L ’arrivée d’Hélène Savané indique que le pouvoir a bien entendu la grogne qui prévaut au Port Autonome de Conakry. Mais est-ce bien le début de la fin quand on voit la cacophonie qui y prévaut à même de provoquer un jeu de chaises musicales ?
Depuis plusieurs jours, le Port Autonome de Conakry fait l’actualité. L’ampleur de la chose a fini par mettre fin à la mission d’Hawa Kéita alors directrice. On retiendra d’elle et son adjointe la fameuse phrase « elle a signé, moi, j’ai cacheté » que devra éviter Hélène Savané, la nouvelle directrice générale pour ne pas friser le ridicule. La gestion des fonds mérite un regard particulier vu le départ du directeur administratif et financier, ainsi que le traitement des travailleurs dont l’immunité parlementaire pour certains n’a pas été respectée par les autorités judiciaires lors des interpellations.
DÉMISSION SURPRISE AU PAC
Contre toute attente, Ibrahim Kalil Keita, le directeur administratif et financier de ladite institution, vient de claquer la porte alors même qu’Helene Savané, la nouvelle directrice réfléchit encore à la nomination de son adjointe ainsi qu’à la gestion des dossiers brûlants, elle vient d’être lâchée par le chargé des finances. Mr Keita estime ne pas avoir la même lecture du contrat de la controverse avec le groupe turc Albayrak.
Indiquant que la signature concerne toutes les surfaces du Port Autonome de Conakry excepté le port conventionnel de Conakry, Ibrahim Kalil Keita jette un pavé dans la mer de Boulbinet. À ses yeux, le responsable de cette cacophonie qu’il refuse de cautionner est la tutelle incarnée par le ministre des transports Aboubacar Sylla. Le désormais ancien directeur financier estime que les travailleurs sont lésés dans la concession qui a provoqué la polémique. Il a fait allusion à 200 millions USD qui n’ont pas été pris en compte dans le contrat avec les Turcs désormais administrateurs du port conventionnel. Où est donc partie cette manne financière à l’image des 21 millions d’USD perdus des comptes de la BCRG ?
Ibrahima Kalil Keita peut accuser, mais son départ dans la foulée de l’installation de Mme Savané montre bien qu’il y a péril en la demeure. Et cette dernière se doit déjà de faire un audit aux fins de rendre transparente la gestion du port avant de commencer ses manœuvres. Un détournement de 30 milliards de francs Guinéens a d’ailleurs été mentionné par le syndicat. Vide financier que le directeur financier se doit d’expliquer, car il se pourrait bien que les dames du « signer – cacheter » aient aussi opéré conformément à leur concept sur les documents financiers. Le départ d’Ibrahima Kalil Keita pose bien des questions et devrait conduire à tirer au clair la situation.
Les 100 jours du ministre Aboubacar Sylla sont effrités par cette affaire du port. Même le Premier ministre qui a défendu la BCRG se doit de voir les choses en face, Paul Moussa Diawara ne doit pas être l’unique mis en cause dans la gestion des deniers publics. De la BCRG au Port, il faudra mettre à nu la mauvaise gestion des deniers publics et situer les responsabilités.
MUSELLEMENT DES SYNDICALISTES AU MÉPRIS DE LA LOI
La Syndicat a été au cœur de la grogne depuis l’officialisation du contrat avec la société turque. Par contre, on peut s’étonner de l’arrestation récente de Cheick Touré, leader de la délégation syndicale du Port Autonome de Conakry qui est actuellement libre. À la tête de la fronde, le syndicaliste a été présenté au procureur de la République près le tribunal de première instance de Conakry qui aurait ensuite donné l’instruction de le libérer.
Faute lourde des agents de police judiciaire qui l’ont écroué suite à une plainte de cette DPJ, qu’il a été arrêté et conduit manu militari devant le procureur. On lui était reproché de demander le départ du ministre des transports Aboubacar Sylla.
Seulement, un leader syndical n’est pas mis aux arrêts comme ce fut le cas de Cheick Chérif Touré, de façon arbitraire. On se retrouve aussi dans une exception, car il jouit d’un avantage allant au-delà de tout : il est député. Autrement dit, il y avait des préalables pour le mettre aux arrêts notamment la levée de son immunité. Avec l’Assemblée nationale qui est en vacances parlementaires, il fallait attendre le 5 octobre (rentrée) avant de l’interpeller. On est d’ailleurs en mesure de se demander si les fonctions de syndicaliste et de parlementaire sont compatibles même s’il s’agit de défendre des droits collectifs.
C’est dire que cette affaire de conflits répétitifs au port de Conakry a pris une ampleur politique. Il n’est pas exclu que fort de son statut, le député – syndicaliste soit tenté d’interpeller le ministre Sylla pour des explications à l’endroit du peuple. Cette éventualité aussi, n’est pas à exclure, car après l’épisode Bolloré, il serait temps que les élus nationaux mettent le gouvernement face aux Guinéens lors d’interpellations ou de questions d’actualité pour que tout soit clair.
AVANTAGES PRÉSIDENTIELS TURCS
Les craintes pour que l’affaire ne prenne pas l’ampleur tant attendue se confirment. On le sait, le groupe Albayrak est de la Turquie. Pays d’Asie orientale très présent sur le continent qui s’était fait remarquer il y a deux ans dans l’espace scolaire guinéen.
À l’époque, le pouvoir d’Ankara avait récupéré toutes les écoles turques du pays au motif qu’elles seraient à la solde de son opposition dont le fer de lance est aux USA. Tous ces établissements scolaires de haute qualité – il faut l’avouer – initialement dénommées « écoles citadelles » portent désormais l’appellation « écoles Maarif ». Seulement, l’épisode du port est une première quand on sait que c’est une surface de souveraineté. Autrement dit, aucun pays sérieux ne concède cette zone à une société étrangère.
Le voyage du Président Alpha Condé au Mali fait craindre beaucoup de choses. Pour rallier Bamako au nom de la fête nationale d’indépendance de ce pays-frère, il est parti à bord d’un avion turc. En tout cas, les images ne trompent pas : on voit bien le drapeau du pays d’Erdogan auprès du notre sur l’avion qui a déposé le chef de l’État en terre malienne. Une omniprésence de la Turquie qui pourrait faire office d’immunité.
Déjà, qu’il est inconcevable que le Président ne soit pas dans son propre avion, le fait de « sous-traiter » avec un autre pays pour un outil de souveraineté du genre indique que l’affaire Albayrak pourrait bien être tranchée. On est donc loin d’être sortis de l’aubaine avec l’affaire du Port Autonome de Conakry. Sans se tromper, tous les ingrédients de la bombe à retardement sont constitués : reste à savoir si le porte-parole du gouvernement, tutelle des lieux pourra en sortir indemne.
Idrissa KEITA