erdogan décrit toujours Poutine comme son « ami » , la Turquie a récemment agacé la Russie en soutenant l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et en libérant des combattants du bataillon Azov. C’est dans ce contexte qu’un responsable russe de la défense a parlé de la transformation de la Turquie « d’un pays neutre en un pays inamical. »
Pour l’OTAN, Erdogan apparaît ainsi comme un allié difficile mais incontournable. Difficile : voyant ses tentatives de profiter du droit de veto de la Turquie envers la candidature suédoise pour obtenir des concessions dans d’autres dossiers, comme l’entrée de la Turquie dans l’UE ou la fourniture par Washington d’avions de combat F-16 à Ankara. De nombreux commentateurs ont considéré que la décision américaine d’autoriser le transfert des F-16 (valeur 20 milliards de dollars) à la Turquie en consultation avec le Congrès n’a pas été une coïncidence au changement de position turque envers la Suède, bien qu’Erdogan l’ait nié.
Même au-delà de son opportunisme évident et de ses relations ambiguës avec Moscou, nul ne cache les zones d’ombre entre Erdogan et l’Occident, dont son autoritarisme (surtout depuis la répression de la tentative de coup d’État de 2016) et les tensions historiques entre la Turquie et la Grèce, membre de l’OTAN. Tout comme le problème de Chypre, dont la totalité de l’île – y compris la partie occupée par les forces turques depuis 1974 – appartient à l’UE. Ankara semble toutefois souhaiter un rapprochement avec Athènes ; le sommet de l’OTAN a notamment vu la première rencontre depuis 16 mois entre Erdogan et le premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis. Seul l’avenir nous dira si cette ouverture apparente envers la Grèce et l’Occident plus généralement tiendra, ou s’il sera sacrifié au moment voulu par celui que POLITICO a récemment décrit comme le « maître du marchandage de la politique mondiale » .