Curiosité dans la décision de la crief du 26 avril 2022 : la coutume, une source de droit pénal en guinée ? 

Publicité

C ’est ce que semble indiquer l’ordonnance n°001 du 26 avril 2022 de la CRIEF (Cour de répression des infractions économiques et financières). L’espèce porte sur la contestation de la validité d’une détention préventive.

 A la suite de leurs auditions par la Direction centrale des investigations judiciaires de la Gendarmerie nationale, d’anciens hauts dignitaires de l’État, mis en cause pour des faits de corruption et d’infractions assimilées, ont été déférés au Parquet de la CRIEF le 04 avril 2022. Le procureur spécial prend l’affaire en flagrant délit et les place sous mandat de dépôt « dans l’espoir de les présenter devant une formation de jugement le 11 avril 2022 » en fondement des articles 47, 461 et 462 du CPP.

Par lettre N°060/04/22 le parquet informe les requérants de la saisine de la chambre de l’instruction de la CRIEF alors qu’une juridiction de jugement était déjà saisie par la procédure de flagrant délit.

Les conseils des requérants, estimant que la détention de leur détention n’avait plus de base légale, décident de saisir la CRIEF en référé-liberté.

Il se pose alors la question de savoir si le maintien en détention provisoire de prévenus à la suite de l’ouverture d’une information judiciaire du fait de l’impossibilité de la tenue de l’audience de flagrant délit restait légal au regard des dispositions du CPP visées ?

Dans les motifs de droit de cette décision de rejet, le juge des référés soutient que « (les dispositions des articles 461 et 462 du CPP) sont muettes sur le sort réservé au mandat de dépôt décerné par le procureur spécial lorsque celui-ci est obligé de requérir l’ouverture d’une information [face à l’impossibilité de tenir l’audience de flagrant délit] ;

Mais selon les dires de la Cour, dans la pratique ce mandat décerné contre les prévenus conserve sa force exécutoire devant un juge d’instruction (…) ».

En conséquence, la juridiction rejette la demande de mise en liberté des prévenus car non fondée sur les « motifs de la détention » (le juge vise dans le dispositif de sa décision les alinéas 10 et 11 de l’article préliminaire du CPP).

Le fondement de la légalité d’une décision privative de liberté (mandat de dépôt) sur la pratique et non le droit, une curiosité juridique

Le raisonnement du juge confirmant la légalité des mandats de dépôts décernés contre les prévenus dans « l’Affaire Procureur CRIEF /c Kassory Fofana et consorts » laisse entendre que la ‘’Pratique’’ évoquée, face au silence d’une loi pénale, qui encadre des mesures privatives de liberté, est une source de droit. Cette ‘’pratique’’ fonderait ainsi la légalité des mesures récriminées.

Il faut rappeler que la Guinée est un pays de tradition juridique civiliste. Ce qui exclut les précédents judiciaires des sources du droit. Dans ces États, la jurisprudence n’est qu’un moyen auxiliaire de détermination de l’existence de la règle de droit. Les effets des décisions de justice n’étant pas erga omnes en principe ! D’ailleurs, la « pratique » évoquée par la CRIEF ne semble pas découler des décisions de justice (référence n’étant faite à aucune décision de justice antérieure). Il s’agirait ainsi d’une pratique des cours et tribunaux guinéens en dehors des prescrits législatifs (le juge lui-même rappelant le silence de la loi sur la question).

En droit pénal, une telle approche est contestable. Considérant que cette matière exige une interprétation stricte, et partant du fait que les normes privatives de liberté doivent être claires et précises[1], il se pose en l’espèce un problème de constitutionnalité des dispositions du CPP, mais aussi de la légalité de la décision du juge (fondée uniquement sur une pratique).

En effet, le silence des dispositions sur le sort réservé aux mandats de dépôt en cas d’impossibilité de la ténue de l’audience de flagrant délit entraine un risque de privation excessive du droit à la liberté (garantie constitutionnelle et garantie par le droit international !). Il aurait été intéressant qu’une exception d’inconstitutionnalité soit soulevée par la défense pour que le juge constitutionnel, fondé du pouvoir de contrôle de la constitutionnalité des lois, se prononce sur la validité des dispositions du CPP en l’espèce.

L’illégalité de la détention des requérants au prisme du droit international

Comme l’a souligné le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, « la corruption sous toutes ses formes est contraire à l’ordre public international, et tout doit être mis en œuvre pour la combattre et la sanctionner, sans enfreindre les droits de l’accusé »[2]. Dans les « principes de base et lignes directrices » du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, la privation de liberté est considérée comme arbitraire dans cinq différentes situations. D’abord, une privation faite en l’absence de tout fondement légal (Catégorie I). Ensuite, une détention découlant de l’exercice de certains droits civils et politiques consacrés par la DUDH et le PIRDCP (Catégorie II), ainsi que celle favorisée par une violation grave du droit au procès équitable tel que consacré en droit international (Catégorie III). Puis, une rétention administrative de demandeurs d’asile non-assortie de contrôle administratif ou judiciaire (IV). Enfin, la détention découlant d’un acte discriminatoire en violation du droit international (Catégorie V)[3].

En l’espèce, la détention des requérants après le 11 avril peut être assimilée à la première catégorie de détention arbitraire. En effet, le silence des dispositions du CPP ne peut être interprété comme une validation explicite par le législateur de la détention des prévenus, placés sous mandat de dépôt dans le cadre d’une procédure de flagrant délit, dans l’impossibilité de la tenue d’une audience. Cela conduit à la carence du fondement légal des mesures ordonnant leur détention préventive.

Il faut rappeler que dans une autre espèce, la Guinée a déjà été condamnée par la Cour de justice de la CEDEAO pour détention arbitraire. En effet, dans « l’Affaire Ibrahima Sory Touré et Issiaga Bangoura /c. République de Guinée », la juridiction ouest africaine avait reconnu le caractère arbitraire de la détention des sieurs Touré et Bangoura[4]. En l’espèce, arrêtés, respectivement les 16 et 19 avril 2013 pour des faits de corruption, Messieurs Issiaga Bangoura et Ibrahima Sory Touré, ont été gardé en détention sur la base de plusieurs mesures prises par les autorités judiciaires guinéennes[5]. Pour la Cour d’Abuja, leur détention est devenue illégale à partir du 06 août 2013 du fait de la suspension, sans fondement légal, de l’exécution de l’arrêt de la Chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Conakry ordonnant leur mise en liberté provisoire[6].

Pour réussir la lutte anti-corruption engagée par les autorités de la transition guinéenne, il est important que la CRIEF, juridiction d’exception par nature, s’évertue à concilier les règles de procédure pénale et le respect des droits de l’homme vus sous l’angle du procès équitable dans cette nouvelle croisade contre les crimes économiques et financiers. Cela aura le mérite de lui éviter les risques de mener des procès décriés, contestés et d’être à l’origine de la condamnation de la Guinée par les instances internationales.

Alsény TRAORE

Doctorant en Droit Public

Université Toulouse Capitole

Institut Maurice Hauriou

Tel : +33753870139

E-mail : alseny.traore@ut-capitole.fr

[1] SHAHRBABAKI Azadeh A., La qualité des normes. Etude des théories et des pratiques, Thèse de doctorat, Aix-Marseille Université, 11 décembre 2017, pp. 85 – 88.

[2] Conseil des Droits de l’Homme, Groupe de travail sur la détention arbitraire, Avis adopté par le Groupe de travail à sa 72ème session (20-29 avril 2015), Avis N°4/2015 concernant Karim Wade. A/HCR/WGAD/2015, 7 mai 2015, paragraphe 46.

[3] Assemblée Générale des Nations Unies, Rapport du Groupe de travail sur la détention arbitraire. Principes de base et lignes directrices des Nations Unies sur les voies et procédures permettant aux personnes privées de liberté d’introduire un recours devant un tribunal, Conseil des Droits de l’Homme, Trentième session. Point 3 de l’ordre du jour. Promotion et protection de tous les droits de l’Homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels y compris le droit au développement, A/HRC/30/37, 6 juillet 2015, paragraphe 10.

[4] CJCEDEAO, Arrêt N° ECW/CCJ/JUG/03/16 du 16 février 2016, « Affaire N°ECW/CCJ/APP/22/13 », paragraphes 80 à 82.

[5] Ibid., paragraphes 12 à 23.

[6] Ibid., paragraphe 82.

Publicité