Le mal-être du migrant : le commencement

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L ’enfant bien né ! Voilà ce que je ne suis pas ! Non, pas moi. D’où suis-je ? Alors là, je n’en sais strictement rien. La terre est immense paraît-il, mais voyez-vous, je peine à y trouver pas ma place, mon « chez moi ». Qui suis-je ? Ah ! Pour ça, j’ai la réponse : je suis le mal-aimé, mais appelez-moi Labyrinthe svp ! ».

La vie est un combat mais les règles, l’arène, les armes et les adversaires ne sont pas les mêmes pour tous.

Labyrinthe lui, joue dans la catégorie « Poids plume – Adversaires gigantesques ».

Né d’une grande famille composée de 20 membres : le patriarche, ses 4 femmes et ses 15 enfants dont Labyrinthe l’aîné, il a la lourde tâche de prendre le relai, si relai il y a, pour s’occuper de cette tribu.

Chacun des membres de cette famille voit en lui le messie. Il est persécuté par tous, il doit se chercher, se trouver d’ailleurs et assumer ses responsabilités.

« De quelles responsabilités me parlent-ils ? Qu’est-ce que c’est que ce contrat unilatéral jeté sur moi telle une couette en plein été par temps de canicule ? Mon père ne cesse de me dénigrer : tu es bon à rien, tu passes ton temps à poiroter avec tes amis, ces ratés de la vie ! Et pourquoi tu n’es pas comme le fils des voisins qui, lui, a construit une belle maison pour sa famille. Lui, qui leur apporte tout ce dont ils ont besoin ?

Parfois, il me tarde de lui rétorquer : oui évidemment, toi tu as bien réussi ta vie ! Dans la catégorie « Gymnastiques nocturnes » tu détiens la médaille d’or ! Le résultat est frappant : 15 gosses !

Mais bon sang, si un seul mot sortait de ma bouche, la sentence aurait été PEINE CAPITALE AVANT TOUT JUGEMENT.

Labyrinthe doit partir loin, très loin malgré lui, car effet, ce n’est pas dans cet endroit qu’il va trouver de quoi nourrir ces oisillons.

Partant de rien et prêt à tout pour atteindre cette destination espérée et inconnue, il connaîtra beaucoup de difficultés au cours de son voyage : accidents de la route, tensions avec des passeurs assoiffés d’argent, des maladies, des boutons…

Malgré ces difficultés il parvint à atteindre l’Europe par les moyens du bord et c’est en France qu’il pose ses valises ou plutôt sa besace. Cette destination espérée, Labyrinthe l’avait choisie pour sa langue. Il s’y sentirait moins perdu pensait-il.

« Ah ! Une étape de franchie ! Mais que de chemin parcouru ! Si mon père le Roi apprenait cela, il m’attribuerait un grade de plus sur l’échelle de son estime à mon égard. Sans doute qu’il ne le ferait seulement qu’après s’être évanoui au moins trois fois. Il ne devait sûrement pas s’attendre à ce que je parte si loin !

Mine de rien, moi aussi je suis fière de moi. Un peu de narcissisme ne me fera pas de mal pour le coup. J’ai tenu bon et je m’en félicite ! Reste maintenant à savoir à quelle sauce je vais être mangé par ici. ».

Labyrinthe va à présent apprendre ce que c’est qu’avoir un RDV. Arriver à l’heure, pas avant l’heure et pas après l’heure. Pour cela il va avoir deux compagnons fidèles : le calendrier et la montre. En effet, Labyrinthe va devoir se présenter aux autorités compétentes pour accueillir les immigrés, obtenir une adresse postale et avoir son conseiller pour l’aider dans les démarches futures. Ce sont ces démarches qui lui permettront de bénéficier des minima sociaux pour vivre ou survivre et décrocher un permis de séjour.

« Le 115, c’est le numéro de téléphone de la chance. Il faut que le compose tous les soirs si je ne veux pas dormir dehors. Parfois ça ne marche pas, plus de place, et parfois ça marche. C’est vraiment au petit bonheur, la chance !

Par plusieurs fois, Labyrinthe a dormi dehors, aux abords du boulevard périphérique parisien. Cet endroit est rythmé par un vacarme assourdissant de bruits de voitures qui passent sans interruption, de voisins dealers qui jouent à cache à cache avec les forces de l’ordre et de pseudos divas qui se prennent pour Mariah Careh à chanter à tue-tête de façon cyclique, quasiment toutes les heures.

Une nuit, Labyrinthe s’était pris une bouteille en pleine tête. Elle avait décollé à la vitesse de la lumière et avait terminé sa trajectoire juste au dessus de son oreille gauche.

Cette pauvre bouteille était elle aussi victime de deux sans-abris qui se disputaient une place. L’un d’entre eux avait osé franchir le territoire interdit, celui du roi de la jungle. A en voir sa carrure, il ne pouvait qu’être le roi de cette jungle atypique.

Cette nuit là, Labyrinthe l’avait passée aux urgences. Cet endroit lui paraissait plus accueillant, plus confortable, tel un hôtel 5 étoiles avec du personnel aimable et attentionné.

Une autre nuit, Labyrinthe avait eu une visite surprise d’un élégant Monsieur d’une cinquantaine d’années. Coiffé d’un chapeau de cow-boy, il portait un jean bleu qui lui collait parfaitement à la peau. Cet homme au parfum agréable lui avait fait une proposition on ne peut plus atypique. Il lui avait tendu deux billets de banque et l’avait invité à le suivre dans une fourgonnette stationnée non loin de là. Il n’avait pas fallu un dessin à Labyrinthe pour comprendre ce que dernier attendait de lui.

«  Waouh ! Ces billets sont tentants mais bon sang de bon Dieu, quoi ?!  Non, il faut que je chasse cette idée de ma tête. Quelle drôle d’idée et d’envie ! Il doit sûrement être taré ce Monsieur ! Plutôt mourir de faim et être découvert dans une déchetterie que d’accepter cette proposition indécente. C’est juste hors de question ».

Labyrinthe avait décliné l’offre avec véhémence mais cela n’avait pas semblé perturber le Monsieur au chapeau. Il faut dire que les affaires sont plutôt bonnes à cet endroit, l’offre est toujours supérieure à la demande. Il aurait eu l’embarras du choix.

De fil en aiguille, Labyrinthe a fini par monter son dossier de demande d’asile. Il touche dorénavant une indemnité mensuelle qui lui permet de couvrir ses besoins primaires et est logé dans un hôtel type F1. Il partage une chambre avec d’autres compagnons de fortune. Il devrait s’en réjouir mais au fond de lui, il souffre tel un petit animal blessé. La moindre réflexion ne fait que raviver cette blessure enfouie en lui.

« Ces regards et ces mépris me gênent. Pourquoi les gens me méprisent-ils ? Parfois lors des RDV, ils me parlent avec insistance comme si j’étais sourd ou trisomique. Et dans les transports, je le vois ! Je ne suis pas dupe. Je ne suis pas chanceux au point d’avoir toujours une place assise ! Est-ce mon gros nez qui les dérange ? Ou mon teint très noir pour ne pas dire bleu indigo ? Ou c’est peut-être mes petits yeux rouges cachés loin sous mon front bombant ? Bon, je me doute que je sens la transpiration, moi-même je le sais. Je veux bien faire des efforts mais ça n’est pas facile ! Ici c’est la France, le pays du respect du calendrier et de la montre. Si je veux être pile poile à l’heure à mes RDV, je ne peux attendre la file interminable de tous ces prétendants à la douche ! Et puis, ça ne me donne même pas envie à vrai dire. Il n’y a qu’à voir l’endroit, il est d’une insalubrité ! Quelle est la logique d’aller se laver dans un endroit pareil ? Enfin, c’est mon point de vue. Quoi qu’il en soit, je suis triste de subir ces regards, j’ai envie de leur crier : je suis humain ! ».

Aujoud’hui c’est le grand jour. Labyrinthe, assisté de son avocat doit comparaître pour connaitre son sort, savoir s’il est accepté, s’il peut bénéficier de l’asile politique en France. Il songe déjà à la manière dont il annoncera cette bonne nouvelle au pays. Il songe à sa famille, à tout ce qu’il pourra leur apporter. Il se promet de travailler dur, dur comme fer, et pourquoi pas assurer deux boulots à la fois. Labyrinthe est confiant.

« Ah ils seront tous heureux, les enfants pourront continuer leur scolarité, mon père pourra enfin se reposer.

Comme le dit bien Jamel Debouzze dans un de ses sketchs, je suis le puits de pétrole ! C’est dingue, je ne pense même pas à moi, à ce que je vais faire plus tard. Ceci dit, je pourrai compter sur la famille. A la minute où leurs affaires commenceront à s’arranger, ils s’occuperont des miennes. Qui sait ? Ils seront capables de me mettre de la pression « il faut que tu te maries, tu pris du retard » pour faire naître en moi, un cocktail bouillonnant d’objectifs farfelus ».

L’état enthousiaste de Labyrinthe n’aura duré que quelques minutes, le temps de la plaidoirie et de la délibération.

  • Sa demande est rejetée.

«  Catastrophe ! Mon Dieu pourquoi cette décision ? Pourquoi tant de haine ? Le monde s’écroule autour de moi. Mon Dieu, je te parle à toi, toi qui sait tout de moi. Pourquoi m’avoir infligé cela ? Et, auprès de qui pleurer ? Mon père dira certainement que c’est encore parce que je ne suis bon à rien que je n’ai pas su faire ce qu’il fallait. Que faire ? J’aurai dû mourir en mer. ».

La depression de Labyrinthe n’a duré que quelques jours fort heureusement. Il a appris que cette décision rendue sur son sort n’était pas une fatalité. Il a droit à un recours, une sorte de seconde chance.

Il sait qu’il doit travailler dur avec son avocat pour saisir cette seconde chance. De la persévérance, il en aura besoin car sans ce précieux sésame, il ne pourra rien faire. Il ne pourra pas travailler et ainsi aider sa famille. Il restera bon à rien, ad vitam aeternam.

«  Il faut jouer le tout pour le tout ! Le plus dur est passé vu que j’ai réussi à faire avaler la pilule à la famille. J’ai réussi à les rassurer. Il va falloir que je travaille les points négatifs de mon dossier, ceux sur lesquels il se sont basés pour motiver leur refus. Je vais y arriver, je dois y arriver ! ».

C’est le jour J. La comparution est prévue à 10h piles.

Labyrinthe s’est levé très tôt ce matin et a pris une douche. Il a mis sa plus belle chemise, blanche à la base mais à force de maltraitance, elle a fini par avoir une couleur non encore répertoriée ; Mais c’est la meilleure de toutes. Le pantalon gris est dépourvu de forme convenable. La fermeture de la braguette a détallé il y a des lustres. Quant aux chaussures, il n’y a pas de sujet car elles sont bien cachées par le pantalon tombant.

Labyrinthe n’a plus l’assurance de la première fois. Il sait que tout peut se jouer à un détail près. Son cœur bat la chamade et menace de quitter la cage thoracique. Les auréoles sous ses bras se chargent de définir son état de stress.

Labyrinthe s’accroche tant bien que mal au discours rassurant de son avocat. Par moment il se permet un soupçon d’optimisme qui ne dure que quelques secondes.

Cet état d’agonie n’aura duré que quelques minutes, le temps de la plaidoirie et de la délibération.

  • Sa demande est rejetée.

La sentence de cette fois-ci est lourde de conséquences. Il n’y a pas de seconde chance. Labyrinthe doit quitter le territoire. Il a reçu une lettre le sommant de quitter le territoire français les semaines qui ont suivi. Cette lettre, Labyrinthe la voit comme un arrêt de mort.

«  Partir ? Mais où ? Il paraît que je dois rentrer chez moi, mais c’est où chez moi ? Je ne suis nulle part chez moi ! Je suis anéanti. Pour une fois, je suis d’accord avec mon père. Il avait raison depuis le début, je suis bon à rien. Rien ne me réussit.

Je n’ose même pas imaginer le comité d’acceuil que me serait réservé à mon arrivée. D’abord des pleurs, et puis dans quelques jours, rebelote ! Bon à rien, tu n’assumes pas tes responsabilités, tu es ceci tu es cela…

Je suis bon pour la casse, la mort ne peut être que la meilleure alliée en ce moment. Que faire ? Où aller ? Mon Dieu je suis perdu, je suis foutu ! ».

C’est enfin ici que l’espoir idyllique de Labyrinthe marque un arrêt. Sa destination choisie, ce pays, ne lui a pas ouvert les bras. Il doit se rendre à l’évidence, sa vie de nomade n’a pas dit son dernier mot.

Les Hommes ont construit des frontières imaginaires qu’ils s’amusent à ouvrir et fermer comme bon leur semble. Ce petit jeu est dicté par la cupidité. Mais à quoi donc serviront toutes ces richesses ? La mort est inéluctable, aucune étude n’a prouvé le contraire de nos jours. Elle frappera, et tout le monde y passera sans que RDV ne soit pris.

Bill Gates partira sans ses dividendes, la reine d’Angleterre partira sans ses joyaux.

Par le passé, les pharaons égyptiens ont voulu partir avec leurs trésors. Nous savons tous où ces trésors ont fini : dans des musées, accompagnés de leurs vieilles carcasses joliment appelées « Momies ».

Les frontières étant imaginaires, il suffit de les effacer, se pousser un peu et faire de la place à ceux en demandent. « Il n’ y a pas assez de travail, il n’y a pas de quoi nourrir tout le monde » diront-ils ! Mais peut-être pourrions-nous réfléchir autrement ? Reprendre l’analyse des choses sous un autre angle ? Qui sait ? Peut être qu’en faisant cela, nous finirons même par trouver des réponses à la grande question qui concerne tous les humains, celle écologique.

Adama Garanké Diallo

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