Kanfarandé (boké): à la découverte d’une expérience de gestion du fodel

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Au bord du légendaire Rio-Nuñez,  se blottit l’ancien « village de pécheurs », au cœur du Naloutaye. Premier point d’ancrage des différentes aventures coloniales européennes en terre guinéenne : Portugais, Anglais et Français.

La localité est successivement appelée « Victoria » par les anglais en honneur à la célèbre Reine Victoria d’Angleterre,  « Sainte Eugénie » par les français pour honorer une vierge et martyre romaine  et rebaptisé « Kanfarandé » ou la « côte » en langue locale par les habitants. Etendue sur une superficie de 1600 km2, pour une population de 40.133 habitants,  répartie entre 15 districts dont Sept (7) districts insulaires, deux (2)  péninsules et  Six (6) districts en terre ferme.

Kanfarandé ! C’est aussi les merveilles de la nature, d’une beauté exquise et époustouflante. Elle abrite le port artisanal de Katchek, l’un des plus grands de la sous-région ouest africaine. Dans les îles Katareck, une colonie d’oiseaux palmipèdes très agressifs déchire de leurs chants le silence étourdissant de l’océan.  Chose incroyable ! Des chiots invisibles pleurnichent et aboient miraculeusement dans la forêt de l’île. L’océan nous livre un spectacle unique au monde : une vieille grosse « pierre noire » stagnante et intouchable flotte dans les vagues au large de Kanfarande.

L’activité économique principale de la localité repose sur la pêche et les cultures maraichères. Ces deux (2) activités occupent l’essentielle de la population active. Le FODEL vise à soutenir et accélérer le développement de ces secteurs économiques.

Ces dernières années, le boom de l’activité minière dans la région de Boké impacte indirectement la collectivité : pas de présence de mine de bauxite en exploitation, donc située hors du périmètre d’exploitation de la SMB (Société Minière de Boké).  Elle abrite tout de même une route minière à la limite administrative avec la Commune Urbaine de Boké.

Par contre, les bateaux minéraliers longent au quotidien le mythique Rio-Nuñez qui serpente sur toute  l’étendue  de la Commune Rurale. Ces opérations de transport de bauxite affectent négativement le rendement et la fluidité des activités de pêche. L’exiguïté de l’estuaire maritime complexifie la cohabitation entre les pirogues de pêche et les minéraliers (quelques incidents de collusions sans dégâts matériels signalés), le bruit des moteurs et les huiles nuisent à la reproduction  des espèces halieutiques selon plusieurs scientifiques interrogés.

Pour pallier à ces impacts négatifs des activités minières, l’Etat guinéen a mis en œuvre conformément à l’article 130 du code minier, un mécanisme de financement du développement des collectivités des zones minières : le Fonds de Développement Local (FODEL). Ce fonds représente 0,5% du chiffre d’affaires réalisé sur le titre minier de chaque entreprise minière. Suivant des critères de répartition préétablis selon les critères géographiques, humains et de proximité des mines en exploitation, Kanfarandé a obtenu 3.900.423.849 GNF au compte de la période 2015-2018.

Selon les mécanismes de gestion et d’utilisation des fonds définis dans un arrêté conjoint entre le ministère des Mines et celui de l’Administration, ce montant est destiné au financement  des  projets créateurs de revenus et d’emplois, ainsi que des infrastructures collectives à caractère économique et sociale.

A Kanfarande, des dizaines de projets ont été financés sur la base de la clé de répartition et d’orientation qui encadre l’utilisation des fonds. Ces projets prennent en charge :

-l’appui et le financement de micro-projets porteurs de croissance : trente-trois (33) groupements (500 femmes) maraichers et de saliculture générateurs de revenus et d’emplois, financement de deux (2) micros entreprises de menuiseries et de forgerons à travers la modernisation  des équipements et les techniques de travail ; financement de treize (13) groupements de pêcheurs pour l’achat de barques motorisées.

-Investissement dans des infrastructures sociaux-économiques collectives :

Construction d’un magasin de stockage des produits agricoles et commerciaux au marché de Lansanaya ; construction de deux (2) ouvrages (dallos) de franchissement entre Boké et Kanfarandé ;  Achat d’un camion de transport de produits agricoles et d’agrégats pour générer des revenus à la commune; équipements logistiques de la commune rurale (tentes,  200 chaises) pour faciliter l’organisation des consultations publiques et les concertations avec les communautés ; Achat de deux (2)  barques motorisées pour faciliter l’accès de la commune par la voie maritime générant des revenus supplémentaires à la collectivité (5000 GNF par personne transportée).

L’ensemble de ces projets a été constitué sur la base d’un diagnostic participatif ouvert et transparent et validé lors des sessions budgétaires du FODEL. Le caractère opportun et viable des projets retenus est remarquable.

Les bénéficiaires rencontrés au cours de notre entrevue de recherche témoignent de l’amélioration de leurs conditions de vie grâce aux revenus supplémentaires. La divagation des animaux (les bovins) et le manque de clôture représentent  les principales menaces à la pérennité des projets agricoles visités. Le manque de vision entrepreneuriale de certains bénéficiaires est un défi à relever pour assurer la survie à long terme des projets et la constitution d’un véritable tissu d’entreprises locales (le réinvestissement des bénéfices dans l’accroissement des capacités des projets).

Des actions de suivis réguliers et de renforcement des capacités techniques de gestion comptable et financière en entreprises, le développement de la  culture entrepreneuriale  des porteurs de projets s’imposent pour pérenniser les acquis déjà obtenus. Il est également à  noter que le potentiel touristique naturel immense de Kanfarande est méconnu et inexploité faute de financement et d’infrastructures d’accès.

La mise en œuvre des modes de financement  du FODEL dans la région de Boké a suscité beaucoup d’espoir dans la lutte contre la pauvreté dans les zones minières en proie à des difficultés particulières : dégradation de l’environnement, chômage endémique, explosion démographique, insécurité, coût élevé de la vie, manque de services sociaux de base, urbanisation anarchique, dépendance économique et financière aux revenus miniers. La particularité du FODEL est d’inscrire son action dans la lutte contre la pauvreté, la diversification des sources de revenus des collectivités grâce à des investissements dans des projets économiques rentables, la construction d’infrastructures socio-économiques collectives.

La commune rurale de Kanfarandé, enclavée entre les estuaires maritimes, fortement dépendante des activités de pêches (en partie impactée par les activités minières), s’emploie à développer des projets créateurs d’emplois et de revenus aux communautés locales (maraîchages, artisanat locale, activités de pêche, infrastructures économiques, renforcement des capacités opérationnelles de l’exécutif communal….).

Oumar BARRY, doctorant en Sciences Politiques à l’Université de LYON (France), chercheur sur les industries extractives en Afrique.

Issiagha CAMARA, Doctorant en Economie minière en Chine à l’Université de Chongqing

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