Afrique: quelle alternative face à l’échec démocratique sur le continent? (tribune)

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D epuis les indépendances, beaucoup d’initiatives ont été lancées pour la création sur le continent des Nations démocratiques et stables, pour le rapprochement des peuples Africains et le raffermissement des liens de fraternité entre eux. Mais ces efforts se sont heurtés à de nombreux obstacles. La boulimie des petits princes, l’ethnocentrisme et le régionalisme ancrés dans nos sociétés, les inégalités socio-politiques, la politique du ventre… empêchent l’émergence sur le continent de véritables sociétés démocratiques.

En Guinée, le président Alpha Condé, aidé par une administration à sa mesure et une bonne partie du peuple, vient illégalement de se tailler une constitution lui permettant une présidence à vie. En Guinée-Bissau, un coup d’État tribal dont les ramifications s’étendent jusqu’au Sénégal et ailleurs, vient d’installer de force Umaro Emballo aux affaires.

En Côte d’Ivoire, Alhassane Ouatara mal élu, ambitionne encore un pouvoir à vie dans un simulacre d’élections. Au Sénégal, Macky Sall réélu par le biais d’un simulacre « d’un coup chaos », ruse à emprunter le même chemin. Au Togo, un régime dynastique au pouvoir de père en fils depuis plus d’un demi-siècle, vient de réprimer dans le sang les résistants du Parti National Panafricain. Seuls le Ghana peut se prévaloir d’être une Nation démocratique et stable en Afrique de l’Ouest.

L’Afrique centrale quant à elle, est la région la plus monocratique du continent avec des dirigeants d’un autre âge. Paul Biya 86 ans est au pouvoir depuis 1982, Sassou Nguesso au pouvoir depuis 1979, se prépare à briguer un autre mandat, Teodoro Obiang au pouvoir depuis l’indépendance de son pays, prépare son fils pour la dynastie ; Idriss Déby ou la dynastie Bongo avec ses 60 ans de règne… Faut-il en conclure que l’Afrique a un problème avec les principes de l’alternance démocratique? Ou bien faut-il repenser notre modèle démocratique?

De la décolonisation à nos jours, les États Africains ont pratiqué, à quelques exceptions près, deux systèmes démocratiques: le parti unique et le multipartisme. La principale caractéristique des partis uniques est d’avoir mieux réalisé l’unité nationale et la stabilité politique au sein des nouveaux États. Leur échec fut d’avoir piétiné les libertés individuelles, et instauré un totalitarisme monocratique. Il faut préciser qu’à l’époque, la communauté occidentale ne faisait rien pour promouvoir la démocratie comme elle le fait aujourd’hui. La France qui veillait à imposer l’ordre occidental, ne défendait que ses intérêts. Elle fut pour la plus part, le parrain de ces régimes totalitaires et de ces dictatures militaires !

Quant au multipartisme, les dirigeants Africains de la deuxième génération, avaient la lourde et délicate tâche de vaincre les monocraties. Or, le modèle de démocratie imposé au sommet de la Baule en 1990 ne fera qu’exacerber les divisions ethniques dans ces jeunes États où l’unité nationale reste fragile. Donc, au lieu d’être une alternative au parti unique, le multipartisme intégral apparaît comme un autre obstacle à la bonne marche démocratique sur le continent, une sorte de piège contre la stabilité interne de nos États et contre la paix et la cohésion sociale. Non seulement, ce système ne garantit pas les principes démocratiques, mais en plus,  ça reste de nos jours, l’un des principaux facteurs à l’origine du plus grand problème démographique des États Africains: l’ethnocentrisme.

Partant de ce constat d’échecs répétitifs, nous disons que l’Afrique doit produire son modèle démocratique propre à sa culture, si elle veut être institutionnellement stable et peser sur le plan international. Notre génération doit donc réfléchir et produire un système démocratique conforme aux réalités Africaines.

  • Sortir du dogmatisme de la démocratie libérale
  • Le combat pour l’idéal démocratique est un combat noble, mais en faire un sujet de dogmatisme est un danger. Comme tout dogmatisme d’ailleurs. Nombreux sont nos compatriotes qui n’envisagent la démocratie que sous le prisme des libertés individuelles: liberté d’expression et d’opinion, liberté d’entreprendre, etc. Nous disons quant à nous, qu’en présence des libertés individuelles, les libertés collectives priment. Les libertés collectives sont inopposables aux droits des individus. Oui à la liberté d’expression, mais d’abord le droit aux peuples de disposer d’eux-mêmes. C’est le lieu de préciser le paradoxe de la démocratie occidentale : Faire tout pour maintenir un peuple sous domination, et prétendre lui apporter la démocratie. Alors que la principale source de la démocratie, est bien la volonté populaire. Que dire donc si ce peuple est sous domination étrangère? Donc les premiers principes de la démocratie ce ne sont pas les libertés individuelles, mais bien les libertés collectives. Nous devons donc restaurer les mécanismes de la souveraineté populaire d’abord, ensuite consacrer les libertés individuelles.
  • Réinstaurer les mécanismes de souveraineté populaire

L’indépendance n’a de sens que si elle peut permettre au citoyen de savourer les délices de sa liberté. La souveraineté populaire appartient au peuple qui l’exerce directement à travers des structures démocratisées à la base: le veto populaire, l’initiative populaire, le mandat impératif, les structures populaires de base, un droit d’initiative au niveau législatif… Nous pensons également proposer la constitutionnalisation du référendum d’initiative citoyenne ou populaire, permettant aux guinéens de pouvoir proposer, refuser ou améliorer les lois auxquelles ils sont soumis.

  • L’instauration d’un système de démocratie semi-participative

La démocratie semi-participative est la forme la plus appropriée pour les pays comme les nôtres, et nous la proposons énergiquement contre ceux qui la jugent inefficace, trop lente ou même dépassée. La démocratie semi-participative est supérieure à la démocratie exclusivement parlementaire en ce que le peuple souverain peut exercer son pouvoir non seulement en élisant le Parlement, mais aussi en prenant position régulièrement sur des sujets d’intérêt spécifiquement vital depuis des structures démocratisées à la base.

Nous voulons un ordre social nouveau. Un ordre social « inclusif » qui englobe chaque citoyen, un système qui n’exclue personne et qui vise à associer et à faire participer chaque guinéen à la vie de la société, depuis des structures de base.

  • La double fonction du mandat impératif sur le mandat représentatif

La plus grande réussite du système semi-participatif, c’est qu’il peut permettre à la fois au citoyen de participer à la vie démocratique, sans pourtant renoncer à sa représentation nationale. Ce qui facilite cette double fonction. Le mandat impératif permet au citoyen électeur de solliciter auprès de la représentation la révocation d’un élu s’il est établi que ce dernier a trahi ses promesses de campagne.

  • L’enracinement local de notre modèle démocratique

Autant la forme démocratique de l’État nous tient à cœur, autant il nous importe aussi de fixer ses limites. Parce la démocratie est la dictature de la majorité, il faut éviter que les  majorités une fois au pouvoir, puissent abuser de leurs mandats comme nous le voyons aujourd’hui. Raison pour laquelle des structures locales devraient être mises en place pour que le citoyen puisse depuis son village ou son quartier, participer à la vie nationale. Ces structures de base elles-mêmes élues par les citoyens de chaque village ou quartier. Cette participation citoyenne permettra au peuple d’être maître de son destin, même s’il sera représenté par d’autres citoyens au sein de la représentation nationale.

  • Instaurer le financement public pour les partis les plus représentatifs

Une démocratie dans laquelle les partis sont dépendants financièrement de dons privés devient une démocratie des lobbys et autres groupes d’intérêts financièrement puissants. Nous voulons des partis forts et libres de toute influence étrangère. Ainsi, nous proposons un financement public des partis les plus représentatifs. Et pour garantir le débat démocratique, il faudrait une loi sur la transparence et le plafonnement du financement des partis et des campagnes politiques.

  • Instaurer des mécanismes de sauvegarde de la légalité constitutionnelle

Le meilleur rempart à la violation de la constitution reste l’armée. Le Président de la République, en tant que garant de la constitution peut être amenée à vouloir la modifier pour se maintenir au pouvoir. Il faudrait dans ce cas, des verrous constitutionnels et légaux à ce potentiel abus de pouvoir. Seul le pouvoir arrête le pouvoir. Raison pour laquelle le Haut Commandement militaire doit être institutionnalisé à faire respecter, en dernier ressort, la constitution. Elle doit veiller scrupuleusement au respect de la légalité démocratique et imposer au besoin, les principes de la constitution. En aucun cas, les officiers ou sous:officiers ne devraient profiter de la cacophonie pour prendre le pouvoir.

Il est à préciser cependant que dans cette configuration, l’armée reste soumise à la constitution, pas au politique. Et si elle doit obéissance au Commandant en Chef, le Président de la République, les ordres doivent être cependant conformes à la constitution et au code militaire.

  • Sortir de la culture de la conflictualité politique pour un modèle plus apaisé

En Guinée comme partout ailleurs en Afrique francophone, des tensions sociales, des déchirures politiques et sociales fusent. Nous devons sortir de la culture de la conflictualité politique en faveur d’une culture plus consensuelle, plus apaisée, plus complémentaire de la vie politique. L’Afrique traditionnelle règle ses conflits sous l’arbre à palabres. Selon certains chercheurs afrocentristes, l’agora grec s’est inspiré du modèle africain. Alors pourquoi rejeter un modèle qui a réussit pendant des siècles au profit d’un autre plus conflictuel, qui ne nous correspond pas et qui cause d’énormes déchirures sociales.

Par exemple : En cas d’élections, un quota de 1/3 des nominations doit être réservé au parti du candidat malheureux. Sur 20 ministres, 6 ministres seront proposés par le parti du candidat malheureux. Sur 30 ministres, le quota de 10. Beaucoup de solutions du genre pourraient être mises en place pour stabiliser les institutions.

C’est avec forte conviction que nous affirmons que l’Afrique est capable de produire un système propre de démocratie, qui satisfasse au besoin fondamental de régulation et de légitimation de la vie nationale. Ce système sera bâti sur des structures permettant à chacun, à son niveau, de participer aux prises de décisions lui concernant, et ainsi prendre part à la construction de la Nation. Un modèle qui aura pour socle cinq principes démocratiques essentiels :

  • Premier principe

C’est la volonté populaire : une véritable démocratie se construit à la base en se fondant sur le citoyen. Ce dernier doit être libre cependant de déterminer, de contribuer à déterminer son propre système démocratique et d’en jouir. Tout tourne autour du citoyen : il détient le droit le droit de vote, c’est lui élit. Il détient également le mandat impératif, la liberté de débarquer un élu (maire, député, CRD)à tout moment.

  • Deuxième principe

La préservation des libertés individuelles. S’il y a un point positif à tirer de la démocratie libérale, c’est bien la consécration des libertés individuelles : les droits de première génération, inaliénables, imprescriptibles qui consacrent la sacralité de la personne humaine. Autant je suis réfractaire au multipartisme intégral, au parti unique, autant je suis friand des libertés individuelles. C’est des acquis à préserver et à améliorer d’ailleurs.

  • Troisième principe

Le troisième principe, c’est d’exclure la violence de notre pratique politique et d’éliminer les facteurs qui les occasionnent. Il est urgent que l’Afrique redevienne cette terre de tolérance, de dialogue, du pardon, d’acceptation de l’autre qu’elle avait été.

  • Quatrième principe

L’alternance démocratique et paisible. Il ne sert à rien de lutter contre la violence politique si nous  ne résolvons pas de façon radicale la principale cause à la violence politique. Au delà de la limitation du mandat, au-delà du renouvellement du personnel politique, l’alternance politique doit faire l’objet d’un consensus national, d’une culture démocratique ancrée, d’un mode de vie. Nul ne devrait y déroger. C’est en ce ses que nous pensons que l’armée soumise à la constitution, devrait en être le dernier rempart.

  • Cinquième principe

La dépolitisation de l’administration publique

La neutralité du service public est mise à épreuve par la superpuissance du parti au pouvoir. Il faut sonner la fin de la récréation des « militants-travailleurs ». Certains me diront que c’est un principe politique que lorsqu’un parti vient au pouvoir, qu’il gouverne avec ses cadres et militants. Pourquoi alors organiser des concours nationaux de recrutement? Pourquoi passer des années d’études, s’il suffit de militer pour avoir un poste ? Non ! Nous devons abandonner la politique du ventre. Nous pensons quant à nous, que le recrutement des agents de l’État doit faire l’objet d’un concours national de recrutement.

Nous précisons cependant que les fonctions politiques dérogent à ce principe : ministres, diplomates, certains hauts fonctionnaires sont du domaine politique.

Quant à choisir le mode de scrutin, le système pluraliste… quand à choisir en le multipartisme intégral, le bipartisme rigide ou souple, ou le multipartisme avec parti dominant, nous recommandons de laisser aux peuples le choix de définir eux-mêmes ce qui leur conviendrait, au terme du débat national inclusif que nous prévoyons en prélude de notre projet de refondation.

CAMARA Kémoko

 

 

 

 

 

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