Guerre en ukraine : occidentaux et russes confrontés à la dure réalité historique

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A u 21ème siècle, on ne se comporte plus comme au 19ème, en envahissant un autre pays, a dit John Kerry, le Secrétaire d’État américain de l’époque, il y a 8 ans.

La sidération dans le camp occidental, au lendemain de l’attaque russe en Ukraine, ressemble au réveil hagard d’une personne plongée dans un trop long sommeil. Il est aussi frappant de constater l’uniformité du langage des médias et des personnalités politiques.

L’émotion semble dicter des réactions déplacées voire hystériques, comme celle du ministre de la Défense du Luxembourg préconisant l’élimination physique de Vladimir Poutine. Et l’on rapporte que des restaurateurs russes se font insulter par des passants, et qu’une université milanaise a décidé d’arrêter l’étude d’un auteur majeur : Dostoïevski. Décidément, le monde contemporain n’est pas, selon le rêve libéral des 30 dernières années, moins obscurantiste que celui de nos ancêtres… N.S. Lyons (voir son essai en lien) ne se penche pas sur la question d’une responsabilité de l’OTAN dans le conflit, et ne sonde pas la personnalité de Vladimir Poutine. Il s’intéresse à ce que cette crise révèle sur le rapport à l’histoire, du point de vue de l’Occident libéral comme de l’autocrate du Kremlin.

La « fin de l’histoire » (Fukuyama) promettait l’avènement de la « paix perpétuelle » rêvée par Kant. La chute de l’empire soviétique annonçait le triomphe du libéralisme. Le progrès allait inexorablement porter l’humanité vers un monde nouveau, où toutes les barrières entre les gens (le temps, l’espace, les différences culturelles) seraient aplanies. Grâce au fin maillage de la toile du commerce et de la communication, les peuples autrefois reclus dans l’ombre des frontières ne feraient plus qu’un. D’abord l’Europe, puis toute la planète. Et pourquoi pas un jour, l’exploration d’une autre galaxie… Bien sûr, il y aurait des obstacles comme des États voyous ou le terrorisme islamique. Mais toutes ces haines, ces préférences tribales, ces ferveurs maladives seraient guéries à mesure que les privations matérielles viendraient rassasier les nécessiteux. Enfin, la bonté intrinsèque des hommes triompherait, et la guerre, la famine, la puanteur des sociétés encore accrochées comme des parasites à leurs identités fantasmées, seraient abolies. Peut-être la mort même ! grâce à l’ingéniosité des scientifiques…

Ce rêve d’un libéralisme global a été rendu possible par la domination de la superpuissance américaine, une fois la « guerre froide » terminée. Il y a bien eu quelques cauchemars, comme les guerres désastreuses en Irak et en Afghanistan, et l’émergence du grand rival chinois. Mais l’hyperpuissance américaine restait persuadée de pouvoir façonner le monde à son image. Plus besoin de se pencher sur le passé quand l’histoire est transcendée…La sagesse de Thucydide, qui voyait dans l’histoire une source capitale pour comprendre et préparer le futur, avait été perdue. On ne voulait plus voir l’atrocité des guerres, ni considérer que les nations s’affrontent quand elles s’y sentent obligées par « la peur, l’honneur ou l’intérêt ».

Et voilà que Vladimir Poutine, qui ruminait sa vengeance depuis des années, vient comme un dragon rugissant à la fenêtre de la « Belle-au-bois-dormant ». En lançant l’offensive contre l’Ukraine, la maître du Kremlin semble avoir réussi à réveiller l’Occident confortablement engoncé dans les bras de Morphée. Finalement, les Cassandre avaient raison : les passions humaines sont les mêmes au 21ème siècle que tout au long de notre histoire. Le réveil est dur. La politique n’est pas un jeu, c’est le pouvoir. Et le pouvoir est fondé sur la violence. Poutine, lui aussi, fait face à un gros problème : son plan ne se passe pas comme prévu. S’il s’agissait d’empêcher l’émergence d’une Ukraine souveraine, de garantir sa sécurité vis-à-vis de l’OTAN, de saper les fondations de la domination occidentale sur le monde, alors c’est un échec cuisant. Même l’inimaginable s’est produit : l’Allemagne se remilitarise ! L’autocrate espérait que la majorité des Ukrainiens accueilleraient son armée en libératrice. Au contraire, la résistance est farouche. Le coup de main devant renverser le pouvoir à Kiev a tourné au fiasco et l’armée russe dévoile au monde de sérieuses faiblesses. Et plusieurs oligarques puissants ont publiquement désavoué l’attaque…

Poutine a, lui aussi, oublié les leçons de l’histoire, isolé par son mode de gouvernement autocratique. Pensait-il que les Ukrainiens avaient oublié les millions de morts des années 30 affamés par son prédécesseur Staline ? Qu’en tant que peuple slave, ils n’allaient pas opposer une résistance acharnée face à l’envahisseur ? Même si l’armée russe finit par occuper l’Ukraine, le coût sera exorbitant. Lui qui se rêvait en Pierre le Grand court aujourd’hui le risque de trouver dans son bortsch le polonium qu’il a administré à plusieurs de ses opposants.

Ludovic Lavaucelle in LSDJ

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