Projet de nouvelle constitution : quelle est l’institution habilitée à engager les guinéens ?

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D ans un débat d’idées, la difficulté première semble résider dans la recherche et la formulation de la vraie bonne question qui permet de donner la bonne réponse.

Le débat en cours, aujourd’hui, en Guinée, a pris une grande ampleur parce qu’il a rapidement cessé d’être affaire de spécialistes et a pris des proportions insoupçonnées et imprévisibles, dès qu’il a été porté sur la place publique. Ce qui a rendu le débat davantage populaire, c’est le fait que dans l’imaginaire des masses populaires, comparaison suffit à avoir raison et permet d’indexer celui qu’elles jugent être le responsable de leur misère. C’est pourquoi, la sérénité du débat en cours est d’importance parce qu’elle peut contribuer à contenir les débordements de tous genres et à maintenir le cap dans la recherche et la  formulation de la vraie bonne question.

La vraie bonne question pourrait être formulée de la manière suivante : Existe-t-il dans la Constitution du 7 mai 2010 une disposition qui investit explicitement ou implicitement, d’un mode d’exercice de la Souveraineté nationale, quelque organe public constitutionnel que ce soit, en particulier un Président de la République en exercice, élu au suffrage universel direct, et l’habilite de jure à prendre l’initiative de la rédaction d’une Constitution et à la proposer à référendum ?

Si cette disposition existe, alors le Président de la République en exercice, en l’occurrence le président guinéen Alpha Condé est constitutionnellement apte à  prendre l’initiative de la rédaction d’une Constitution, y compris une nouvelle Constitution et à la proposer à référendum.

Il est donc indispensable de se livrer à une recherche dans la Constitution du 7 mai 2010 et de trouver tous les textes, tous les articles qui sont consacrés d’une part, à la Souveraineté nationale et, d’autre part, au Président de la République, dans son rapport à la Souveraineté nationale, dans la mesure où ce rapport existe. C’est de la confrontation critique des textes de ces articles qu’on pourrait parvenir à établir l’existence ou non du rapport du Président de la République à la Souveraineté nationale et son investiture ou non de l’unique mode d’exercice de cette Souveraineté, consacré par la Constitution du 7 mai 2010 et par conséquent à pouvoir conclure que le Président de la République en exercice, en l’occurrence le président guinéen Alpha Condé est constitutionnellement apte ou non à prendre l’initiative de la rédaction d’une Constitution, y compris une nouvelle Constitution et à la proposer à référendum.

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Il résulte de la recherche, parmi les cent soixante deux articles que compte la Constitution du 7 mai 2010, que seuls les articles 2, 51 et 152 sont consacrés, le premier, l’article 2, à la Souveraineté Nationale, et les deux autres, les articles 51 et 152, au Président de la République, l’un l’autorisant à soumettre à référendum tout projet de Loi portant sur « l’organisation des pouvoirs publics, sur la promotion et la protection des libertés et des droits fondamentaux, ou l’action économique et sociale de l’Etat, ou tendant à autoriser la ratification d’un Traité » ; l’autre concernant « l’initiative de la révision de la Constitution [qui] appartient concurremment au Président de la République et aux Députés. »

C’est l’examen critique de ces articles qui permettra d’établir que, dans son rapport à l’exercice de la Souveraineté nationale, dans la mesure où ce rapport existe, un organe public constitutionnel, en l’occurrence le Président de la République en exercice est ou non investi de l’unique mode d’exercice de la Souveraineté nationale, consacré par la Constitution du 7 mai 2010, à savoir celui inhérent à la qualité de représentant élu du Peuple.

EXAMEN CRITIQUE DES ARTICLES 2, 51 ET 152 DE LA CONSTITUTION DU 7 MAI 2010 :

  • Article 2 :
  • La souveraineté Nationale appartient au Peuple qui l’exerce par ses représentants élus ou par voie de référendum.
  • Aucun individu, aucune fraction du Peuple ne peut s’en attribuer l’exercice.
  • Le suffrage est universel, direct, égal et secret.
  • Dans les conditions déterminées par la Loi, sont électeurs tous les Citoyens guinéens majeurs, de l’un et l’autre sexe, jouissant de leurs droits civils et politiques.
  • Les élections sont organisées et supervisées par une Commission Electorale Nationale Indépendante.
  • La souveraineté s’exerce conformément à la présente Constitution qui est la Loi suprême de l’Etat.
  • Toute Loi, tout texte réglementaire et acte administratif contraires à ses dispositions sont nuls et de nul effet.
  • Le principe de la séparation et de l’équilibre des Pouvoirs est consacré.
  • Première observation :

C’est cet article 2 qui constitue le point de départ de la recherche devant établir qu’un organe public constitutionnel, en particulier le Président de la République en exercice, en l’occurrence le président guinéen Alpha Condé, est constitutionnellement apte ou non à prendre l’initiative de la rédaction d’une Constitution, y compris une nouvelle Constitution et à la proposer à référendum. Pourquoi l’article 2 est-il constitutif de ce point de départ ? Parce qu’il est seul, parmi les cent soixante deux articles que compte la Constitution du 7 mai 2010 à pouvoir fournir la base constitutionnelle et par conséquent les éléments de réponse à la question : un organe public constitutionnel, en particulier le Président de la République de Guinée, élu au suffrage universel direct, puis réélu, sous l’empire de la Constitution du 7 mai 2010, est-il en mesure de se prévaloir ou d’exciper d’une disposition constitutionnelle l’habilitant explicitement ou implicitement à prendre l’initiative de la rédaction d’une Constitution, y compris une nouvelle Constitution et à la proposer à référendum? En effet, puisque la Souveraineté nationale n’appartient qu’au Peuple et que lui, seul, l’exerce par ses représentants élus ou par référendum, il en résulte que le pouvoir de doter l’Etat d’une Constitution qui en est la Loi suprême, ou de remplacer la Constitution existante par une nouvelle Constitution, ne peut appartenir qu’au Peuple et à lui seul qui l’exerce par ses représentants élus. Or le Président de la République Alpha Condé, premier et principal organe du Pouvoir Exécutif, chef de l’Etat guinéen, n’est pas un représentant élu du Peuple, au sens de l’article 2 de la Constitution du 7 mai 2010. Bien qu’élu, puis réélu au suffrage universel direct, il demeure un organe public constitutionnel, c’est-à-dire un rouage de l’Etat guinéen, un des modes d’existence organique de cet Etat, institués par les rédacteurs de la Constitution du 7 mai 2010. Le principe de la séparation et de l’équilibre des Pouvoirs de l’article 2, dernier alinéa de la Constitution du 7 mai 2010 interdit aux organes publics constitutionnels des Pouvoirs Législatif, Exécutif et Judiciaire, d’interférer. On pourrait exprimer cela, sur le mode prosaïque, de la manière suivante : un organe public constitutionnel, par exemple le chef de l’Etat, ne saurait être à la fois organe public constitutionnel et, par exemple, représentant élu du peuple ; ou encore un représentant élu du peuple, par exemple un député, ne saurait être à la fois représentant élu du peuple et, par exemple, organe public constitutionnel. C’est ce cumul qui est interdit par le principe de la séparation et de l’équilibre des trois Pouvoirs, Législatif, Exécutif et Judiciaire car sans cette interdiction, ce cumul mènerait droit à une concentration des pouvoirs et, conséquemment, à la dictature. C’est à Montesquieu que l’on doit ce grand principe de la séparation et de l’équilibre des Pouvoirs. En conséquence on ne saurait trouver dans la Constitution du 7 mai 2010 une disposition qui érigerait le Président de la République en exercice, en l’occurrence le président guinéen Alpha Condé,  en un représentant élu du peuple au sens de l’article 2 de la Constitution du 7 mai 2010.

  • Deuxième observation :

Dans aucun des huit alinéas de l’article 2 de la Constitution du 7 mai 2010, n’a été fait mention d’aucun des organes publics constitutionnels des trois Pouvoirs Législatif, Exécutif et Judiciaire, en particulier du premier et plus important organe du Pouvoir Exécutif, en l’occurrence le Président de la République Alpha Condé, qui est sans doute élu au suffrage universel direct, mais n’est pas, ne saurait être de ce fait un représentant élu du Peuple, au sens de l’article 2 de la Constitution.

Il a, en effet, été élu au suffrage universel direct, non pour être un représentant élu du Peuple, par exemple un député d’une circonscription électorale, mais pour être un organe public constitutionnel, un rouage de l’Etat, le chef de cet Etat qui a la forme républicaine, c’est-à-dire où la fonction de chef de l’Etat n’est pas héréditaire. Ce défaut de mention n’est donc dû ni au hasard ni à un oubli de la part des rédacteurs de la Constitution du 7 mai 2010, représentants élus du Peuple. Ces représentants élus, sont seuls constitutionnellement désignés et appelés à siéger dans une Assemblée, l’Assemblée Constituante chargée de l’élaboration et de l’adoption d’une Constitution. Les circonstances historiques particulières qui ont présidé à la rédaction de la Constitution du 7 mai 2010 suffisent à expliquer et à justifier le fait que les rédacteurs de cette Constitution doivent être tenus pour des représentants élus du Peuple.

  • Troisième observation :

Qu’il n’ait été fait mention d’aucun des organes publics constitutionnels de chacun des trois Pouvoirs Législatif, Exécutif et Judiciaire, en particulier du  Président de la République, dans cet article 2, cela procède d’une cohérence et d’une rigueur de l’écriture des constituants, rédacteurs de la Constitution du 7 mai 2010. En effet, comment faire mention d’un organe public constitutionnel d’un quelconque des trois Pouvoirs, en particulier du Président de la République, dans cet article dans le même temps qu’il est proclamé et écrit que :

  • La Souveraineté Nationale appartient au Peuple qui l’exerce par ses représentants élus ou par voie de référendum (alinéa 1er).
  • Aucun individu, aucune fraction du Peuple ne peut s’en attribuer l’exercice (alinéa 2).

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C’est pourtant dans cet article 2 de la Constitution du 7 mai 2010 qu’en toute rigueur et logique, une dérogation aurait pu ou dû être délibérément faite par les constituants, rédacteurs de la Constitution du 7 mai 2010, au profit du Président de la République, afin de l’investir de l’unique mode d’exercice de la Souveraineté nationale consacré par la Constitution du 7 mai 2010 dans la qualité de représentant élu du Peuple, et d’en faire ainsi l’égal de ce représentant élu du Peuple.

Ils ne l’ont pas fait et ne pouvaient le faire parce que :

1°) Il y a une évidente contradiction à proclamer et à écrire :

« Aucun individu, aucune fraction du Peuple ne peut s’en attribuer l’exercice. », et écrire à la suite : « Excepté le Président de la République qui a vocation d’exercer la Souveraineté nationale», alors qu’il n’est pas un représentant élu du Peuple au sens de l’article 2 de la Constitution du 7 mai 2010. » A moins que le « Professeur » Alpha Condé, docteur en droit public, naguère « Professeur » à la faculté de Droit et des Sciences Economiques de l’Université Paris I Panthéon, s’implique personnellement, en tant qu’universitaire, en tant que « Professeur » d’Université et montre que la Constitution du 7 mai 2010 de la République de Guinée contient une disposition qui investit explicitement ou implicitement, seul, parmi tous les organes publics constitutionnels, institués par cette Constitution, le Président de la République, de l’unique mode d’exercice de la Souveraineté nationale, inhérent à la qualité de représentant élu du peuple, lequel l’habilite à prendre l’initiative de la rédaction d’une Constitution, y compris une nouvelle Constitution et à la proposer à référendum.

2°) Il n’y a pas que leur seul souci d’éviter une telle contradiction. Il y a aussi leur parfaite connaissance de la définition de la Souveraineté nationale, présente à leur esprit  au moment de la rédaction de cet article 2, qui a joué un rôle considérable dans leur rejet d’une dérogation au profit du Président de la République. Souveraineté : « Pouvoir suprême reconnu à l’Etat, qui implique l’exclusivité de sa compétence sur le territoire national et son indépendance dans l’ordre international, où il n’est limité que par ses propres engagements. » (Le Petit Larousse Illustré-2002.p957).

3°) Il y a enfin et surtout le principe de la séparation et de l’équilibre des Pouvoirs, consacré dans le même article 2, qui a amené les rédacteurs de la Constitution à s’interdire toute dérogation au principe de l’exercice de la Souveraineté nationale par les seuls représentants élus du Peuple, au profit de quelque organe public constitutionnel que ce soit.

Contradiction, exclusivité de la compétence de l’Etat sur le territoire national, principe de la  séparation et de l’équilibre des Pouvoirs, ont été déterminants et ont amené les constituants, rédacteurs de la Constitution du 7 mai 2010 à s’interdire toute dérogation au profit de quelque organe public constitutionnel que ce soit, en particulier d’un Président de la République, dérogation qui aurait permis à celui-ci de poser un acte de nature constitutionnelle que seule une Assemblée Constituante a vocation de poser, par exemple la rédaction d’une Constitution, y compris une nouvelle Constitution.

  • Article 152 :
  • L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et aux Députés.
  • Pour être pris en considération, le projet ou la proposition de révision est adopté par l’Assemblée Nationale à la majorité simple de ses membres.
  • Il ne devient définitif qu’après avoir été approuvé par référendum.
  • Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre à la seule Assemblée Nationale. Dans ce cas, le projet de révision est approuvé à la majorité des deux tiers des membres composant l’Assemblée Nationale.
  • Il en est de même de la proposition de révision qui aura recueilli l’approbation du Président de la République.

 

  • Première observation :

Pourquoi faut-il que l’examen de l’article 152 précède celui de l’article 51 ?

Réponse : Parce que c’est le seul article de la Constitution du 7 mai 2010 qui fait état, pour la première fois et pour la seule et unique fois, du seul rapport direct et actif du Président de la République à la Constitution, rapport par lequel est reconnu au premier et principal organe public constitutionnel du pouvoir Exécutif, en la personne du Chef de l’Etat, Président de la République, toute latitude de porter atteinte, non à l’existence de cette Constitution du 7 mai 2010, par l’adoption d’une nouvelle Constitution, mais à son intégrité, dans des conditions déterminées, en procédant à une révision, c’est-à-dire à une modification, à un amendement de cette Constitution du 7 mai 2010.

  • Deuxième observation :

Avec la révision de la Constitution, aucun des domaines des trois Pouvoirs, Législatif, Exécutif et Judiciaire n’échappe à une modification et il n’y a de limite à cette modification que les six seules exceptions énumérées à l’article 154, à savoir la forme républicaine de l’Etat, le principe de la laïcité, le principe de l’unicité de l’Etat, le principe de la séparation et de l’équilibre des Pouvoirs, le pluralisme politique et syndical, le nombre et la durée des mandats du Président de la République. Tout est donc sujet à modification, sujet à amendement dans la Constitution du 7 mai 2010, mais rien qui autorise le remplacement de cette Constitution par une nouvelle Constitution.

  • Troisième observation :

Le souci des rédacteurs de la Constitution du 7 mai 2010 de reconnaitre au Président de la République l’initiative de la révision de la Constitution procède de ce que la Constitution n’étant jamais une œuvre parfaite, il peut être utile de laisser au Président de la République le soin de l’amender. Mais cet amendement a une limite absolue : amendement ne saurait signifier remplacement de la Constitution existante par une nouvelle Constitution. La base constitutionnelle qui n’a pu être fournie ni par l’article 2, ni par l’article 152, à l’aptitude du Président de la République en exercice, en l’occurrence le président guinéen Alpha Condé à prendre l’initiative de la rédaction d’une Constitution, y compris une nouvelle Constitution et à la proposer à référendum peut-elle être fournie par l’article 51 ?

  • Article 51 :
  • Le Président de la République peut, après avoir consulté le Président de l’Assemblée Nationale, soumettre à référendum tout projet de Loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur la promotion et la protection des libertés et des droits fondamentaux, ou l’action économique et sociale de l’Etat, ou tendant à autoriser la ratification d’un Traité.
  • Il doit si l’Assemblée Nationale le demande par une Résolution adoptée à la majorité des deux tiers des membres qui la composent, soumettre au référendum toute proposition de Loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ou concernant les Libertés et les Droits Fondamentaux.
  • Avant de convoquer les électeurs par Décret, le Président de la République recueille l’avis de la Cour Constitutionnelle sur la conformité du projet ou de la proposition à la Constitution.
  • En cas de non-conformité du projet, il ne peut être procédé à référendum.
  • La Cour Constitutionnelle veille à la régularité des opérations de référendum. Lorsque le référendum a conclu à l’adoption du projet ou de la proposition, la Loi ainsi adoptée est promulguée dans les conditions prévues à l’article 78.

C’est la disposition de l’alinéa 1er de l’article 51 qui reconnait au Président de la République le pouvoir de « soumettre à référendum tout projet de Loi » portant sur quatre domaines limitativement énumérés, à savoir « l’organisation des pouvoirs publics, la promotion et la protection des libertés et des droits fondamentaux, ou l’action économique et sociale de l’Etat, ou tendant à autoriser la ratification d’un Traité. » Parmi ces quatre domaines, pas un seul ne concerne l’initiative qui appartiendrait au Président de la République d’une part, de la rédaction d’une Constitution, y compris une nouvelle Constitution, d’autre part de proposer la dite Constitution à référendum. C’est à propos d’un seul domaine, celui de « l’organisation des pouvoirs publics » qu’on court le risque de donner au pouvoir reconnu au Président de la République d’organiser ce domaine, un sens et une extension qui l’assimileraient à une initiative qui appartiendrait au Président de la République de rédiger une Constitution, y compris une nouvelle Constitution et de la proposer à référendum.

Il n’y a qu’un seul moyen d’éviter d’avoir à courir ce risque : prendre connaissance de la définition des pouvoirs publics.

« L’expression « pouvoirs publics » désigne le gouvernement et l’ensemble des services chargés de l’administration d’un Etat ou d’une collectivité territoriale. Elle peut aussi désigner plus spécifiquement telle ou telle administration. »

Une fois comprise cette définition des pouvoirs publics, dans son sens strict, elle ne devient exhaustive qu’en s’aidant du dictionnaire du droit constitutionnel (9ème édition, Sirey, 2013, p.277). « D’après ce dictionnaire, l’expression « pouvoirs publics » est « susceptible de recevoir un sens plus ou moins  extensif selon que seront considérés les seuls organes publics constitutionnels, tels qu’ils sont institués par la Constitution, ou bien les pouvoirs publics en général, c’est-à-dire l’ensemble des organes qui, au nom d’une collectivité publique, exercent l’autorité en recourant à des prérogatives de puissance publique.»

Qu’il s’agisse donc de la définition des pouvoirs publics au sens strict, ou dans « un sens plus ou moins extensif », on est toujours en présence que des seuls organes existants d’un Etat, d’organes des trois Pouvoirs Législatif, Exécutif et Judiciaire et d’autres organes ainsi que de leur administration. Il n’est donc fait référence, ni mention dans la définition des « pouvoirs publics », telle qu’elle est donnée au sens strict comme au sens plus ou moins large, ni de Constitution ni d’acte juridique.

L’organisation des pouvoirs publics de l’article 51 alinéa 1er, c’est-à-dire la manière dont les organes publics constitutionnels et d’autres, tels qu’ils sont institués dans la Constitution du 7 mai 2010, peuvent être structurés, agencés n’est pas, ne saurait être synonyme de création, de constitution d’organes, création qui relève du seul constituant, du seul rédacteur d’une Constitution, c’est-à-dire d’une Assemblée Constituante, d’une Assemblée de représentants élus du Peuple qui, seuls, exercent la Souveraineté nationale, aux termes de l’article 2 alinéa 1er de la Constitution du 7 mai 2010 et par conséquent sont seuls appelés à siéger dans une Assemblée constituante. Par exemple, le Président de la République peut, conformément à l’article 51, alinéa 1er, soumettre à référendum un projet de Loi portant réforme ou suppression du régime présidentiel institué par la Constitution du 7 mai 2010 et instituer un régime parlementaire ou semi-présidentiel, ce qui rentre dans ses prérogatives puisqu’une telle modification de la Constitution ne va pas à l’encontre de l’article 154 de la Constitution. Il y a là un nouvel agencement du Pouvoir Exécutif qui pourrait être meilleur à l’ancien. Mais cet agencement ne saurait être, en aucun cas, considéré comme création d’un nouvel organe public constitutionnel. A plus forte raison le Président de la République ne peut proposer à référendum une nouvelle Constitution.

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Il y a donc pétition de principe, lorsqu’un intervenant au débat, professeur d’Université, a écrit :

« Relativement à ces idées, il y a lieu de rappeler, sur le premier point, que conformément aux articles 51 et 152 de la Constitution de 2010, l’initiative de proposer au référendum un texte constitutionnel appartient au Président de la République et aux Députés, qu’il s’agisse d’une révision ou d’une nouvelle Constitution… »

L’intervenant au débat, professeur d’Université, est mal fondé à écrire cela, c’est-à-dire l’allégation selon laquelle,

« conformément aux articles 51 et 152 de la Constitution de 2010, l’initiative de proposer au référendum un texte constitutionnel appartient au Président de la République et aux Députés, qu’il s’agisse d’une révision ou d’une nouvelle Constitution… »,

avant d’avoir montré, d’une part, que l’article 152 de la Constitution du 7 mai 2010 fournit une base constitutionnelle à l’aptitude du président de la République en exercice, en l’occurrence le président guinéen Alpha Condé, à prendre l’initiative de la rédaction d’une nouvelle Constitution, d’autre part que l’article 51 « pourrait servir de base juridique à un référendum portant sur une nouvelle Constitution… » En effet l’intervenant au débat n’a pas fait cette démonstration. Etant hors d’état de le faire, sa seule ressource se résout à une pétition de principe, c’est-à-dire à « un raisonnement vicieux consistant à tenir pour vrai ce qui fait l’objet même de la démonstration ».

CONCLUSION :

De tout ce qui précède, il résulte que ni l’article 2, ni les articles 51 et 152 de la Constitution du 7 mai 2010, seuls dans cette Constitution à même d’y pourvoir, ne fournissent de base constitutionnelle rendant apte quelque organe public constitutionnel que ce soit, en particulier un Président de la République en exercice, à prendre l’initiative de la rédaction d’une Constitution, y compris une nouvelle Constitution et à la proposer à référendum. En conséquence le Président de la République Alpha Condé, premier et principal organe public constitutionnel du Pouvoir Exécutif, est constitutionnellement inapte à prendre l’initiative de la rédaction d’une Constitution, y compris une nouvelle Constitution et à la proposer à référendum.

On a invoqué les graves insuffisances qui sont réelles et qu’on a relevées à l’endroit de la Constitution du 7 mai 2010. Parmi elles, la plus importante de toutes aux yeux de tous est liée au mode d’approbation qui fonde la légitimité d’une Constitution dans la conscience du Peuple : le référendum.

Nul mieux que « l’opposant historique » Alpha Condé, docteur en droit public, « professeur » d’Université, n’était plus qualifié pour alerter l’opinion publique guinéenne, dès son adoption le 7 mai 2010, sur le défaut de légitimité de la Constitution, pour n’avoir pas été approuvée par référendum. Il a préféré se taire. Plus grave, il s’est porté candidat à la présidence de la République sous l’empire d’une Constitution dont il sait qu’elle n’a pas été approuvée par référendum. Il est élu président de la République pour un premier mandat de cinq ans et accomplit ce mandat sous l’empire d’une Constitution qu’il sait pertinemment manquer de légitimité. Pire, à l’expiration de ce premier mandat, le président de la République Alpha Condé remet ça en postulant un second mandat. Il est réélu sous l’empire de la même Constitution qu’il sait toujours manquer de légitimité. C’est seulement à un peu plus d’un an de l’expiration de son second et dernier mandat, que le président de la République, donne l’impression que c’est seulement maintenant qu’il vient de découvrir que la Constitution du 7 mai 2010 manque de légitimité et qu’il excipe de ce défaut de légitimité pour se croire autorisé à prendre l’initiative de la rédaction d’une nouvelle Constitution qu’il compte soumettre à référendum. Soit dit en passant, cette initiative a un prix que le président de la République Alpha Condé a eu à payer sans aucun état d’âme : l’acceptation de la démission du gouvernement de son Ministre d’Etat, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Maître Cheick SAKO, démission que le Ministre explique et justifie dans sa lettre en date du 20 mai 2019, en ces termes :

« Par ailleurs je n’ai pas été associé à la rédaction de la nouvelle Constitution en ma qualité de Garde des Sceaux et compte tenu de ma position personnelle contre toute modification ou changement de la Constitution en vigueur, vous comprendrez que je ne puisse plus continuer à exercer la fonction de Ministre de la Justice, Garde des Sceaux ».

En acceptant cette démission, le président de la République Alpha Condé a dû apprécier et se sentir d’aise à l’idée que cette démission constitue un obstacle en moins sur son chemin pour un mandat dont personne ne sait, à ce jour, ce que veut réellement le postulant : troisième mandat ou mandat à vie.

Si le constat d’un vice tel que le défaut de référendum à la base d’une Constitution peut conduire à la mise en cause et au remplacement de cette Constitution par une nouvelle Constitution, la question est : Qui a pouvoir de prendre l’initiative de la rédaction d’une nouvelle Constitution et de la proposer à référendum ? Outre le fait qu’il a été amplement montré que tout organe public constitutionnel, en particulier le Président de la République en exercice, en l’occurrence le président guinéen Alpha Condé, manque de base constitutionnelle pour prendre l’initiative de la rédaction d’une Constitution, y compris une nouvelle Constitution et pour la proposer à référendum, il y a lieu d’observer que l’élection et la réélection du Président de la République Alpha Condé se sont effectuées sous l’empire de la Constitution du 7 mai 2010 qui a fait très tôt l’objet de vives et pertinentes critiques dont la plus importante porte sur son défaut de légitimité, dû au fait qu’elle n’a pas été soumise à référendum.

Il était pourtant loisible au Président guinéen Alpha Condé, dès après son élection ou sa réélection d’afficher son souci et sa préoccupation de doter les institutions de la République d’une bonne base constitutionnelle, et, à cet effet,  d’offrir sa démission et de la justifier par le fait que la Constitution, sous l’empire de laquelle il a été élu puis réélu, n’a pas été approuvée par référendum, et de ce fait, manque de légitimité ; partant manquent de légitimité tous les organes publics constitutionnels, en particulier le premier et principal organe public constitutionnel du pouvoir exécutif, c’est-à-dire le président de la République, chef de l’Etat. Dans la foulée, il aurait proposé, dans une déclaration solennelle, la convocation, par le Président de l’Assemblée Nationale, assumant l’intérim de la présidence de la République, d’une Conférence Nationale Souveraine, la Guinée étant le seul pays de la sous-région à n’avoir pas convoqué naguère de Conférence Nationale Souveraine. Celle-ci devrait avoir, entre autres points à son ordre du jour : Examen et adoption d’une nouvelle Constitution qui devra être soumise à référendum.

Il n’est jamais trop tard pour bien faire : le Président de la République Alpha Condé peut, dès maintenant, dès aujourd’hui, offrir sa démission et proposer la convocation, dans la semaine qui suit sa démission, d’une Conférence Nationale Souveraine. Celle-ci pourrait se tenir dans les deux semaines qui auront suivi la convocation, par le président de la République par intérim, de la Conférence Nationale Souveraine chargée de doter la Guinée d’une nouvelle Constitution approuvée par référendum.

                                                                                                                                         Conakry, septembre 2019

 Ibrahima FOFANA

 Avocat

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