En août 2017, dans une salle d’audience du tribunal fédéral de New York , Mahmoud Thiam , ancien ministre des Mines de Guinée, écoute la sentence tomber. Sept ans de prison pour blanchiment d’argent et corruption. Autour de lui, des avocats murmurent, des journalistes notent fébrilement les derniers détails du verdict, tandis que les procureurs américains affichent une expression impassible.
Cette scène marque l’épilogue d’une affaire qui dépasse le simple cadre judiciaire. L’histoire de Mahmoud Thiam s’inscrit dans un contexte bien plus large , où se mêlent lutte contre la corruption, enjeux économiques et stratégies d’influence internationale .
Un destin entre pouvoir et accusations
Mahmoud Thiam n’a pas toujours été un homme contesté. En 2009, lorsqu’il est nommé ministre des Mines sous la transition dirigée par le capitaine Moussa Dadis Camara , son profil tranche avec celui des dirigeants traditionnels du pays. Ancien banquier, ayant travaillé chez Merrill Lynch, il revient en Guinée avec une ambition claire : attirer les investisseurs étrangers et moderniser l’exploitation minière.
Dès son arrivée, il joue un rôle clé dans les négociations de plusieurs contrats miniers . Parmi eux, Simandou , un gisement de fer parmi les plus richesses du monde, attise toutes les convoitisées.
Mais derrière ces discussions officielles, des jeux d’influence se mettent en place. En 2013, sous la présidence d’Alpha Condé, une vague de réformes est lancée pour réexaminer l’attribution des licences minières. Rapidement, les projecteurs se tournent vers Mahmoud Thiam et certains anciens accords signés sous sa tutelle.
Un procès sous haute tension
L’histoire prend une tournure internationale lorsque les autorités américaines s’intéressent à son cas. Le ministère de la Justice (DOJ) et le FBI mènent l’enquête. Selon leurs conclusions, Mahmoud Thiam aurait accepté 8,5 millions de dollars de pots-de-vin de groupes chinois cherchant à obtenir des avantages sur le marché minier guinéen.
L’argent, affirme l’accusation, aurait transité par des banques américaines , avant d’être utilisé pour l’achat de biens immobiliers et de produits de luxe aux États-Unis. C’est cette connexion avec le système financier américain qui permet aux procureurs de poursuivre sous le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) , une loi qui sanctionne la corruption impliquant des transactions en dollars.
Au tribunal, la défense de Thiam tente de plaider que ces fonds ne relèvent pas d’une corruption mais d’un soutien stratégique visant à développer les mines guinéennes. Mais le jury ne se laisse pas convaincre. En mai 2017, il est reconnu coupable. Trois mois plus tard, la sentence tombe : sept ans de prison .
L’influence des ONG et des médias dans l’affaire
Bien avant que la justice américaine ne prenne en main le dossier, des ONG internationales s’étaient déjà intéressées à la gestion des ressources minières en Guinée. Global Witness , connue pour ses enquêtes sur la corruption dans le secteur extractif, a publié en 2013 un rapport dénonçant des pratiques douteuses dans l’attribution des concessions minières.
Le rapport est repris par de grands médias économiques, Bloomberg, Reuters, Financial Times , contribuant à créer un climat de suspicion autour de certaines transactions, dont celles liées à Simandou.
En quelques mois, la pression médiatique s’accentue et les autorités américaines prennent le relais . L’affaire Thiam n’est plus seulement une question nationale, elle devient une affaire de portée internationale .
Un secteur minier en pleine reconfiguration
La condamnation de Mahmoud Thiam a des conséquences bien au-delà de sa seule personne. BSGR , la société qui avait obtenu les droits d’exploitation de Simandou, se retrouve également mise en difficulté. En 2014 , le gouvernement guinéen annule ses licences, ouvrant la voie à une redistribution des blocs miniers .
Les gagnants de cette reconfiguration ?
- Rio Tinto , qui récupère des positions stratégiques sur Simandou.
- Winning Consortium Simandou (WCS), un groupe chinois, qui prend une part essentielle dans le projet.
- Le gouvernement guinéen, qui renégocie ses contrats miniers.
La chaîne d’événements soulève une question : l’issue de cette affaire relève-t-elle uniquement d’une volonté de justice, ou aussi d’une bataille d’influence autour des ressources minières ?
Un dossier qui rappelle d’autres affaires internationales
L’histoire de Mahmoud Thiam présente des similitudes avec d’autres affaires impliquant des États, des multinationales et des instances judiciaires internationales.
En 2014, la banque BNP Paribas est condamnée à 8,9 milliards de dollars d’amende par la justice américaine pour avoir contourné des sanctions économiques. Dans les deux cas :
- Des ONG et des médias jouent un rôle clé dans la mise en lumière des faits.
- Le DOJ et le FBI interviennent sur la base de lois extraterritoriales.
- Des conséquences économiques majeures suivent les décisions judiciaires.
Ce type d’affaires illustre comment la justice, la finance et la géopolitique peuvent être étroitement interconnectées dans le monde des affaires internationales.
Un tournant pour la Guinée et ses ressources
L’affaire Mahmoud Thiam dépasse largement le cadre de sa condamnation. Elle met en évidence plusieurs dynamiques :
- L’importance de la gouvernance minière et des réglementations internationales.
- Le rôle croissant des ONG et des médias dans la surveillance des transactions économiques.
- Les implications économiques des décisions judiciaires sur le développement d’un pays.
Aujourd’hui, la Guinée continue de jouer un rôle clé dans l’industrie minière mondiale. Ses ressources naturelles en font un territoire d’opportunités, mais aussi un espace où les influences internationales se croisent et s’affrontent.
L’histoire de Mahmoud Thiam rappelle que, dans un monde interconnecté, chaque décision économique peut avoir des répercussions bien au-delà des frontières d’un pays.
Alpha DIALLO
Analyste stratégique
Responsable de la Cellule Intelligence Economique OGMM
alpha.diallo@guineeactuelle.com