Aux origines de l’eldorado minier guinéen ! Dans la région bauxitique de Boké, la CBG est la plus ancienne société minière en exploitation, depuis Octobre 1973. A ce jour, peu s’intéresse sur les enjeux stratégiques, économiques et politiques qui ont prévalu dans la création et l’évolution de la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG).
En effet, le « projet de Boké » comme on l’appelait à ses débuts, a pris naissance au lendemain de la seconde guerre mondiale. La France, puissance colonisatrice tente de redéployer son industrie stratégique de la défense dans les territoires de ses colonies en Afrique, afin de les préserver d’une éventuelle guerre contre l’Allemagne. La Guinée naturellement favorite par son potentiel en énergie hydroélectrique et d’un micro climat du Fouta Djallon clément pour l’accueil d’une colonie d’ingénieurs venus des zones tempérées, est désignée pour abriter l’industrie de l’aéronautique française. La société minière française Bauxite du Midi, filiale de la firme canadienne Alcan, avait entamé des missions d’explorations dans la région de Boké à partir de 1920.
En 1948, les résultats des premiers sondages mirent en évidence des gisements estimés à plus de 500 millions de tonnes de réserves à plus de 55% d’alumine dans la seule région de Sangaredi. ALCAN annonce aussitôt un investissement de 100 millions de dollars dans Bauxite du Midi pour la mise en œuvre d’un projet d’extraction de bauxite et la construction dans la même zone d’une usine d’alumine d’une capacité de 230.000 tonne par an.
Au terme de plusieurs mois de négociation avec le gouvernement semi-autonome de la loi-cadre dirigé par le syndicaliste Sékou Touré, une convention est signée en Juillet 1958 avec Bauxite du Midi. Cette dernière s’engage à financer la construction de l’infrastructure nécessaire à la production de 1,5 millions de tonnes de bauxite brute, et 220.000 tonnes d’alumine avant 1964. Énergie Électrique de Guinée (filiale d’EDF), la société publique d’énergie s’engage à mener les études pour la construction d’un barrage hydroélectrique sur le Konkouré. Il était prévu le partage de l’énergie produite avec Pechiney déjà présente dans la région de FRIA depuis 1956 pour la construction d’une usine d’alumine. Avec le recul historique, l’opération semble avoir été plus une tentative pour sécuriser les droits d’Alcan sur la bauxite de Boké, qu’un véritable projet de constitution d’un tissu industriel local.
La Guinée entre les titans, quelle place pour la France?
Au lendemain de l’indépendance le 02 octobre 1958, l’avenir de tous les projets industriels semblait compromis suite à la rupture brutale avec la France. Les nouvelles orientations politiques très marquée à gauche du régime inquiètent les dirigeants de Bauxite du Midi. La société invite à la mise en place d’un consortium avec les firmes KAISER, REYNOLDS, VAW et ALUSUISSE pour mobiliser les financements importants qu’exigeait le projet (revus à 200 millions de dollars). L’absence de garantis politiques d’une puissance industrielle et les «incertitudes politiques » du nouveau régime contribuèrent à freiner l’avancée du projet. Le gouvernement entendait conserver les avantages de l’accord de Juillet 1958 conclu avec Alcan, notamment celui portant sur la construction d’une usine d’alumine. En Octobre 1961, Bauxite du Midi annonce la suspension de ses activités minières en Guinée, notamment ses opérations de production de bauxite dans l’île de Kassa. En réaction, le gouvernement annonce la nationalisation de tous les actifs de Bauxite du Midi sur le territoire guinéen, estimés à 23 millions de dollars. Plus tard en 1966, la société mère ALCAN obtiendra gratuitement 10 millions de dollars d’actifs dans le consortium HALCO en compensation des pertes subies suite à la nationalisation.
Dans cette période de guerre froide, les enjeux géopolitiques internationaux se greffèrent et rendirent complexes les défis jusque-là mis en avant par les multinationales : la recherche de source d’approvisionnements sûrs et durables en matières premières stratégiques. L’aluminium devenu entre-temps un métal stratégique pour l’industrie militaire et l’aéronautique en expansion. Il faut rappeler dans ce contexte que l’URSS fût parmi les tout premiers États à reconnaitre et à déployer une mission diplomatique en Guinée après l’indépendance. L’administration Eisenhower semblait hésiter entre respect du principe d’autodétermination, fondateur des USA, qui l’obligerait à reconnaitre le nouvel État, et souci de ménager les humeurs de Paris, un allié stratégiques en Europe. Face à la forte offensive diplomatique et économique des soviétiques en Guinée (octroi d’un prêt de 40 millions de roubles en 1959), les USA déployèrent en Février 1959 leur première mission diplomatique à Conakry, sous l’autorité de Donald Dumond, jusque-là consul à Dakar. C’est le début de la construction d’un axe diplomatique et stratégique solide entre Conakry et Washington qui résistera à toutes les péripéties de la guerre froide et aux soubresauts politiques du régime du PDG.
Le parti démocrate en campagne aux Etats-Unis critiqua sévèrement cette attitude des républicains (Eisenhower) en Guinée qui laissait un champ libre à la progression du communisme en Afrique de l’ouest. En Novembre 1960, l’élection de Kennedy à la maison blanche modifia complétement les rapports entre les Etats-Unis et la Guinée. L’Afrique réapparait au centre des intérêts stratégiques américains dans le cadre de la lutte contre le communisme. Sous le mandat de Kennedy on assiste à une augmentation substantielle de l’aide au développement américain en Guinée. L’enveloppe financière de toute la coopération américaine en Guinée s’élevait à 20 millions de dollars par an. Dépassant de loin pour la même période le montant accordé à des pays réputés modérés alliés de l’occident en Afrique, comme la Côte d’Ivoire ou le Sénégal. Profitant des tensions diplomatiques entre Moscou et Conakry en 1961, suite à la dénonciation par Sékou Touré d’un complot des enseignants d’orientations marxistes accusés d’être à la solde de Moscou. L’ambassadeur de l’URSS à Conakry Daniel Soled est expulsé du pays.
La Guinée et sa bauxite au cœur des enjeux géopolitiques mondiaux
C’est dans c’est circonstances qu’éclatera en Octobre 1962 la fameuse crise des missiles de Cuba. Face au blocus militaire maritime des USA sur l’Atlantique, les soviétiques proposèrent à la Guinée qui, le refusera pour des raisons de neutralité stratégique, l’utilisation de son territoire (port et aéroport) comme base opérationnelle. Les USA perçurent une telle prise de contrôle du territoire Guinée à 9000 km des côtes de NEW YORK comme une nouvelle menace géostratégique identique à celle en jeu à Cuba. Les Etats-Unis tentent ainsi de reprendre la situation politique en Guinée en se proposant de réaliser le barrage de Konkouré initié par la France pendant la période coloniale pour développer l’industrie d’aluminium en Guinée. Les pressions exercées par le général De Gaulle qui, menaçait de quitter l’OTAN si les USA réalisaient ce projet vital pour l’économie guinéenne, poussèrent les américains à renoncer au projet. Paradoxalement, les mêmes pressions politiques obligèrent les soviétiques à renoncer à la réalisation du même projet de barrage intégré souhaité par la Guinée. Une fois de plus, la géopolitique prime sur les intérêts économiques.
A l’automne 1963, la société HARVEY Aluminium, crée par Léo HARVEY, entre en scène et propose à la Guinée la reprise du « projet de BOKE ». La proximité entre les démocrates (Kennedy) et les HARVEY donne un coup de pouce au projet. L’entreprise profite de la Défense Product Act du 8 Septembre 1950 (une loi fédérale pour soutenir l’industrie américaine face aux défis de la guerre froide) pour obtenir le soutien financier et politique du gouvernement américain. Kennedy déploie en Guinée un agent de la CIA pour obtenir l’accord de Sékou Touré, et nomme son ami William Atwood comme ambassadeur en Guinée. En octobre 1963, la convention de base est signée entre la Guinée et la société HARVEY pour l’exploitation des gisements de BOKE. C’est la naissance de la CBG, une entreprise mythique, « cheval de Troie » des multinationales de l’aluminium. Son capital social initial de 2 millions de dollars, est détenu à 49% par l’Etat guinéen et 51% par HARVEY, et plus tard repris par le consortium HALCO (regroupant les majors de l’industrie de l’aluminium). Ces dernières ayant perdues le projet en 1961, reviennent par la fenêtre dans le projet de Boké. Le gouvernement américain accorde des prêts avantageux, offrent des soutiens politiques et diplomatiques et signent des contrats d’achat à long terme d’aluminium avec HARVEY. Il soutient également la Guinée pour l’obtention de financement auprès de la Banque mondiale (100 millions $) destinés à construire les infrastructures du projet (port, chemin de fer, cité).
La CBG, « cheval de Troie » des multinationales de l’aluminium
Les besoins en matières premières d’une entreprise minière américaine se conjugue avec les enjeux géopolitiques de la guerre froide : empêcher la satellisation de la Guinée par les soviétiques. En 1966, les grandes multinationales de l’Aluminium auparavant associées au « projet de Boké » avec Bauxite du Midi, entrèrent dans le capital de la CBG : HARVEY revendît 80% de son action à 10 millions de dollars, soit un profit de 8 millions de dollars. Au fil des années, les multinationales se revendent, et se rachètent des actions au sein de la CBG générant des profits énormes au détriment de la Guinée. La CBG subit les luttes que se livrent en aval les firmes pour le contrôle de la très concentrée industrie de l’aluminium entre Alcoa, Reynold, Alcan, Kaiser, Martin Marietta, Montecatini, VAW etc…
Chiffrés à près de 400 millions de dollars à sa mise en service en 1973, la CBG est le plus grand investissement de la Banque Mondiale en Afrique Subsaharienne pendant cette période. Aujourd’hui, trois (3) firmes internationales se partagent, au côté de la Guinée (49%), les restes des 51% des actions de la CBG : ALCOA, RIO TINTO-ALCAN et DADCO. L’actionnaire initial HARVEY ayant complétement disparu au sein de la compagnie bien avant le démarrage de la production en 1973, engloutie par les « majors » dans le sillage du processus de constitution d’oligopole pour le contrôle à leur profit de l’industrie d’aluminium à haute valeur ajoutée. Cependant, les USA et les entreprises américaines sont restées, jusqu’à nos jours, au cœur de toutes les orientations stratégiques de la CBG : assistance technique, achats de matériels, siège social, compte trustee (San Francisco, City de New York) pour le remboursement des prêts et autres opérations financières de la compagnie. Un autre fait tout aussi surréaliste dans l’histoire de la CBG intervînt en 1966, après la séquestration d’une délégation guinéenne conduite par Lansana Béavogui en escale à Accra par les tombeurs de Nkwamé Nkrumah. Réclamant l’extradition de l’ancien président refugié en Guinée depuis le coût d’Etat de 1965. En Novembre 1966, l’ambassade des Etats-Unis à Conakry est mise à sac par des manifestants accusant les USA de connivence avec le Ghana. Radio Conakry diffuse en continue des invectives de Sékou Touré contre ce qu’il appelle « le cadeau empoisonné de l’impérialisme américain ». L’ambassadeur des USA Macllvaine est rappelé à Washington pour consultation. Il rejoignît quelques semaines après son poste à Conakry, le 12 Décembre 1966. En 1976, la CIA est accusée de complot en intelligence avec l’ancien secrétaire général de l’OUA, Diallo Telli. La même année Sékou Touré reçoit en grande pompe à Conakry Agostinho Neto de l’Angola, Louis Cabral de Guinée Bussau, et Fidel Cabral de Cuba, les pires adversaires idéologiques des Etats-Unis. Mais pour le gouvernement américain, les enjeux géopolitiques ont pris le dessus sur les considérations politiques et diplomatiques. D’autant plus que les soviétiques ont démarré une exploitation de la Bauxite à Kindia (OBK, future SBK et CBK), ce qui renforce la conviction des américains sur la nécessité de maintenir leur présence en Guinée en dépit de toutes les humiliations. Ce qui ne manquera pas de froisser constamment Paris, tout en fragilisant le processus de démocratisation de la Guinée. La CBG a généré plus de 5 milliards de revenus à la Guinée, exportant plus de 600 millions de tonnes de bauxite brute. Elle a alimenté la production de 150 millions de tonne d’aluminium pour un chiffre d’affaires de 400 milliards de dollars. Ce qui soulève des interrogations sur les véritables enjeux et défis de la coopération de la Guinée avec les multinationales de l’industrie de l’aluminium. Une coopération dans laquelle géopolitique mondiale et économie minière se confondent inextricablement. Les mines, c’est aussi de la géopolitique. Un facteur constamment ignoré dans nos politiques minières.
BARRY Oumar,
Doctorant en Sciences Politiques/R.I, Université de LYON.