Lamoussa djinko :” la mise sous tutelle d’une monnaie n’envoie nulle part un pays” (interview)

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D ans un contexte de préparation de la coupe d’Afrique des nations , le président Lamoussa Djinko, du parti du Renouveau Démocratique de la Côte d’Ivoire, a bien voulu évoquer l’actualité ivoirienne.

De la vie du parti au jeu politique ainsi que les réformes en cours, le leader de la formation au logo du livre s’exprime sans détour !

Interview

Guineeactuelle.com : Parlez nous de votre parcours!

Lamoussa Djinko– Avant tout, je tiens à vous remercier pour la sollicitation. J’ai débuté les études en Côte d’Ivoire avant de rallier les USA à la vingtaine. Je suis diplômé en finances internationales, j’ai servi dans les assurances et je fus aussi Banquier avant d’intégrer la direction financière de chez Chrysler, le constructeur automobile international américain.

J’ai ensuite mis en place une structure de santé qui a collaboré avec le gouvernement du président Laurent Gbagbo ainsi que de son Excellence Alassane Ouattara.
Comment est venu votre déclic ?

Il m’a été donné de constater que depuis 1960, le pays est dans une passe difficile et j’entends changer la donne, notamment l’orientation économique qui reste vitale. Je fus marqué par les années 90 avec la polémique de la carte de séjour où nous avons grandi avec plusieurs citoyens de la sous-région pleinement intégrés devenus étrangers du jour au lendemain sur des considérations partisanes et politiciennes qui ont divisé notre société.

On a commencé une distinction des Ivoiriens à tel point que des Ivoiriens ont été confondus comme étant des étrangers. Certains sont arrivés avant même l’indépendance, or ceux qui sont venus après, composent aussi la Côte d’Ivoire.

Mon engagement a aussi pris forme vu qu’en 1999 nous avons eu un coup d’État , dont on ne pouvait jamais imaginer pensant que ça n’arrivait qu’aux autres. Et je fus ensuite marqué en 2002 par la rébellion dont j’ai eu à échanger avec des membres du MPCI : c’est alors que je prends une mise en disponibilité pour venir au pays et créer mon ONG afin de promouvoir la paix, la démocratie et la justice. Six mois plus tard, je suis interpellé que ce cadre n’est pas indiqué d’où la création du Renouveau Démocratique qui est né des cendres de l’ONG AIPDJ le 08 Septembre 2006: ne pas pouvoir se soigner, ne pas manger à satiété sont des questions d’ordre politique.

Est-ce qu’au sortir de toutes ces épreuves, les leçons ont été retenues alors que le Président Alassane Ouattara est dans un 3ème mandat qui a fait polémique même si la Constitution le permet?

Au plan politique , la Côte d’Ivoire a fait un mauvais choix économique car en 1945 , la France a instauré ce système de CFA afin de se reconstruire de la destruction subie en seconde guerre mondiale : ce qui a permis d’exploiter les colonies en plus de conditionner les indépendances des États africains avec un quota de 65% de la monnaie : un sort scellé qui a été maintenu alors que la mise sous tutelle d’une monnaie n’envoie un pays nulle part.

Pour la gestion du Président ADO, il a fait ce qu’il peut et il y a eu des acquis mais cela reste insuffisant car les statistiques montrent bien que la Côte d’ivoire est toujours pauvre.

Nous avons 484 décès sur 100 000 personnes, 1 médecin pour 10 000 habitants, 4 lits d’hôpitaux pour 10 000 habitants, 75000 CFA de SMIG pour un pays au coût de vie élevé. Autant de statistiques qui ne font pas de la Côte d’Ivoire un boost économique bien qu’il s’agisse des acquis du régime actuel . Aussi, on prend des crédits auprès de la Banque Mondiale, le FMI, le club de Paris et Londres pour faire trois choses qui n’ont jamais changé : construire des routes, quelques écoles et centres de santé. Une situation de dette où ces institutions financières évoquent la restructuration qui amène à réduire les dépenses de l’État mettant un frein est mis à ces trois chantiers.

Finalement, cinq ans après, tout est dégradé et on ne mobilise pas les fonds comme il se doit. Un cercle infini qui n’a jamais changé et quiconque arrive perdura dans cette contre performance.

Au sujet de la cherté de la vie, quand il faut rembourser les prêts alors que l’assiette de l’État est petite, il est demandé à chaque Ivoirien de payer des impôts supplémentaires, c’est pourquoi la douane amasse à elle seule 44% de taxes sur les véhicules, l’essence qui coûte 875 francs le litre alors qu’il coûte 570 francs aux USA. Idem pour le riz et l’huile aussi à la hausse et le Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti ne peut tenir le coup. Il suffit de sortir d’Abidjan pour voir et vivre la misère des populations dans un modèle économique de politique fiscale que nous dénonçons car le modèle monétaire est plus indiqué.

Au sortir des élections locales, le parti présidentiel s’est renforcé. Est-ce qu’avec cette majorité émergente, on peut envisager un 4ème mandat du Chef de l’État ?

Il y a problème car les africains pensent que la démocratie n’est pas faite pour eux alors qu’il s’agit de choisir un leader pour une durée donnée. Ce sont nos propres cadres qui remettent en cause les règles du jeu: le 1er Président Ivoirien a régné pendant 30 ans d’où une gestion excessive du pouvoir provoquant une myopie politique qui a donné naissance à des crises continues.

Au sujet des changements de Constitution, le parti Renouveau Démocratique est opposé. Une fois le mandat arrivé à terme, rien n’indique ou accompagne le président sortant à siéger dans la nouvelle République et nous restons fortement constitutionnalistes dans notre formation. On entend se battre car on ne change pas une Loi fondamentale mais on l’amende. Et quand on devient Président une 3eme fois de suite dans une nouvelle République, il n’y a aucune base car on « meurt » avec la dernière République. Cest seulement quand il y a des textes pertinents que le peuple sera consulté car au final , il faut retenir une chose : tous ceux qui ont changé leur Constitution n’ont réellement rien apporté de plus que durant les 10 ans d’avant, surtout que les programmes se ressemblent.

Quelle est la Spécificité des idéaux de votre parti ?

Il me faut d’abord ressortir les indicateurs qui définissent notre lecture des chose : déjà j’ai grandi dans les années 60 et au vu de l’évolution de mon pays , j’ai compris que la rupture tant prônée par certains dirigeants est juste un camouflet. Aussi, malgré ce qui se dit, on n’est pas démocrate avec un système économique inadapté, l’éducation qui va de mal en pire: la preuve quand j’étais écolier, il y avait 25 élèves maximum en classe alors que maintenant pas moins de 70 élèves.

Hélas, le pays agricole que nous sommes ne s’est jamais industrialisé, ce qui fait qu’au final on ignore nos prix à l’international et on ne peut les contrôler à la bourse de Paris, Londres et New York. La Côte d’Ivoire est toujours restée pauvre alors que le pays est en réalité resté là où il est.

Ainsi, le Renouveau Démocratique reste une alternative avec une façon de voir les choses sur des orientations différentes, une relance de l’économie sur la base d’une industrialisation concrète avec l’autosuffisance alimentaire comme priorité phare. Notre équipe prévoit un système de crédit universel où entrepreneurs et consommateurs peuvent avoir accès, avec un système éducatif nouveau et une refonte du système sanitaire car j’ai eu à travailler avec les régimes des Présidents Gbagbo et Ouattara sur la question.

Je tiens à préciser qu’il reste beaucoup à faire au plan de la santé. J’ai eu la grâce de prendre part au processus de l’Assurance Maladie Universelle quand le président Laurent Gbagbo était sous embargo mais à l’époque la distribution des cartes était mise en avant alors qu’on avait aucune infrastructure adaptée à l’époque. Il fut alloué milliards CFA pour chacune des 31 régions du pays où on pouvait avoir un centre de santé. Avec le CHU de Yopougon et plusieurs entités similaires, on avait mené des études pour avoir une santé de proximité, ce qui nous a permis de décaisser alors 3 milliards de dollars mais hélas, la crise de 2010 a tout chamboulé. À l’arrivée du président Alassane Ouattara aux affaires, il était parti en tournée aux USA où j’ai eu à échanger avec lui pendant 45 secondes: je lui ai rappelé ces initiatives déjà entamées et il a bien voulu collaborer avec nous. Sauf que cette fois, c’est le coronavirus qui a eu raison du projet.

Notre expérience au sommet de l’État nous permet d’affirmer que l’AMU ne peut pas sauver les ivoiriens mais plutôt les centres de santé. Il importe d’avoir une santé de proximité. En son temps, on avait pu mobiliser ce qu’il faut avec le Directeur national de la dette de la Côte d’Ivoire. Le pays se doit d’avoir des médecins spécialisés, d’ailleurs nous venons de la région de Bangolo où il n’y a même pas de dispensaire pour près de 3000 habitants. Et même s’il leur faut venir sur Abidjan, la capacité d’accueil est limitée : mieux vaut créer une diversité de plateaux techniques à travers le pays que de remettre des cartes aux gens.

Huit ans après la création du Renouveau Démocratique, quel est le Bilan du parti ?

Nous sommes constants et en position confortable. En 2006, il y avait une crise militaire dont nous avons pris part au processus de paix, travaillant avec le Premier ministre Charles Konan Banny qui a fini par démissionner car les divergences étaient fortes entre Ivoiriens. On avait pris nos distances mais vu l’émiettement des choses, nous avons décidé de revenir avec des propositions nouvelles et concrètes sur des sujets comme la crise économique du pays et la cherté de la vie.

Il faut plutôt demander quel est le bilan des autres à savoir le PDCI ou le RHDP entre autres. Le Renouveau Démocratique cherche à venir au pouvoir pour faire aussi des réformes donc on a pas de bilan.

Nous avons entrepris le plan de santé de la Côte d’Ivoire qui coûte 3 milliards USD, occupé notre rôle lors du processus de paix, expliqué aux populations que des problèmes demeurent et qu’elles comprennent les contours des réalités socio-économiques que nous vivons.

Seriez vous Candidat en 2025 ?

On ne crée pas un parti pour accompagner les autres ou constituer un décor mais conquérir le pouvoir. Le parti Renouveau Démocratique aura bel et bien son candidat en 2025. Déjà nous étions aux rendez vous des communales avec des candidats- notamment à la mairie de Bouaflé- qui ont intégré le conseil communal. Ce dernier était le plus jeune de la région dans la course et s’est annoncé à 90 jours du vote, ce qui ne nous a pas empêché d’atteindre notre objectif.

La Haute autorité pour la bonne gouvernance hausse le ton pour une déclaration des biens des agents de l’État. Donnez nous votre avis sur ces actions préventives contre la corruption!

Ce qui se passe à l’intérieur d’un gouvernement n’est pas fameux car s’y trouve une corruption à l’échelle excessive. Déjà les appels d’offres sont sapés en faveur du gré à gré, des agents de l’État qui ont plus d’un million comme salaire détenant des réalisations de 3 milliards sans avoir une quelconque entreprise où à les justifier sont monnaie courante.

Il faut mettre fin à cela d’abord, surtout dire qu’il faut déclarer ses biens après 13 ans de pouvoir est une ironie voire de la parodie politicienne : on devait le faire depuis l’avènement du pouvoir actuel en 2010 et pas quand la moralité de la vie publique va mal. Comme quoi, on joue au médecin après la mort.

Comment est-ce que votre formation aborde la promotion du Genre ?

J’estime que nous sommes dans un pays où les femmes sont négligées dans le processus de développement de la nation. Ce constat qui est général en Afrique embarasse beaucoup car on a eu cette tendance qu’une économie se fait par les hommes.

Au Renouveau Démocratique, on ne cessera de dire aux autorités:  » faites appel à nos femmes, à nos soeurs » Idem pour celles qui peuvent apporter quelque chose en politique car leur savoir-faire faire n’est point négligeable. La promotion du genre est une nécessité absolue car j’estime que le gouvernement devrait même avoir 40 à 60% de femmes, ce qui doit prévaloir à tous les niveaux. On a tellement de femmes qui ont fait de longues études mais les portes du gouvernement voire de l’Exécutif leur sont fermées et elles s’expriment rarement.

J’invite les femmes à aller vers les partis pour comprendre la politique et agir pleinement en société! Les portes du Renouveau Démocratique leur sont ouvertes et nous allons les promouvoir, déjà que nous avons des représentantes qui sont femmes leaders et d’autres ici qui sont très impliquées dans la mobilisation.

D’ailleurs, nous prônons le 50-50 dans la représentativité donc la parité. Je profite de l’occasion pour dire ceci aux femmes :  » Ne laissez pas les hommes seulement décider pour la vie de la nation. Vous êtes aussi capables et il faut que vous fassiez des propositions. La preuve , avec les hommes, on est parti nulle part ».

Votre Mot de la fin!

La Côte d’Ivoire est dans des problèmes depuis son indépendance et nous sommes allés de mal en pire. Le système économique, l’agriculture et la santé sont des secteurs à revoir foncièrement car il n’y a pas d’industrialisation encore moins une autosuffisance alimentaire pleine. Le système bancaire mis en place depuis 1959 inspiré du système français asphyxie notre économie d’où le fait de sortir du CFA et des accords coloniaux établis juste avant notre indépendance.

Aussi l’Afrique se doit de réussir son défi économique avec la création de 4 zones monétaires appuyés d’une industrialisation poussée qui reste un passage obligé afin d’être compétitif.

Interview réalisée par KEITA IDRISSA!

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