Dégradation de l’environnement en guinée : deux entreprises minières épinglées

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D eux ONG internationales, Human Rights Watch (HWR) et Inclusive Development International (IDI), ont, dans un rapport publié ce mois de juillet 2021 dénoncé les agissements des deux plus gros producteurs bauxitiques guinéens, à savoir la Société Minière de Boké (SMB) et la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG).

En faisant cette dénonciation, ces deux structures internationales ont aussi interpellé neuf des plus grands groupes de constructeurs d’automobile au monde sur leur responsabilité dans le combat contre le réchauffement climatique.

Dans ce rapport intitulé « L’aluminium, angle mort du secteur automobile Pourquoi les constructeurs automobiles devraient se soucier des conséquences de la production d’aluminium sur les droits humains », dont guineeactuelle.com  s’est procuré, ces organisations internationales spécialisées, respectivement sur les problématiques de droits humains et de justice sociale, économique et environnementale aux quatre coins du monde, ont décidé de fixer leur projecteur sur les mines de Guinée, notamment dans la région de Boké.

Ainsi, la SMB et la CBG, dont les activités semblent contraster avec les « meilleures pratiques » de l’industrie minière universellement admises, se sont retrouvées dans le curseur de ce consortium d’ONG.

Pour ce dernier, la pratique de ces opérateurs, qu’il qualifie d’anti droit de l’homme, induit une forte pression sur l’environnement et les communautés locales; modifiant ainsi l’écosystème naturel et socioéconomique de l’ensemble de la région.

Tandem SMB/CBG, un choix justifié pour la région de Boké

Entre 2019 et 2020, le tandem SMB/CBG a cumulé à lui seul 70% à 60% de la production bauxitique, alors que cette dernière est estimée à plus de 85 millions de tonnes pour une part de marché d’environ 22% en 2020. Nonobstant cet accroissant fulgurant de cette production nationale, faisant du pays deuxième producteur bauxitique mondial, dépassant la Chine et s’alignant derrière l’Australie, la Guinée stagne toujours à la queue du peloton des pays à « développement humain faible » (178e avec 0,477 comme point d’indice, ndlr), selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD 2020).

Selon HWR et IDI, la région de Boké, qui compte une population de 1,3 million de personnes avec 73% à 86% de pauvres pour les zones urbaines et rurales, vit essentiellement des ressources tirées du sol dont l’agriculture.

Environ 890 000 habitants, soit 80 % de la population, trouveraient leurs moyens de subsistance via cette activité. Cependant, la plupart des familles interrogées, dans le cadre de la réalisation de cette étude, a expliqué que l’exploitation minière avait détruit les terres qu’elles cultivaient depuis des générations, détériorant ainsi l’environnement dont elles dépendent pour leur subsistance et leur alimentation, rapporte le document.

Pire, les compagnies minières ont profité de l’absence d’un registre foncier, ainsi que des difficultés que connaissent les guinéens pour faire reconnaître leurs droits devant les tribunaux, pour déterminer de manière arbitraire si elles indemniseraient les familles pour leurs terres, et le cas échéant, de combien au grand dam des normes internationales, indique le rapport.

Pour ces ONG, les pratiques de la CBG et de la SMB illustrent la manière dont les compagnies minières envisagent les droits des populations locales sur leurs terres.

« Depuis qu’elle a commencé à exporter de la bauxite en 1973, la CBG a petit à petit exploité de grandes parcelles de terres agricoles à l’orée de la ville de Sangaredi, où se concentrent ses activités minières. En 2019, une cartographie participative de l’utilisation des terres, menée par les populations locales, des ONG guinéennes et Inclusive Development International sur la base d’une analyse des images satellites, a conclu que 17 villages avaient perdu au bas mot 80 kilomètres carrés de terres agricoles et de pâturages depuis 1980, au profit de la CBG » rapporte le consortium HRW et IDI.

Plus loin, la même source précise que la méthode employée par la SMB, bien que différente de celle antérieurement entreprise par la CBG, a tout aussi été préjudiciable pour les paysans, car, note le rapport, n’étant pas habitués à gérer ou à investir de l’argent, ces paysans indemnisés se sont retrouvés sans ressources, ni soutien ou formation pour trouver de nouvelles terres ou de nouvelles sources de revenus. Ce, en dépit des dispositions du droit international des droits humains ainsi que normes de la Société financière internationale qui disposent que les indemnisations financières seules ne sauraient remplacer les bénéfices durables qu’une terre apporte aux communautés paysannes.

D’un point de vue strictement environnemental, le consortium a indiqué que les activités du tandem ont entrainé des conséquences néfastes sur l’environnement local et le droit a une eau pure pour les communautés riveraines.

« La cartographie participative menée en 2019 par Inclusive Development International avec des habitants a conclu que les activités de la CBG avaient pollué ou détruit 91 sources d’eau qui desservaient 17 villages, en raison de leur obstruction par des sédiments et du développement de l’infrastructure de la mine » et d’ajouter qu’«avant la publication du rapport de Human Rights Watch sur l’exploitation minière de la bauxite, des dizaines de personnes vivant dans plus de treize villages avaient indiqué à Human Rights Watch que les sources d’eau sur lesquelles ils comptaient pour boire, se laver et cuisiner avaient subi des dégâts depuis l’arrivée des activités minières de la SMB ».

« Tout ce qui faisait de Fassaly un village a disparu » renchérit un villageois de Boké aux enquêteurs du consortium.

Une supervision défaillante du gouvernement

Bien que disposant d’un arsenal juridique, relativement bien étoffé, les rédacteurs du rapport ont estimé que le gouvernement guinéen n’a pas fait assez pour exiger que les compagnies minières se conforment à des normes strictes en matière de respect de l’environnement et des droits humains. Alors que l’Etat engrange d’importantes mannes financières provenant du secteur au titre de sa fiscalité (environ 20% du PIB, 30% des revenus de l’Etat et 78,86% des exportations, ndlr).

Par exemple, ces ONG illustrent cette défaillance de l’Etat par l’incapacité de celui-ci, à travers ses structures de contrôle comme le Bureau guinéen d’étude et d’évaluation environnementale (BGEEE), organe essentiel du Ministère de l’environnement, à faire observer ses normes de manière rigoureuse par les entreprises minières. Il en serait ainsi du cas de la SMB qui, selon le rapport, avait obtenu un permis en 2015 alors qu’il avait présenté des évaluations de l’impact environnemental et social qui ne tenaient pas correctement compte des effets du projet et ne prévoyaient pas de mesures permettant de les réduire convenablement.

Pourquoi les constructeurs automobiles devraient se soucier des conséquences de la production d’aluminium sur les droits humains

Dans ce contexte et pour réduire les impacts de l’exploitation sur l’environnement et les communautés, les ONG HWR et IDI ont plaidé pour une meilleure responsabilisation du secteur automobile, qui devrait prendre des mesures plus ambitieuses pour assurer le respect des droits humains dans la production d’aluminium, qui n’est autre que le produit fini après extraction de la bauxite de Boké et son raffinage en alumine.

HWR et IDI déclarent que l’aluminium, un métal léger, est un composant majeur pour assurer la transition vers les voitures électriques et les véhicules plus économes en carburant.

« Les constructeurs automobiles ont utilisé près d’un cinquième de la totalité de l’aluminium consommé dans le monde en 2019, et devraient doubler leur utilisation d’ici à 2050. » précisent-elles.

 L’aluminium est produit à partir de la bauxite, un minerai rouge. Malgré les avantages potentiels de l’aluminium, l’extraction de la bauxite et la production d’aluminium peuvent avoir des conséquences dévastatrices sur les droits humains et l’environnement : destruction de terres agricoles ; dégâts aux sources d’eau causés par les mines et les raffineries ; et émissions considérables de gaz à effet de serre issues de la fusion de l’aluminium. Pour faire face à ces impacts, le rapport intitulé a mis en lumière les conséquences de cette industrie sur les droits humains, en s’appuyant sur des exemples du monde entier et une étude de cas approfondie sur l’extraction de la bauxite en Guinée. En analysant la manière dont l’industrie automobile mondiale s’attaque aux impacts de la production d’aluminium, à partir d’entretiens et d’échanges de courriers avec neuf grands constructeurs automobiles (BMW, Daimler, Ford, General Motors, Groupe PSA, Renault, Toyota, Volkswagen et Volvo, ndlr), ces ONG ont révélé que la plupart des constructeurs automobiles n’avaient pas suffisamment agi pour identifier les mines, les raffineries et les fonderies où ils s’approvisionnent, évaluer les impacts négatifs de la production d’aluminium sur les droits humains, et réduire ces impacts.

Compte tenu de l’importance de l’aluminium pour l’avenir de l’industrie automobile, HWR et IDI ont recommandé aux constructeurs de faire pression sur leurs fournisseurs pour qu’ils respectent les normes les plus strictes relatives aux droits humains et à l’environnement, et cesser de s’approvisionner auprès de ceux qui refusent de le faire.

CHERINGAN

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