Relations sino-guinéennes : le diable se trouve dans les détails

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La Guinée est depuis quelques années la risée des investisseurs chinois dans différents secteurs économiques.  Si le pays d’Alpha Condé a besoin d’argent pour financer les infrastructures routières, hydroélectriques et autres, les chinois ont besoin des mines.

En 2017, les deux pays signent un accord-cadre de 20 milliards de dollars et récemment, la SMB, s’adjuge le juteux marché du fer des blocs I et II de Simandou. La société civile se pose d’énormes questions. Qui gagne, qui perd ? Explications.

Dans sa diplomatie économique, avec son fameux projet des routes de la soie, l’empire du milieu s’est lancé à la conquête du monde avec des milliards de dollars d’investissement. La Guinée a besoin d’argent pour financer ses projets de développement.

En septembre 2017, les deux partenaires signent un accord de 20 milliards de dollars pour 1,3 milliard de décaissement par an, à condition que la Guinée présente des projets bancables.

Le versement à la Guinée se fait sous forme de construction d’infrastructures et le remboursement par le gouvernement à la Chine se fera à partir de 2022 sur la base des revenus tirés de l’exploitation minière réalisée par trois entreprises chinoises. Mais les détails de l’accord ne sont pas divulgués et cela inquiète la société civile.

Amadou bah, directeur exécutif de l’Ong Actions Mines Guinée et d’autres Ong ont alors cherché à savoir plus : « Nous collectif des OSC avons écrit au ministre des Mines pour demander des explications : nature du prêt, taux d’intérêt, mécanismes de remboursement, périodicité de remboursement, mode règlement de litige en cas de problème, les tribunaux compétents, on devait avoir un parallèle entre les valeurs des ressources minières mises en garantie et les infrastructures à réaliser, est-ce conforme, superficie et localisation exacte des ressources visées pour savoir si on vendait sur le marché mondial ou au chinois, où on gagnerait mieux, les types d’exonération accordés aux sociétés. Bref une communication précise sur les détails de l’accord. L’accord global ne suffit pas. Pour le moment, pas de réponses ».

Le collectif des OSC a également écrit, en juin dernier au secrétaire général du ministère des mines, qui est en même temps président du comité de pilotage de l’ITIE, donc le garant de la transparence dans le domaine minier en Guinée, puis au conseiller du président chargé des questions minières, Alkaly Yamoussa Bangoira.

« On a aucune réponse, on espère obtenir des réponses et que des bénéfices seront tirés de l’accord. Déjà, les sociétés, elles, ont commencé l’exploitation sur le terrain. L’Etat guinéen a obtenu un premier décaissement qui selon lui a servi à refaire les routes urbaines de Conakry, et va financer l’autoroute Coyah-Dabola en cours d’exécution, et la construction et l’extension de l’Université de Sonfonia », dit M. Amadou Bah.

Pour cette année, la Guinée n’a pas communiqué là-dessus, la société civile ne sait pas s’il a pu obtenir un second décaissement ou pas. « C’est un manque de transparence » regrette-il.

Simandou, nouvelle chance ?

Des blocs I et II du Simandou accordés à la SMB, le coût de l’investissement est estimé à 14 milliards de dollars (en attendant l’étude de faisabilité) et 15,5 milliards de revenu pour la Guinée sur 25 ans. Ce n’est pas tout. Des blocs III et IV aussi, Chalco, une autre entreprise chinoise est actionnaire à hauteur de 30%, « c’est dire que des entreprises chinoises et singapouriennes sont propriétaires du Simandou (plus grand gisement de fer non-exploité au monde) à hauteur de 60% au moins ».

Selon Amadou Bah, ce n’est pas le choix du partenaire qui est important, mais ce que le pays gagne. Si les chinois ont des standards moins élevés que les occidentaux en matière de transparence, d’environnement, de collaboration avec les communautés riveraines, c’est le défi de la Guinée, dit-il.

« Il faut exiger à ces sociétés des normes des plus appréciés comme les normes de la SFI par exemple, un suivi rigoureux également. Les dates, les délais de livraisons de l’étude de faisabilité. Il y a l’accord sur les infrastructures, port, chemin de fer, c’est la réalisation de ces infrastructures qui permettront de savoir si le projet est rentable ou pas. Il y a aussi le cours du fer, si cela coïncide à un moment où il y a une embellie sur le prix du fer, cela pourrait être avantageux pour la Guinée. Sinon, on risque de retomber dans le cercle vicieux de report de date de démarrage du projet comme on a connu avec Rio Tinto depuis 2002. Il revient à l’Etat d’être regardant sur les garanties, proactif sur la surveillance de l’activité de la SMB à l’international pour ne pas qu’elle utilise la licence pour se faire des valeurs en bourse au détriment de la Guinée. Il faut être exigeant sur les délais ».

Le ministre des Mines Abdoulaye Magassouba défend le projet comme étant très avantageux, avec une chaîne de production intégrée de minerai de fer; d’infrastructures ferroviaires et portuaires modernes (chemin de fer d’une longueur de 679 km reliant la mine à un port en eaux profondes de la mine à Forécariah); d’une zone industrielle multifactorielle, la valorisation de la production locale et la promotion du contenu local, la réalisation et l’exploitation d’une unité industrielle de production d’une capacité de 80 millions de tonnes par an pour 30 000 emplois directs et 65 000 emplois indirects créés.

Investir à la base

L’évaluation est très complexe, on ne peut pas répondre par oui ou non, ou c’est la Guinée ou la Chine qui gagne, cela dépend de la méthodologie d’évaluation, de l’objet de l’évaluation (contrats miniers ou contrats d’infrastructures), a fait savoir Dr Hervé Lado, représentant de NRGI, Natural Resource Governance Institute en Guinée.

« Chaque contrat contient une série d’engagements, chaque partie va aux négociations avec des objectifs assortis de limites à ne pas franchir. Lorsque ces limites ne sont pas franchies, le négociateur considère que c’est avantageux. Si ces limites sont franchies sur certains points, pas sur d’autres, il pense que c’est équilibré. Donc, il faut savoir ce que la Guinée s’est donné comme objectif dans chaque négociation, avant d’en tirer les conséquences ».

Au fond, dit-il, l’important n’est pas de savoir qui gagne le plus, mais est-ce que la Guinée est satisfaite du résultat des négociations d’une part par le gouvernement et de l’autre les citoyens. De son côté, NRGI soutient la publication des contrats miniers dans laquelle le gouvernement guinéen s’est engagé depuis plusieurs années maintenant, permettant ainsi aux citoyens de faire leur propre évaluation des résultats des négociations.

L’autre aspect concerne des contrats de nature plus financière, comme les prêts adossés aux ressources. Les 20 milliards sont une ligne de crédit dans laquelle la Guinée pioche pour financer des infrastructures, et qu’elle commencera à rembourser, à partir de 2022, sur la base des revenus miniers exploités par certaines entreprises chinoises.

« Sur ce type d’accord, on n’a pas beaucoup d’éléments pour évaluer : quoi qu’on ait en accès libre en ligne les contrats miniers de Henan Chine, Chalco et China Power Investment (SPIC), les trois entreprises liés à ce contrat, l’accord-cadre lui-même n’est pas publié. Il y a des contrats d’infrastructures et d’autres documents associés qui permettraient de comprendre le contenu de l’accord et le niveau d’exécution. Cela permettrait de savoir si le prêt adossé aux ressources est avantageux et si la Guinée est exposée à des risques importants ».

Cette question est plus importante aujourd’hui, dit-il, la Guinée est en crise sanitaire et 2022, date du début de remboursement du prêt est proche sachant que les travaux d’infrastructures sont déjà en cours.

« Est-ce que la Guinée est gagnante, le gouvernement dira que c’est la Guinée car c’est lui qui a négocié, mais est-ce que le citoyen a les moyens de faire lui-même l’évaluation » se demande Dr Hervé Lado.

Hafia Diallo

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