Affaire abdoulaye bah: la république à l’épreuve du droit de la responsabilité

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Le dimanche 17 juin 2018, vers 4h du matin, un accident de la route faisait deux blessés graves dont Abdoulaye Bah, journaliste, chef de de bureau adjoint de Guineenews à Conakry et Abou Koria Kourouma, cameraman à Hadafo Media. Abdoulaye Bah a malheureusement succombé à ses blessures quelques heures après son admission à l’hôpital Sino-Guinéen de Conakry.

Les circonstances du tragique accident qui a coûté la vie au journaliste dont le professionnalisme et le talent ont été unanimement salués par les professionnels de la presse et de concitoyens à travers les réseaux sociaux, ont été décrites par le site africaguinee.com en ceci :

  • Abdoulaye Bah et Abou Koria Kourouma ont été percutés par un véhicule conduit par un chauffeur en état d’ivresse au rond-point de Matoto. Ils étaient en reportage sur la campagne d’assainissement dans la ville de Conakry, lancée en grande pompe par le Gouvernement.

Les médias précisent également que la presse nationale a été invitée par les autorités, en la personne du Ministre des travaux publics, Moustapha Naité, fraichement nommé à ce poste, pour couvrir une opération de curage de caniveaux au niveau du rond-point de Matoto.

Au-delà du choc suscité par la mort tragique du jeune journaliste et de l’émotion que tout le pays –  les autorités nationales, le monde de la presse, celui des réseaux sociaux – semble avoir exprimée de diverses manières, la rédaction de newsguinée a voulu s’interroger sur le traitement juridique de l’événement, sur la responsabilité pénale probable de l’Etat dans la survenance de l’accident ayant finalement coûté la vie à un journaliste et gravement blessé un reporter d’image.

Pour la cohérence du propos, nous n’aborderons pas la question de la responsabilité politique, tant que faire se peut, une telle démarche se révélerait sans intérêt puisque ne répondant à aucun critère logique.

L’automobiliste qui avait heurté les journalistes est présumé avoir été sous influence de l’alcool au moment de l’accident, il aurait également commis un délit de fuite après sa charge mortelle. En marge de l’urgence de la prise en charge médicale des blessés, l’enquête diligentée par la police a conduit à l’arrestation de plusieurs proches du présumé auteur de l’accident, sa mère notamment.  Il s’agirait, dans le chef des autorités, de mettre la pression sur les proches du présumé auteur de l’accident pour s’assurer de sa reddition rapide aux autorités.

Un moyen de recherche judiciaire quelque peu particulière qui ne répond, du reste, à aucune démarche fondée sur les principes et règles de droit qui gouvernent la matière de la responsabilité pénale ou civile – les parents ne sont pas responsables des infractions commises par leurs enfants majeurs. Le procédé semble pourtant bien admis par l’opinion puisque d’une efficacité sans conteste, l’émotion l’emportant généralement sur la nécessité pour les autorités d’observer scrupuleusement les règles de procédure du droit positif guinéen.

Curieusement, la réponse juridique fournie par le pouvoir judiciaire semble avoir suivi une voie royale, « un délinquant de la route fortement alcoolisé a causé un accident grave, il sera recherché et puni à la hauteur de sa faute ».  Dans cette acception, toute autre responsabilité serait à exclure, parce qu’en réalité, la chose est très simple.

Et pourtant, mais avec précaution, il y a lieu de s’interroger sur le déroulement du tragique accident du 17 juin 2018, à 4h du matin (la précision a son sens).  Le ministère des travaux publics a-t-il manqué de prévoyance, a-t-il commis une imprudence ayant contribué aux faisceaux de causes de l’accident. Peut-on reprocher aux autorités d’avoir commis la faute de convier la presse à couvrir une opération de salubrité de grande envergure sur la voie publique à une heure tardive où la capitale est généralement dans l’obscurité presque totale ? Était-ce raisonnable de lancer une telle opération sans prendre des mesures spécifiques de protection des personnes se trouvant sur les lieux ? L’on peut, pour illustration, penser à de la signalisation adéquate, à des signaux lumineux ou à un barrage de précaution ? Faute de communication détaillée des autorités sur les circonstances de l’accident, l’on ne peut que se mettre dans l’hypothèse qu’elles ont commis une faute de prévoyance et que de la sorte il deviendrait légitime de se poser la question de la chaîne de -s-  responsabilité(s).

Dans un Etat de droit digne de ce nom, une enquête matérialisée par la descente d’un juge d’instruction, devrait aider à situer la responsabilité effective de l’accident. Mais l’on a vite conclu à un accident de la route causé par un chauffard ivre et qui, de surcroit, s’est offert le luxe d’un délit de fuite au nez et à la barbe des autorités. A notre avis, cela correspondrait aux faits, mais pas à tous les faits et à toutes les causes.

La discussion en termes de responsabilité pénale devrait consister, à notre estime, à poser la question de savoir si l’accident se serait nécessairement produit même si les autorités avaient pris toutes les dispositions de prévention. L’on est vite tenté de répondre par la négative puisque, de toute manière, l’auteur de l’accident était suffisamment alcoolisé et répondait à toutes les conditions d’imprudence pour causer la détresse.

Le lecteur avisé comprendra que le propos en l’espèce n’est pas de pointer la responsabilité pénale ou morale des autorités du fait de l’accident, il entend souligner l’absence d’enquête sérieuse dans l’Etat de droit qu’est la Guinée. L’état des routes, le manque de signalisation et la vétusté des véhicules sont régulièrement les causes premières de tant d’accidents graves qui endeuillent quotidiennement les populations.

Puisqu’il appartient à l’Etat – dans son rôle de pouvoir judiciaire –  de veiller à ce qu’une enquête sérieuse soit menée pour situer la responsabilité probable de l’Etat – sujet de droit – et des personnes impliquées dans l’accident, il semble démontré à suffisance qu’il a doublement manqué à ses obligations.

En pratique, c’est de l’exigence citoyenne de voir le droit triompher dans les rapports entre l’Etat et les citoyens, d’une part, et les citoyens dans leurs interactions, d’autre part, que naîtra un véritable Etat de droit à même de protéger, défendre et promouvoir les droits de chacun.

Titi Sidibé,

Rédacteur en chef

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