Louise mushikiwabo, candidate au secrétariat de l’oif : percée du rwanda ou coup de génie de macron ?

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Lors de sa visite de travail en France les 23 et 24 mai 2018, le président rwandais Paul Kagamé et son homologue Emmanuel Macron ont officialisé la candidature de la ministre rwandaise des affaires étrangères pour briguer le Secrétariat Général de l’Organisation Internationale de la Francophonie. La nouvelle a fait l’effet d’une bombe dans les milieux diplomatiques de part et d’autre de la Méditerranée et de l’Atlantique. Pis, la candidature est soutenue par Paris.

Que s’est-il donc passé pour que ces deux États, qui entretiennent les relations des plus exécrables décident de faire front commun pour barrer la route à une autre femme d’origine haïtienne, la Canadienne Michaëlle Jean ? Signe de rapprochement entre la France et le Rwanda ou stratégie de cheval de Troie des deux leaders ? Pour le moment, l’incompréhension est totale et la pilule ne passe pas.

Volonté de rapprochement vers Kigali ou paternalisme de la France sur l’OIF ?

Depuis son élection, Emmanuel Macron ne fait pas mystère de sa volonté supposée ou réelle de bâtir une nouvelle relation avec l’Afrique en général et le Rwanda. Il use à cet effet de solides atouts qui lui permettent de poser des actes que ces prédécesseurs n’ont pas eu le courage de faire. Parmi ses clés de réussite, figures en bonne place sa « virginité » dans la gestion de cet encombrant dossier rwandais. Faut-il rappeler qu’en avril 1994 lorsqu’éclatait le génocide, le jeune Macron n’avait que 16 ans. Ce facteur pèse lourd dans la balance puisqu’au fil des années, Kagamé a refusé de collaborer avec toutes les personnalités françaises mêlées de près ou de loin au génocide. Le maire de Bordeaux Alain Juppé en sait quelque chose.

Cependant, promouvoir la candidature d’un pays qui, en 2009, a officiellement banni la langue française dans l’administration et dans l’enseignement tout en basculant dans le Commonwealth, reviendrait à affirmer clairement le sacrifice de l’Organisation Internationale de la Francophonie sur l’autel des intérêts de Paris. Pire, la candidate choisie par Kigali est un des personnages clé du régime de Kagamé. Jusqu’à l’officialisation de sa candidature, elle entretenait encore des relations exécrables avec Paris notamment à travers ses interventions enflammées sur les réseaux sociaux. Des voix s’élèvent sur le choix de ce pays qui ne fait pas assez dans la promotion de la démocratie et des droits de l’homme alors que la promotion de ces deux valeurs fondamentales à l’existence harmonieuse de toute société est un credo fort à l’OIF. À titre d’exemple, le président s’est taillé une constitution lui baillant un nouveau mandat de 13 ans.

Alors l’on se demande quelle mouche à piquer l’Elysée à entreprendre une telle démarche. Il suffit de porter les lunettes de stratège de Macron qui mise sur ce « coup » pour non seulement normaliser les relations avec Kigali, mais aussi ramener ce pays émergent dans le giron francophone. Car malgré les critiques sur sa gouvernance politique, tous s’accordent aujourd’hui sur les performances du Rwanda dans les domaines économiques, sociales et technologiques avec une croissance de 6,2% en 2017. Le pays est le neuvième le mieux gérée au monde d’après le World Economic Forum (WEF) et sa capitale est l’une des plus propres d’Afrique. L’on comprendrait aisément alors ce jeu de Paris à avoir au sein de l’OIF un tel partenaire.

La région des grands lacs a toujours été un enjeu majeur entre les puissances anglo-saxonnes et la France pour y maintenir et exercer leurs différentes influences. À plusieurs occasions, Paris n’a pas hésité à user de sa force pour protéger des régimes fantoches parce que tout simplement ceux-ci seraient un paravent à l’assaut des anglo-saxons dans la région. Cet entêtement lui a coûté son implacable engagement dans le génocide rwandais. Alors en 2018, avoir le Rwanda dans la francophonie même si ce dernier n’a guère quitté le Commonwealth, apaise les craintes de Paris quant au basculement de cette région dans la sphère anglo-saxonne.

Pour le Rwanda, c’est le retour à la maison.

Ancienne colonie belge, le Rwanda a été un pays francophone jusqu’à ce jour de juin 2009 ou la langue française a été déclassée comme langue officielle au profit de l’anglais. Pour enfoncer le clou, Kigali interdit l’enseignement du français dans les écoles et de pratique dans l’administration. Ce fut un affront sans égal à l’égard du pays de Molière même si la décision ne surprenait personne au vu des relations tendues entre le pouvoir rwandais et l’exécutif français.

L’on est alors en droit de poser la même question à l’homme fort des mille collines. Quelle mouche l’a piqué. Paul Kagamé a compris qu’autant que le Rwanda, ses voisins sont aussi en train de développer des technologies pouvant doper l’économie locale et booster les exportations et le tourisme, les deux fers de lance de l’économie rwandaise. Il serait alors tentant de franchir un pas vers les économies francophones, plus faciles à pénétrer et un peu à la traîne sur les questions de mutations d’ordre technologiques. Pour ce faire, quoi de plus utile que le partage d’une langue commune pour briser certaines barrières. Mais attention à ne pas se limiter seulement à cet aspect. Kigali maintient le secret sur ses autres intentions sur lesquels le temps nous édifiera.

Le Canada de Michelle Jean dans tout ça.

L’actuelle secrétaire générale de l’OIF, la Canadienne Michelle Jean qui est à la fin de son premier mandat à la tête de l’Organisation ne fait aucun commentaire du revirement de Paris. Elle affûte ses armes en coulisse et son équipe maintient tout un mystère sur les intentions de leur championne. Elle, qui s’attendait, a un soutien d’un nombre élevé d’Etats membres a certainement été débouté par cette entente franco-rwandaise à ses dépens. Ses proches balayent d’un revers de la main l’argument féministe et de nationalité avancé par Macron. Michelle Jean est une femme canadienne d’origine africaine et toc !

Le Canada soutient sa candidate et digère mal le retournement de Paris. Mais vu que rien n’est encore jouer, les observateurs apprécieront.

Une leçon pour les dirigeants fantoches.

Paul Kagamé n’est pas un sain. Il à la tête d’un régime rigide et est peu enclin à la négociation. Cependant, grâce à la nouvelle dynamique impulsée et son intransigeance à céder sur la souveraineté de son pays, il a réussi à faire du Rwanda un phare dans l’obscure région des grands lacs et à forcer le respect de nombreux pays du monde y compris les grandes puissances. 

C’est ce leadership exprimé, qui fait qu’aujourd’hui la France éternelle lui fait la cour. Poussant le bouchon jusqu’à lui offrir l’organisation qui promeut sa langue. Les Chefs d’Etats africains qui continuent encore à jouer les relations paternalistes vis-à-vis de Paris devraient avoir honte et prendre le leadership de Paul Kagamé comme modèle économique et de sauvegarde de la souveraineté. Surtout, que cette alliance intervient au moment où certains nostalgiques de la colonisation vantent les mérites de ce crime contre l’humanité simplement en voulant plaire à Papa.

Alpha Oumar DIALLO

Analyste politique

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