L es velléités des politiques à empester la fine pellicule des régions, des religions ou des communautés (ethniques/tribales/raciales) qui s’enchevêtre à nos États, n’est guère une spécificité guinéenne. Les imbus des questions politiques ou géopolitiques peuvent tout à fait certifier l’existence de telles pratiques qui, ma foi, semblent inhérentes à la chose politique. Dans l’histoire, moult hommes publics ont souvent usé des stratagèmes allant dans le sens de l’unification ou de la division des masses suivant des facteurs réputés subjectifs ou dangereux pour la quiétude sociale.
Réellement, bien que la construction d’un État ou de l’État-nation soit une activité à la fois continuelle et délicate, il serait indispensable que les acteurs politiques au zénith d’un pays, au risque d’effriter le sentiment d’unité nationale à la base, s’approprient pleinement l’idée selon laquelle : » les considérations particulières (régionales/communautaristes/mercantilistes) sont naturellement tributaires des considérations plus globales (intérêt national) « . Ainsi, un politique ne devrait penser à une communauté que dans le cadre de l’exécution d’un projet national et donc par rebond, d’’intérêt général, qui serait destiné ou qui devrait être destiné à telle ou telle région en fonction des ordres de priorité nationale.
Mais peut-on reprocher à un homme politique d’user de son ethnie ou de sa communauté ?
Naturellement, ma réponse est NON. Il est tout à fait logique que le terreau de légitimité d’un homme public ou le fief électoral d’un politique soit sa communauté d’origine ou de résidence. En principe, c’est plutôt le contraire qui devrait inquiéter. Tenez, un politicien qui serait incapable de convaincre les siens, comment pourrait-il asseoir la conviction des autres avec lesquels d’ailleurs, il ne partage guère de sentiment de proximité (langue, sang…). En clair, il n’y a aucun mal, aucune violation d’ordre légal ou constitutionnel à ce qu’une ethnie ou une région vote en majorité pour un des leurs. En tout temps et en tout lieu, nonobstant quelques exceptions, cette constante s’est illustrée avec une efficacité redoutable. Mieux, au regard de notre administration publique moribonde, penser à sa communauté, loin d’être néfaste en soi, pourrait s’avérer important dans le cadre du développement communautaire à la base. Ainsi, l’État pourrait ingénieusement intervenir en établissant des indicateurs de performance à l’aune des actions posées dans le sens du développement local par des acteurs locaux ou par ceux « venus d’‘ailleurs ». Ce nouveau rôle de l’État, en plus d’’être un appui à la décentralisation, pourrait nettement contraster avec la politique populiste, budgétivore et relativement efficace des fêtes d’indépendance tournantes. Cela, pour la simple raison que cette activité serait quotidienne et fondamentalement citoyenne. Alors, en lieu et place des financements budgétivores et souvent occultes, l’État ne ferait qu’encourager les meilleurs citoyens à la base à investir dans leurs localités de base. Pour doper le processus, des mesures d’’exonération fiscale ou autres, peuvent être envisagées à cet effet. Cette expérience, ce modèle de gestion a eu une réussite inattendue au pays de « Mao Tsé Toung ».
En revanche, le fait qu’un leader (politique, religieux ou coutumier) se serve de sa communauté pour influer le choix de cette dernière ou pour empêcher celle-ci à voter ou à s’affirmer vers un autre protagoniste qui lui serait « étranger » est un acte cynique, anticonstitutionnel et hautement dangereux pour l’équilibre naturel du tissu social. C’est à ce niveau précis que la loi et les pouvoirs publics sont censés intervenir. Hélas, des actes allant dans cette direction sont légion dans notre pays. Si tant est qu’à l’intérieur de la Guinée, il existe une foultitude de communautés composites, le seul lien qui puisse naturellement être capable de nous unir, à l’effet de nous constituer en nation serait, de facto, la loi. Expression de la volonté générale, la loi fondamentale guinéenne (constitution ndlr), étant le substrat même de l’affirmation de notre identité nationale, devrait être le penchant naturel devant déterminer chacune des actions du citoyen guinéen.
Assurément, depuis la campagne présidentielle de 2010, le fil de l’ethnocentrisme bat son plein en Guinée. Dans les faits, du premier magistrat du pays au citoyen lambda en passant par l’establishment religieux ou coutumier, ce fil est animé par des figures de proue de la société guinéenne. Les discours pernicieux en déphasage avec l’esprit de notre association en tant qu’entité unitaire et indivisible, foisonnent. Par ailleurs, l’analyse de cette situation dans laquelle, l’ethnocentrisme et l’ethno-stratégie sont de plus en plus perçus comme des dérogations à la loi et aux principes républicains, pourrait imposer à la réflexion deux hypothèses relativement plausibles :
– Soit, c’est la classe politique actuelle et par ricochet, la société guinéenne dans son ensemble, qui porte en elle, consciemment ou non, les germes de l’ethnocentrisme ;
– Soit, c’est le symbole d’un pays qui peine à construire un État moderne.
En vérité, en prélude à la fin de mandat du chef d’État guinéen, nombre important de nos politiques, tous bords confondus, ourdissent des projets machiavéliques à l’échelle des différentes communautés. Si pour certains, l’enjeu consiste à la sauvegarde du pouvoir (tout en camouflant, au nom de la communauté ou de l’ethnie, la gouvernance catastrophique du président Alpha Condé, c’’est un euphémisme) ; pour les autres, il consiste naturellement à sa conquête. En outre, connaissant les approches assez scabreuses de la plupart de nos leaders, il me paraît intéressant qu’’il faille penser instituer des mécanismes et des conditions favorables à l’éclosion d’un débat national, non censuré et affranchi de tout obstacle épistémologique, permettant ainsi aux profanateurs de notre constitution, d’’exposer publiquement la justesse de leur penchant au régionalisme et à l’ethnocentrisme. Cette approche, quoique improbable pour certain, pourrait avoir, si des problématiques saillantes relatives « au pourquoi et au comment de l’ethnocentrisme » sont posées par des spécialistes (universitaires surtout), le mérite de nous inviter à davantage remettre en question notre modèle de société. Mieux, il serait encore important que le mécanisme devant diriger les débats, puisse avoir des moyens de pression légitimes en vue de contraindre les pouvoirs publics à intégrer les recommandations et conclusions à leur modèle de gouvernance politique.
Dans tous les cas, les dispositions pertinentes et intangibles de notre constitution, notamment les articles 2, 4 et 154, doivent être entendues comme des fins. Du reste, la foisonnance et la persistance des discours à caractère ethnique et tribaliste sont une preuve infaillible de l’incurie qui caractérise, en l’’état, notre arsenal juridique et juridictionnel, mais aussi, toute notre société civile. Tout ceci présage un lendemain manifestement inquiétant. Et le fait d’en parler publiquement suivant un paramétrage ingénieusement réfléchi et bien imbriqué à l’aune de nos possibilités d’existence en tant qu’État-nation, à défaut de résorber définitivement l’ethnicisme en Guinée, aura au moins le mérite de le diagnostiquer efficacement.
CHERINGAN