L es autorités guinéennes doivent mener une enquête rapide et indépendante afin d’identifier les responsables de la violente répression d’un rassemblement pacifique qui a eu lieu le 16 octobre et au cours duquel trois journalistes ont été blessés, a déclaré Amnesty International.
Treize journalistes ont été arrêtés arbitrairement au cours de cette manifestation organisée dans la capitale, Conakry, par des professionnels des médias pour demander la levée des restrictions d’accès à certains sites d’information. Ils ont été libérés le jour même après avoir été inculpés de » participation à un rassemblement illégal sur la voie publique » et attendent de comparaître devant un tribunal. Amnesty International demande l’abandon immédiat des charges retenues contre eux, considérant notamment que l’interdiction générale de manifester imposée par les autorités depuis mai 2022 est en soi non nécessaire et disproportionnée, ce qui constitue une violation des droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique.
Dans ses commentaires sur la répression lors d’un conseil des ministres le 19 octobre, Ousmane Gaoual Diallo, ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, a déclaré qu’ « une intervention policière peut toujours entraîner des blessures légères ».
« Les forces de sécurité peuvent, semble-t-il, réprimer une manifestation pacifique sans aucune retenue. Cela en dit long sur l’impunité qui règne aujourd’hui en Guinée et sur l’attitude du régime de transition à l’égard de ses engagements en matière de droits humains », a déclaré Samira Daoud, directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.
L’organisation a recueilli les témoignages de plusieurs participants au rassemblement pacifique, étayés par des vidéos enregistrées ce jour-là.
Selon ces témoignages, vers 8h30, une quinzaine de véhicules de police et de gendarmerie ont encerclé le rassemblement au Port Autonome de Conakry. Les journalistes ont pu poursuivre leur marche jusqu’à la Cité chemin de fer, où le rassemblement a été violemment dispersé.
Ibrahima Foulamory Bah, journaliste au média Lecourrierdeconakry.com, a déclaré à Amnesty International : « Les agents ont commencé à tirer des gaz lacrymogènes sur nous. Malgré tout, le secrétaire général du SPPG (Syndicat des Professionnels de la Presse de Guinée) a voulu faire sa déclaration, et c’est à ce moment-là que nous avons été brutalement dispersés ».
La journaliste Mariama Bhoye Barry a été touchée au coude par une grenade lacrymogène, comme le montre une vidéo qu’elle a elle-même enregistrée. Dans cette vidéo de 2 minutes, analysée par l’organisation, un membre des forces de sécurité tire sur la journaliste, qui filmait un groupe d’une dizaine d’agents, dont l’officier qui a tiré le lanceur de gaz lacrymogène. Le reste de la vidéo montre la journaliste violemment arrêtée puis emmenée dans un véhicule de police.
Mariama Bhoye Barry a déclaré à Amnesty International : « Il m’a délibérément prise pour cible. Comme les policiers étaient hostiles à ce que je filme, ils m’ont demandé de reculer. »
Il n’y avait aucune raison d’utiliser des gaz lacrymogènes contre des manifestants pacifiques. Les gaz lacrymogènes ne devraient être utilisés qu’en cas de violence généralisée contre des personnes et ne jamais être tirés directement sur des personnes. Des tirs de gaz lacrymogène aussi tendus, à hauteur de tête et à si courte distance, n’étaient ni nécessaires ni proportionnés.
« Depuis 2019, nous avons régulièrement recueilli des témoignages de manifestants gravement blessés par des canons à gaz lacrymogène. La persistance de telles pratiques, intentionnelles selon plusieurs victimes, souligne l’urgence de traiter la question de l’impunité au sein des forces de défense et de sécurité », a déclaré Samira Daoud.
Ibrahima Foulamory Bah a été sévèrement battu lorsqu’il a tenté de s’interposer entre les forces de sécurité et Mariama Bhoye Barry. « J’ai reçu des coups de matraque, notamment sur les côtes et le cou. J’ai perdu connaissance après qu’un policier m’a frappé sur la nuque », a-t-il déclaré.
Une troisième journaliste, Mariam Sall, a été blessée après avoir reçu un coup de matraque sur le cou et avoir été violemment embarquée dans un véhicule.
Les 13 journalistes ont été arrêtés vers 9h00 et conduits au commissariat central de Kaloum (Conakry) puis au tribunal de première instance de Kaloum. Ils n’ont été libérés que vers 17 heures. Pendant les huit heures de détention et d’interrogatoire, aucun soin médical n’a été prodigué aux trois blessés, malgré de multiples demandes, en violation de leurs droits.
Les examens médicaux ont révélé que Ibrahima Foulamory Bah souffrait d’une fracture de l’os du cou nécessitant quatre semaines d’immobilisation. Les blessures de Mariam Sall ont également entraîné une incapacité de travail de plusieurs semaines et Mariama Bhoye Barry doit prendre des antalgiques.
« Ces recours répétés et impunis à la force doivent alerter les mécanismes spéciaux de l’ONU et de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, qui doivent rester attentifs à la situation dans le pays, notamment au moment où la transition politique entre dans sa dernière année, en 2024, conformément au calendrier convenu entre les autorités guinéennes et la CEDEAO », a déclaré Samira Daoud.
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