Droits des personnes atteintes d’albinisme: avis croisés de deux activistes

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D eux personnes atteintes de l’albinisme, en l’occurrence Kabinet Camara, commissaire à l’Institution Nationale Indépendante de Droits de l’Homme (INIDH), également membre de plusieurs ONG de la place et Hadjiratou Bah, journaliste et membre de la FONDASIA font un combat commun pour la défense des personnes atteintes de l’albinisme.

Frappés par l’albinisme, qui à leur yeux, est loin d’être une fatalité, ces personnes sont reconverties en défenseurs de droits de toutes les personnes atteintes de l’albinisme d’où qu’elles se trouvent.

Dans un entretien accordé à notre rédaction, ces deux activistes évoquent d’une part la ségrégation, la stigmatisation dont sont souvent victimes les personnes atteintes de l’albinisme, mais aussi décrivent les conditions de vie parfois difficiles de ces personnes.

Entretien!

Guineeactuelle.com: Quelle lecture faites-vous des contions de vie des personnes atteintes d’albinisme en Guinée?

Kabinet Camara: La situation des personnes atteintes d’albinisme en est très préoccupante. L’albinisme est perçu de deux manières différentes : la majorité, notamment analphabète voit d’un mauvais œil les personnes atteintes d’albinisme suite aux préjugés, aux mythes et à la mauvaise information. L’autre, intellectuelle édifiée sur la question de l’albinisme est plus tolérante et œuvre pour leur l’épanouissement. Si les personnes atteintes d’albinisme ne subissent pas de mutilation comme dans certains pays d’Afrique, ils sont toutefois confrontés à d’énormes difficultés en Guinée qui sont entre autres:

– accès aux infrastructures sociaux de bases notamment à l’intérieur du pays;

– prise en charge sanitaire (cancer, dermatose, faute d’infrastructures ou matériels, problème d’ophtalmologie) ;

– problème d’emploi pour la quasi majorité même si elle a les compétences requises;

– suite aux mythes, les personnes atteintes d’albinisme sont encore considérées comme des extraterrestres et autres diables;

– Les enfants sont de plus en plus exploités pour fin de mendicité dans les rues de la capitale sous le soleil aidant exposé à des risque de cancer;

 – les femmes atteintes d’albinisme aussi subissent certaines exploitations sexuelles et certaines mères d’enfants atteints d’albinisme se voient rejeter et stigmatiser.

Hadjiratou: Il y en a qui vivent bien mais d’autres par contre tirent le diable par la queue. Mais chacun cherche à sa façon à s’en sortir comme tout citoyen.

Malgré les discriminions, stigmatisons et  marginalisation dont sont victimes les personnes atteintes d’albinisme, vous êtes parvenus à devenir automne et indépendants. Quel a été votre secret?

Kabinet Camara: J’ai personnellement eu une chance que certains n’ont pas eu. Nous sommes deux dans ma famille, mon grand frère et moi, et nous sommes très aimés par nos parents qui nous ont toujours soutenus. J’ai su faire de mon albinisme une priorité et une opportunité également. J’ai toujours montré que je suis au-delà de ce que les gens pensent de nous. J’ai étudié jusqu’à la fin de mon cycle universitaire en montrant que je suis capable. Déjà au lycée, j’étais animateur culturel et les gens aimaient toujours me voir sur scène, faire des présentations. Et je n’ai jamais eu peur de m’exprimer devant qui que ce soit. Mon oncle qui est aujourd’hui ambassadeur au Koweït (Mamadi Traoré ndlr) est ma référence. À chaque fois que j’échangeais avec lui, il me donnait toujours le courage de croire en ma personne. J’étais toujours dans les différentes associations à des postes stratégiques mais également à l’école. En 2012, après l’Université, j’ai fait une autre formation en journalisme avant d’être stagiaire à la radio Atlantic Fm. J’ai eu la chance d’être élu en 2014 comme Secrétaire Administratif de la CNAG, l’année à la quelle même j’ai eu la chance d’avoir un décret pour être à l’INIDH. Ma force est que je ne baisse jamais les bras et à chaque occasion je fais comprendre aux gens que l’albinisme n’est pas une fatalité, mais plutôt une opportunité d’être la voix des sans voix.

Honnêtement, je suis fier de mon albinisme et je me battrai corps et âme pour le faire respecter. J’ai une ONG qui milite pour cette cause qui est l’Union pour le Bien-être des Albinos de Guinée UBEAG. Et je me mets toujours à la disposition de mes semblables et d’autres pour toutes causes des droits de l’homme en général et celui des personnes atteintes d’albinisme en particulier.

Hadjiratou: C’est grâce à mes parents qui malgré leurs maigres moyens à l’époque ont tenu à ce que j’ai une bonne éducation tant à la maison qu’à l’école où j’ai été rigoureusement suivie. Ensuite, ils m’ont toujours poussé à  penser positivement et être fière de mon teint dont certains se moquaient dans la rue où à l’école primaire. Puis à partir du collège, précisément en 9ème, vu tout cet amour et sacrifice de mes parents, j’ai décidé de bien bosser et atteindre mes objectifs afin que mes parents soient fiers de moi. Et c’est en 9eme année d’ailleurs que j’ai commencé à remporter des prix scolaires dans des compétitions.

Un projet de loi vient d’être introduit à l’Assemblée nationale pour adoption portant protection des droits des personnes atteintes d’albinisme. Une fois adoptée qu’est-ce cette loi pourrait changer ?

Kabinet Camara: Cette loi va changer beaucoup de choses si toute fois elle est bien appliquée. Elle va permettre de lutter contre les abus dont sont victimes les personnes atteintes d’albinisme. Elle va permettre de lutter contre l’exploitation et l’exposition des enfants sous le soleil à des faits de mendicité. Elle va permettre à l’État de connaitre sa part de responsabilité dans la protection des droits des personnes atteintes d’albinisme en Guinée. Elle va également permettre aux parents de connaitre leurs responsabilités dans la scolarisation, la situation sanitaire, l’exploitation des enfants atteints d’albinisme…..Toutes ces responsabilités permettront de ne plus voir les enfants dans rue pour la mendicité.

Hadjiratou: Ce projet de loi vise à promouvoir l’inclusion sociale des personnes atteintes d’albinisme à travers la promotion et la protection de leurs droits. Cela parce que plusieurs insuffisances ont été constatées à cause des préjugés, rejet, stigmatisation, marginalisation dus aux croyances erronées. En effet, beaucoup ne savent toujours pas que l’albinisme est un phénomène génétique qui se caractérise par l’insuffisance de mélanine dans le corps. Mais avec les multiples sensibilisations et les cours dans les écoles, les gens commencent à comprendre.

Votre message de fin ?

Kabinet Camara: Il faut que les parents prennent conscience que la seul manière d’aider les personnes atteintes d’albinisme, c’est la scolarisation. Ils doivent accepter de mettre les enfants à l’école qu’ils étudient pour être des futurs cadres de demain. Il faudrait aussi que l’Assemblée Nationale adopte vite notre projet de loi pour sa mise en application dans l’intérêt de tous.

Hadjiratou: Je demande à l’Etat de faire son devoir vis-à-vis des couches vulnérables à travers une politique nationale adéquate et pérenne. Aux parents de prendre leurs responsabilités face à leurs enfants atteints d’albinisme. Ils n’ont pas demandé à naître ainsi. Ils ont besoin d’amour, de soutien et de protection comme tous les autres. Car le premier rejet commence toujours en famille. Donc en aucun cas, ils ne doivent les laisser être exploités dans la rue pour des fins de mendicité où leur santé est mise en danger à cause des rayons UV du soleil qui provoquent de graves lésions sur leur peau et les prédisposent au cancer. Aux personnes adultes atteintes d’albinisme qui pointent du doigt la pauvreté pour faire la mendicité, il faut qu’elles aient confiance en elles-mêmes et apprennent un métier qui sera plus bénéfique. Certes, certains sont vraiment démunis, mais d’autres  jeunes garçons et filles bien valides vont dans la rue  pour l’argent facile et les nombreux biens matériels et alimentaires que les gens leur donnent en sacrifice. Et ça ce n’est pas bon.

Entretien réalisé par Mata Malick Madou

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