La floraison d’outils des technologies de l’information et de la communication influence inlassablement l’essence même du droit à la liberté d’expression des sociétés de ce vingt-et-unième siècle. Nonobstant son caractère sacré, le droit qu’ont les citoyens d’opiner, suivant le prisme de la démocratisation de l’internet et des médias sociaux, évolue de manière exponentielle à telle enseigne qu’on peut être en droit de s’interroger sur la pertinence et la nécessité des licences actuelles tant les bavures et les dérapages sont légion. Le problème que nous pose ce pan du sujet qui peut davantage être perçu comme une manifestation du déphasage de nos textes de loi par rapport à la réalité ou du manque de vulgarisation de ces textes par les pouvoirs publics, ou tout simplement de l’impréparation de nos sociétés à accueillir de telles technologies, ne sera guère traité dans cet article. A priori, cette analyse se bornera par la perception que l’on peut faire de l’opinion publique en Guinée. Dans tous les cas, ce texte amateur ne saurait être un indicateur pertinent pour des personnes qui souhaiteraient apprendre davantage sur le sujet. Il s’entend plutôt comme une simple volonté d’un citoyen lambda qui souhaite conjecturer, de façon superficielle et dans les limites de son imprégnation du phénomène historique, sur l’évolution de notre opinion publique.
Partout comme en Guinée, l’opinion publique, à tort ou à raison, est souvent circonscrite dans les dimensions que nous laissent entrevoir d’un côté, les masses médias prisent dans leur globalité et dans leur complexité et de l’autre, les pesanteurs sociales, l’organisation structurelle de l’État, les leaders « d’opinion », les instituts d’analyse et de sondage public ou privé.
« QU’APPELLE –T-ON OPINION PUBLIQUE ? »
La notion de l’opinion dite « publique », dans ses tentatives de définition, fait souffrir tant les profanes que les spécialistes (politiste, sociologue, communicant, journaliste …).
En réalité, l’opinion publique s’entend comme un magma d’avis, de valeurs ou de points de vue plus ou moins partagés ; ce sont aussi des appréciations et des croyances de la population d’une société donnée à un instant précis de son histoire.
Elle peut également être comprise comme la position ou les positions d’un ensemble d’individus par rapport à une problématique précise. L’opinion publique peut être régionale, nationale, internationale selon que l’on veuille circonscrire l’étude à une région, à un État ou à la communauté internationale. C’est ainsi que l’on peut parler de l’opinion publique de la Haute Guinée, l’opinion publique Guinéenne ou celle Africaine, Européenne ou internationale.
Souvent accompagné du substantif « publique », pour les spécialistes, le terme opinion publique peut nettement contraster avec celui dit de la « majorité ». Dans une démocratie, la majorité est, ma foi, tout à fait connue. Elle ne peut faire l’ombre d’un quelconque doute. Contrairement à la majorité, l’opinion publique, parce que souvent manipulée à souhait, est beaucoup plus complexe car constituée d’éléments disparates. Elle rassemble souvent des points de vue qui sont d’essence hétéroclite voire antinomique mais, par la force du conditionnement de l’intellect dû à l’influence des masses médias ou tout simplement des pesanteurs sociales (politique, religion, ethnie, tradition …), un semblant d’homogénéité peut apparaitre dans l’analyse que des spécialistes peuvent faire dans leur interprétation.
« LES PROTAGONISTES DE L’OPINION PUBLIQUE EN GUINÉE »
À l’origine, la notion d’opinion publique était de l’exclusif domaine d’une certaine élite. Autrement dit, elle est naturellement du ressort d’un certain groupe d’individus disposant d’une certaine légitimité (de droit ou de fait) leur permettant de s’exprimer au nom du « plus grand nombre ». Suivant les contrées, les époques et l’organisation sociale qui sied en leur sein ; en France des « Lumières » par exemple, c’étaient des bourgeois, des nantis ou des intellectuels issus de la noblesse qui s’arrogeaient cette compétence à satiété. Bien que foncièrement différent, le schéma français peut, dans une moindre mesure, servir d’éclaireur à l’appréhension de l’évolution du phénomène en Guinée.
‘’ LA GUINÉE AVANT LA DEUXIEME RÉPUBLIQUE’’
A l’instar de maintes contrées du continent Africain, on peut facilement se donner le luxe de spéculer sur la structuration de l’opinion publique en Guinée. Traditionnellement, c’étaient les griots, les chefs ethniques, tribaux, religieux voire de caste qui se donnaient les pleins pouvoirs. Bref, sans occulter l’influence des anciens combattants, c’était la féodalité Guinéenne et par ricochet, la chefferie coutumière, qui déterminait les flux et reflux de l’opinion à l’ère de la colonisation.
En Décembre 1957, sans vouloir importuner les lecteurs avec des détails contextuellement impertinents, un acte du gouvernement Guinéen issu de la loi-cadre Gaston Defferre portant suppression de la chefferie coutumière, renforcera, de manière substantielle, l’emprise non seulement du gouvernement de Conakry mais aussi et surtout des syndicats et des partis politiques sur l’opinion publique. À ce propos, Jean Suret-Canale précise : << Nul ne conteste que, sans la suppression de la chefferie, le succès du ‘Non’ en Guinée, lors du référendum constitutionnel du 28 septembre 1958 n’eût pas été assuré. >>, » La fin de la chefferie en Guinée, Journal of African History. Vol. VII. 1966. pp. 459 et suivant. «
Chemin faisant, avec l’accession de la Guinée à la souveraineté nationale, le camarade Ahmed Sekou Touré (père fondateur de notre république) instituera une confusion réelle entre notre « opinion publique nationale » et les débats « internes » du PDG/RDA ; c’est l’époque du « parti-Etat ».
‘’ LA DEUXIEME RÉPUBLIQUE ET SES SÉQUELLES SUR LA GUINÉE D’AUJOURD’HUI ’’
Le putsch d’avril 1984 mis fin au régime du Parti-État et marqua ainsi l’entrée de la Guinée dans une nouvelle ère ; celle de la démocratie libérale.
En effet, pendant les premières heures de l’introduction du libéralisme politique et du multipartisme intégral en Guinée ; bien qu’elles aient toujours tacitement existées, on a pu constater une certaine formalisation des débats autour des coordinations régionales. Ces coordinations, en dépit de leur nature « d’organisations de fait », étaient sous-entendues comme les porte-voix légitimes des communautés dont elles s’étaient arrogées le pouvoir de représenter. Dans les hameaux de la Guinée, en raison de la religion et de la tradition, ces coordinations restent très vénérées. En guise d’illustration : au grand préjudice des règles démocratiques universellement admises, la coordination de la Haute Guinée disposait de la légitimité nécessaire et suffisante pour influer sur le vote des populations relevant de sa juridiction. Ainsi, l’ethnie malinkée sera conditionnée pour voter massivement pour le Malinké. L’efficacité de ce stratagème se passe de commentaire. En 1993, au terme des premières élections multipartites, la Haute Guinée vota pour le <<représentant>> de la région. Les résultats en Basse Côte, en Moyenne Guinée et en Guinée Forestière étaient quasiment les mêmes. En dehors d’une petite évolution du microcosme politique au lendemain du scrutin du 04 février dernier, cette recette miasmatique a pu se faire savourer à chaque élection ou évènement sociopolitique majeur dans notre pays.
Pour revenir au sujet, dans une république fortement cantonnée par les troupes putschistes du Colonel Lansana Conté, l’opposition politique à ce dernier n’avait pu trouver sa panacée autre part ailleurs qu’en se constituant sur la base d’une organisation bâtie sur le prisme de la région, de l’ethnie et de la communauté. Cette « ethnostratégie » était ficelée suivant la bénédiction que les coordinations régionales pouvaient accorder à tel ou à tel acteur de la vie publique. Ceux qui disposent d’une mémoire vivante, peuvent se souvenir du grand pacte << occulte >> tissé entre l’opposant historique au président Conté et les notables de la Haute Guinée. Pacte qui, d’ailleurs, en dépit de toutes les déconvenues que l’on savait entre Alpha Condé et les Malinkés à l’ère du feu président de la révolution, a revêtu, comme par enchantement, un caractère « naturel » après la liquidation des officiers et cadres de cette région suite à l’échec du coup Diarra en 1985.
Assurément, au lendemain des années « 90 », l’évolution aléatoire de notre république bananière vers l’internalisation effective de la démocratie dite « occidentale », imbibée de mimétisme au sens réel du terme, n’a guère arrangé les choses. Au contraire, cette réalité a enlisé notre pays vers une communautarisation à outrance de l’opinion. L’emprise était si ingénieusement machinée qu’aucun débat de fond n’a pu être constaté. Jusqu’à la dernière élection présidentielle, le peuple de Guinée, malgré plus de cinquante années passées sous les couleurs de l’ « indépendance », n’a jamais su s’affranchir de la maltraitance de l’opinion vers des sujets qui frisent avec l’inacceptable. On peut encore se rappeler des discours du genre : « nfatara », « le départ de Lansana Conté est la seule solution à nos problèmes », « c’est notre tour », « ce sont des juifs, des arrivistes », « qui est prêt à mourir pour … », « les cadres malinkés sont des malhonnêtes » ; et tout récemment, on entend un tout nouveau concept « nous aussi, on a compris », pour ne citer que ceux-ci. Tous ces discours ont été tenus et sont toujours tenus par des figures proéminentes de la vie publique guinéenne.
» L’OPINION PUBLIQUE, UN DOMAINE CLASSIQUE DE CONFLIT «
Traditionnellement, le domaine de l’opinion publique fait souvent office de terrain de conflit entre gouvernements et acteurs sociaux. En France par exemple, l’actualité est souvent polluée d’un côté par les questions de divergence entre le gouvernement de la république et les acteurs sociaux ; et de l’autre, par les séculaires confrontations gauche/droite; entre autres.
Cette réalité n’est pas propre aux seules nations démocratiques. Chez nous également, on peut faire le même constat entre les protagonistes majeurs du débat public.
Dans la crise actuelle que traverse le régime du président Alpha Condé due à l’augmentation du prix des produits pétroliers, le gouvernement dirigé par le premier ministre Ibrahima Kassory Fofana et les principales centrales syndicales dirigées par Louis Mbemba Soumah et Amadou Diallo, se discutent à chaud la légitimité de parler au nom du peuple. Réellement, dans l’exercice du pouvoir politiqe, malgré que ces deux concepts contrastent l’un de l’autre, un amalgame est souvent orchestré par des hommes publics à l’effet de réduire le peuple à l’opinion déjà manipulée en leur faveur. Ainsi, l’opinion la plus partagée devient l’indication précise de la volonté du peuple.
<< Le syndicat défend 200.000 travailleurs et moi, mon gouvernement à la responsabilité de 12 millions de Guinéens>> disait le premier ministre chef du gouvernement. Ainsi, selon la lecture du premier ministre Guinéen, la légitimité d’un protagoniste serait tributaire du nombre de personnes dont il a le devoir de défendre.
En réalité, tout ceci, dans les cas évoqués ou ceux à évoquer, dénote de la modulation que les uns et les autres peuvent faire de notre opinion en vue de légitimer les actions qu’ils entreprennent ou qu’ils seraient amenés à entreprendre.
« EFFETS DE LA MONDIALISATION, DE LA LIBÉRALISATION DES ONDES ET DE L’ÉVOLUTION DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION SUR L’OPINION PUBLIQUE GUINÉENNE »
Combiné au problème susmentionné, l’essor technologique enchevêtré dans la foisonnance des médias dits « libres », par opposition aux médias d’État, n’a guère résolu le problème. Ici, j’entends par médias libres, l’ensemble des médias privés classiques et ceux sociaux. Cette nouvelle donne s’aggrave et se complexifie grâce à l’abondance des appareils informatiques, des smartphones et de l’internet à bon marché. Ceci pose à notre république, un autre problème beaucoup plus sérieux qui mérite d’être étudié dans nos amphithéâtres. Ce problème réside dans l’incapacité de nos pouvoirs publics à encadrer, de manière rationnelle et efficiente, l’évolution des débats dans notre opinion publique virtuelle. Avant de développer ce pan de la problématique, il serait judicieux de porter un regard critique sur l’influence des médias d’État.
‘’ INFLUENCE DES MÉDAIS D’ÉTAT ‘’
En Guinée, du temps de la révolution jusqu’à l’ouverture effective de la première radio privée en 2006, analphabétisme aidant, les quelques journaux privés qui existaient n’ont presque pas eu d’influence significative sur l’opinion. L’essentiel de l’information était traité par des médias d’État dont Horoya et la radiotélévision nationale. Outre l’opinion fortement communautarisée, les médias publics n’ont guère eu de cesse à se comporter comme de véritables organes de propagande du pouvoir. Ils permettaient à ce dernier de faire main basse sur l’opinion dans la perspective de louer les actes de « bienveillance » du Général Conté. Malheureusement, dans les faits, de Conté à Condé en passant par le capitaine Moussa Dadis Camara, cette ligne éditoriale ou du moins de propagande, on peut l’appeler comme on le veut, n’a aucunement évolué. En guise d’illustration, il faut se remémorer de l’impact que le « magasine DADIS SHOW » a eu sur l’opinion publique guinéenne. Le sulfureux capitaine s’était construit une réputation de véritable « patriote » disposé à partir en croisade contre les fossoyeurs de la république. Chose qui, de facto, au regard des pesanteurs sociales, lui a donné une réelle légitimité à l’aune de la populace.
De nos jours, à l’instar de ses prédécesseurs, le président Alpha Condé use ignominieusement des mêmes stratagèmes au grand dam des principes qu’il avait, pourtant, réussi à forger après plus de quatre décennies d’âpres luttes. La résurrection de Louis Auguste Leroy, connu pour ses prouesses dans l’établissement de discours laudatifs, en est une belle illustration.
‘’ IMPACTS DE LA LIBÉRALISATION DES ONDES SUR L’OPINION PUBLIQUE ‘’
Boubacar Yacine Diallo, en la faveur de la libéralisation des ondes, nommé à la tête du conseil national de la communication CNC par le Général Conté, avait laissé entendre, verbatim : « le président Conté n’a jamais été contre la libéralisation des ondes, mais il lui fallait des garanties … ». Cette affirmation laisse transparaitre l’importance stratégique que le Général accordait, malgré les pressions énormes de l’opposition politique (manifestations scabreuse et intempestive) et de la communauté internationale (gèle des fonds nécessaires au financement de notre développement), à ce secteur névralgique de son pouvoir. Pour les relativistes, il était, pour le président Conté, difficile de libérer les ondes eu égard aux conséquences dramatiques que celles-ci ont causé au Rwanda et au Nigeria.
Mais, nulle âme, fut-elle Président de la République – Chef de l’Etat – Commandant en Chef des forces armées, ne saurait empêcher le cours normal des lois de la nature.
C’est ainsi qu’en 2006, suite aux pressions interne et internationale mais surtout en raison de la précarité économique, on a vu s’ouvrir les premières stations de radio privée dans notre république. Ces radios privées, quoiqu’importantes pour notre petite démocratie, aujourd’hui, elles pullulent de manière effrayante à tel point qu’aucun organe compétent n’arrive véritablement à faire entendre nos lois telles qu’elles sont prescrites.
Indubitablement, sans la floraison de ces radios privées, les évènements de janvier-février 2007 n’auraient pas eu les mêmes incidences sur le régime Conté. En effet, pendant que les médias d’État continuaient leurs sales besognes, les nouveaux acteurs (radios privées) ne pouvaient que saisir cette aubaine pour remplir avec efficacité la vocation naturelle qui leur est assignée ; celle d’informer les populations. À l’époque, tous les Guinéens étaient devenus de véritables fanatiques des émissions qu’offraient ces radios, surtout celles politiques. Et rapidement, l’influence de ces médias est devenue virale dans l’opinion. Conséquence, la grève déclenchée par les syndicalistes Ibrahima Fofana (que son âme repose en paix) et Rabiatou Serah Diallo, a été suivie sur toute l’étendue du territorial national. Le régime Conté, contraint par l’insurrection populaire, n’a eu son salut que dans une âpre négociation avec les acteurs sociaux sous l’égide de la communauté internationale.
Dans le régime actuel, les illustrations de l’influence des médias sur l’opinion publique n’en finissent presque pas. Chaque jour, de nouveaux scandales éclatent. Pour les abonnés de la radio Planète Fm avec son émission phare la « grogne matinale » ; l’affaire Bandian Sidibé illustre combien de fois l’opinion peut facilement être modulable.
D’ailleurs, à l’image du rôle que jouent les coordinations régionales dans l’instrumentalisation des masses, les médias sont aujourd’hui perçus, comme des courroies de transmission des velléités politiciennes à l’effet de machiner l’opinion vers tel ou tel pan de la réalité. Le PDG du groupe Hadafo média (puissant groupe de presse composé de plusieurs radios, des sites d’information et d’une télévision) par exemple, au fur des ans, a réussi à se construire une réputation de Guinéen intègre, de modèle de réussite pour moult jeunes Guinéens et de « rempart contre la mal gouvernance » grâce notamment à son émission phare « les grandes gueules » ; une émission de très grande écoute, suivie non seulement en Guinée mais aussi un peu partout dans le monde. Ce media a contribué à faire et à défaire à souhait, l’image de maintes personnalités publiques dans l’opinion guinéenne.
‘’ UNE MUTATION DE PLUS EN PLUS ÉVIDENTE DE L’OPINION PUBLIQUE VERS LES MÉDIAS SOCIAUX ’’
De nos jours, avec l’essor technologique et les efforts d’alphabétisation, les médias classiques à défaut de se mettre à l’heure de Facebook, Twitter, Snapchat, Instagram, ou autres …, se voient retirer le monopole de la manipulation de l’opinion. Ainsi, une espèce de mutation se procède dans l’opinion publique. Celle-ci se met au pas des réseaux sociaux. Cette évolution, bien que brusque et mal préparée, n’est guère une spécificité guinéenne, c’est plutôt un phénomène mondial.
En lieu et place des protagonistes traditionnels qui influent à leur gré, notre opinion nationale. De nouveaux acteurs surgissent et commencent à s’affranchir de l’establishment médiatique et du dictat des organisations caduques d’essence communautaire. Ces nouveaux acteurs, pour la plupart, sont des jeunes activistes et blogueurs. Ils deviennent à eux seuls de véritables médias, manipulant au gré de leur émotion et de leur niveau d’information, notre « opinion publique nationale ». Cette nouvelle donne, loin d’être un épiphénomène, commence véritablement à inquiéter.
Tout récemment, la réputation de « rempart contre la mauvaise gouvernance » que Monsieur Lamine Guirassy, PDG de Hadafo média (groupe susmentionné), s’était ardemment construite au fil dans années, s’est très vite << effritée >> suite à une publication facebook d’un jeune activiste Guinéen ; en l’occurrence Monsieur Souleymane Condé. Dans cette vidéo, ce jeune activiste accusait Monsieur Guirassy et le ministre Moustapha Naïté de corrompus à la solde d’un sénile au pouvoir. Rapidement, malgré l’influence incommensurable du groupe Hadafo-média, cette vidéo est devenue virale ; en l’espace de 8h, plus de 3000 vues. Et l’image du PDG Guirassy, quoiqu’il fasse désormais, ne serait plus la même dans l’opinion, toute proportion gardée. Cette situation me semble tellement bouleversante que cette interrogation mérite bien de me tarauder : « Un individu serait-il devenu plus audible qu’une institution ? » ; cette question que je soulève ici, doit trouver sa réponse dans des traités de spécialistes.
‘’ MÉDIAS SOCIAUX, CONSTRUCTION ET DÉCONFITURE ACCÉLÉRÉE DES PERSONNALITÉS DANS L’OPINION PUBLIQUE ’’
Après l’exemple que je viens d’énumérer ci-dessus, d’autres pullulent de manière exponentielle et de façon nettement variée.
L’affaire « #LeChinoisEstmort » est une belle illustration des réseaux allant dans le sens des railleries les plus acerbes aux caricatures les plus satiriques. De twitter à facebook, l’opinion s’en est servie à satiété ; plus de 5000 hashtags en l’espèce de 36H ont décousu l’image du premier ministre guinéen à l’effet d’étaler à l’opinion publique les tares ou le mépris de ce dernier envers les populations qu’il entend diriger. Cette autre situation, au risque d’être la risée des réseaux sociaux, devrait interpeller nos personnalités publiques à procéder à davantage de pédagogie et de tact dans le prononcé de leur discours.
L’autre pan de la problématique, c’est la construction que les réseaux sociaux peuvent faire de l’image d’un individu qui, au départ, ne dispose pas d’aura « réelle ». Des personnalités relativement importantes du paysage politique ou du domaine social, ont réussi à se forger une réputation d’hommes de conviction, de patriote, de révolutionnaire, d’historien ou encore de scientifique. Cette autre facette des réseaux sociaux est beaucoup plus en faveur des jeunes engagés dans tel ou tel domaine de la vie publique ; celle-ci leur permet, suivant les followers, les likes, les commentaires, ou les vues, d’exercer une influence, plus ou moins « réelle », sur l’opinion. C’est aussi une aubaine pour des politicards d’investir sur tel ou tel jeune en fonction de sa côte ou de ses capacités d’analyse. Ceci peut être une explication plausible à la problématique de la pluralité des réseaux de communication virtuelle en faveur des personnalités publiques. Dans la même lancée, en tant que « média personnel », des jeunes usent de ce fantastique outil pour vendre les prouesses qu’ils réalisent dans les domaines de leur compétence au grand dam des médias classiques, qui sont souvent perçus comme chers vu leur moyen. C’est de l’autopromotion. Cette autopromotion peut être un couteau à double tranchant. En fait, pendant les récentes marches des forces de Guinée, la duplicité de certains jeunes a démontré, par ailleurs, les cotés pervers de cette pratique.
Parallèlement, un autre groupe d’utilisateurs et pas des moindres, se fait aussi remarquer sur la toile à travers des posts allant dans le sens d’un règlement de comptes à l’exhibition de certaines pratiques obscènes. Les exemples de cette énième situation foisonnent, de la publication des vidéos à caractère pornographique (affaire Mahou ou encore celle de Bani Sangaré) aux images de dénigrement d’un individu (affaire Korbonya Baldé vs Sekou Koundouno) ; ça va dans tous les sens. Ces affaires ont fait l’objet de tollé et de désapprobation de la part de l’opinion et par ricochet, marquent l’attachement d’un grand nombre de Guinéens aux bonnes mœurs et à des pratiques réputées vertueuses. Du reste, cet autre aspect de la problématique dénote, en réalité, du manque d’efficacité de notre arsenal légal et juridictionnel mais dont l’influence ne doit plus être sous-estimée.
Conclusion :
L’appréhension que l’on peut faire de l’opinion publique dépend du niveau d’imprégnation des populations ou du niveau d’organisation structurelle des États. Quoique pour Bourdieu, « l’opinion publique n’existe pas », celle-ci, de nos jours, est devenue un véritable indicateur pour les pouvoirs publics avant, pendant, et après la prise d’une décision.
Dans les démocraties dites « avancées », les instituts de sondage jouent un rôle commensurable dans la perception que l’on peut faire de l’opinion face à tel ou tel aspect d’un phénomène public. Dans la mesure où, avec assez de marge de réussite et d’efficacité, l’opinion publique peut être quantifiable voire qualifiable. Des enquêtes sont souvent réalisées par des acteurs publics envue d’analyser l’impact, en terme d’avis favorables ou non, de telle ou telle autre décision à prendre. Ces enquêtes ont souvent été concluantes. Loin d’être une science exacte ou une valeur sûre à cent pour cent, les sondages d’opinion demeurent un outil indispensable dans la perception contemporaine de l’opinion publique.
Dans les démocraties à balbutiement telle que la nôtre, la problématique de l’opinion publique est bien assez complexe voire conflictogène. Aucun moyen objectif, aucun indicateur pertinent, aucun institut spécialisé n’existe à ce jour pour jauger notre opinion vers telle ou telle question d’importance nationale ou locale. Concrètement, suivant le prisme des anomalies congénitales à nos États, on mesure l’opinion publique par le truchement de la mobilisation ou de l’insurrection que la prise d’une décision impopulaire peut provoquer. Dans notre microcosme politique, la popularité d’un leader se mesure à l’aune des mobilisations qu’il peut faire pendant des manifestations qui sont, ma foi, assez scabreuses.
Nonobstant ce défaut d’organes de sondage spécialisés ou d’indicateurs fiables, il a été ressorti qu’en Guinée comme partout dans le monde, l’opinion publique est, depuis la nuit des temps, sujette à des manipulations ou à des machinations politiciennes, ethniques, communautaires voire religieuses. Donc, un élément stratégique dans la pérennisation ou non d’un régime politique ou dans la gestion d’une décision publique.
Ces derniers temps, grâce à l’accroissement du taux de la scolarisation, une certaine structuration de l’opinion publique est à constater. Cette structuration, ma foi salutaire, est aussi à mettre au crédit des utilisateurs de l’Internet. Suivant le cours normal des choses, ces utilisateurs sont en passe de devenir des « lanceurs d’alerte ». Ainsi, l’opinion publique guinéenne s’organise davantage vers des sujets d’intérêt national. Pour cette année 2018 seulement, l’opinion s’est organisée autour des hashtags mobilisateurs comme : #FemmesCapables, #JeunesCapables, #8000cestBon, #LeChinoisEstMort …pour ne citer que ceux-ci.
Dans la perspective de la qualification de notre opinion publique, l’État guinéen peut, à l’instar de l’expérience française, instituer une commission nationale de débat public « CNDP » à l’effet de rediriger celle-ci vers des problématique essentielles qui siéent au développement de notre nation. Comme cela, on peut procéder à un partage juste et équilibré de l’information dans notre opinion publique. Des langues nationales peuvent être usitées en vue d’une communication de masse.
Loin d’être figée ou immuable, il a été ressorti que l’opinion publique guinéenne, bien que victime de manipulations incessantes envue de son éternel contrôle, revêt plutôt un caractère dynamique et évolutif. De l’aurore de l’indépendance à nos jours, notre opinion publique nationale a toujours été du ressort des actifs de notre société ; alphabétisés ou non.
Dans tous les cas, la persistance des pesanteurs sociales, l’observation régulière ou biaisée des principes démocratiques, le jeu des masses médias, la mondialisation et les progrès qu’enregistre le domaine complexe et non censurable de l’internet, ce sont là, autant de facteurs sensibles qui, manifestement, influent positivement ou non l’opinion publique guinéenne.
CHERINGAN
Observateur de la vie sociopolitique.