Conflit entre tradition et modernité au tour du mariage : la guinée à la croisée des chemins

Publicité

Il y a deux mois, une vidéo à l’origine banale montrant des images du mariage forcé d’une mineure a défrayé la chronique en Guinée et même au-delà. Ce qui va s’appeler plus tard l’affaire ‘’Salimatou, madame Bah’’ va propulser au-devant de la scène la jeune Salimatou Diallo, fraichement mariée à un certain M. Bah.

Mais au-delà des commentaires parfois diamétralement contradictoires que cela va susciter, cette affaire montre la cassure inéluctable qui est en train de s’opérer en ce moment entre les traditionalistes et les modernistes de notre société.

Décryptage

Le 6 avril 2020, une association de défense de droits des femmes et des filles publie plusieurs photos d’une jeune fille, apparemment mineure, prises lors d’un mariage qu’elle qualifie de précoce et donc d’interdit. Le lendemain, Salimatou Diallo, la principale concernée publie sur les réseaux sociaux une vidéo dans laquelle elle  dément catégoriquement les accusations portées par l’ONG contre ses parents.

Assise sur le lit conjugal, elle dit avoir pleinement consenti à ce mariage et défend énergiquement ses parents qui ne lui auraient pas forcé à épouser M. Bah qu’elle aime jusqu’à l’hystérie. Ce sont ses mots. Aujourd’hui, c’est devenu une marque déposée.

Apres cette vidéo, une vague de commentaires s’abat sur les réseaux sociaux, nouvel espace de discussion des gens. D’aucuns condamnent fermement le mariage qu’ils qualifient de précoce et traitent la jeune de naïve. D’autres la soutiennent mordicus en mettant en avant la liberté qu’elle a à être épousée à celui qu’elle aime. Ces derniers s’appuient sur plusieurs autres facteurs dont entre autres la religion et nos coutumes. Sur les plates-formes de discussion, les débats sont tellement enflammés qu’ils débordent sur des injures. Une journaliste ira jusqu’à faire une vidéo où elle se décharge copieusement sur la jeune fille. Pauvre Salimatou. Derrière les discussions virtuelles et réelles, se pose la question essentielle voire existentielle de la société guinéenne pour les décennies à venir. La verve des uns et des autres à défendre leur position coûte que coûte est le reflet de la société guinéenne actuelle. Ecartelée entre tradition et modernité, elle cherche son chemin et semble être loin de la porte de sortie. Et pour cause.

La Guinée, à l’image de nombreux pays, est à la croisée des chemins en matière d’identité culturelle. Coincée entre ses us et coutumes, l’influence de la culture occidentale imposée par le colonialisme et la religion musulmane, la société guinéenne subit de plein fouet les tiraillements du choc des cultures. Une aventure ambiguë au pays de Camara Laye. Mais qu’avons-nous fait pour en arriver là. Nous sommes de ces pays qui n’ont malheureusement pas su faire le mix culturel entre ces trois influences citées plus haut. D’une part, nous avons sauvagement bradé nos mœurs par endroit pour copier naïvement les mœurs occidents. D’autre part, nous tenons encore certaines pratiques néfastes de notre culture qui détruisent  le fondement même de notre société.

Parmi ces pratiques, l’excision et le mariage précoce occupent la première place. Dans un pays à 99% croyant, dont 90% de musulmans, le mariage est une institution centrale dans le socle de la société. Sauf que les tendances diffèrent que l’on soit issu d’une famille traditionnaliste ou d’une famille ouverte. Même si les fondamentaux restent inchangés depuis des générations, la forte influence de la culture occidentale y a ajouté ses grains, notamment lors de la cérémonie de mariage. Le vrai problème est qu’une importante partie de la population reste illettrée. Cette frange du peuple, majoritaire jouit abondement des avancées technologiques crée par l’Occident, mais reste fermée sur tout débat à l’interne quant à l’évolution de nos mœurs. La libération de la femme les fait peur. Ils considèrent cela comme une menace à la suprématie masculine sur la femme qu’ils ont toujours entretenue et défendue. Ils inscrivent leurs filles à l’école, mais sont prêts à hypothéquer son parcours scolaire pour lui donner en mariage à un cousin proche, lointain ou germain. Même si elle doit devenir la 4eme épouse de cet homme. L’éducation sexuelle est taboue dans leur domicile, mais le corps de jeunes filles d’autres contrées leur sont bien familiers.

S’appuyant sur les préceptes islamiques qu’ils interprètent à leur manière, ils sont allergiques à toute idée d’autonomisation de la femme. Pour eux, si cette dernière tient bien le lit et assaisonne bien l’assiette, c’est  mieux. Cette frange du peuple, répandue dans toutes les composantes de la société est le soutien  de Salimatou. Sur les plates-formes, ils ne tarissent pas d’éloges pour cette très jeune fille, frêle, puisqu’elle représente tous ceux qu’ils veulent.

Paradoxalement, dans cette société où l’éducation sexuelle est taboue, on exige que la nouvelle mariée soit aussi chaude au lit que Madonna. Ironie du sort, c’est la mère, ou la tante qui n’a jamais parlé des rapports intimes avec la fille qui devient subitement une maitresse du Kamasoutra. Entre les bénédictions et les pleurs, elles essaient d’apprendre à la nouvelle mariée comment devenir du miel pour son mari alors celle-ci ignore tout de l’accouplement.

Pire, l’excision qu’elle a subie à l’enfance la rendue frigide aux yeux de ce mari si motivé. Apres, ils s’étonnent que le couple vole en éclats quelques mois après la célébration du mariage. Cette précipitation des familles à se débarrasser de leurs filles a des conséquences catastrophiques sur l’équilibre des foyers qu’elles sont amenées à gérer.

En face du camp conservateur, une nouvelle classe composée de jeunes cadres conteste vigoureusement cette pratique qu’elle qualifie d’un autre âge. Ce groupe prône l’autonomie de la femme et s’érige contre ce qu’il considère comme les tares de notre société (mariage précoce ou force, excision….). Fer de lance de ce combat, Hadja Idrissa Bah ne ménage pas ses efforts pour venir à bout des mariages précoces. Malgré la présence de centaines associations et d’ONGs actives sur le terrain, elle a réussi à se démarquer et imposer son leadership féminin dans l’aventure. Cependant, si certains admirent son courage, d’autres n’hésitent pas à la blâmer voire à douter de sa moralité. La qualifiant de déracinée à la solde de l’Occident pour détruire la culture guinéenne. Même si l’assertion est exagérée, le fait de se précipiter dans les faveurs d’ONGs , de medias et de politiques européennes renforcent cette idée. Sa récente photo prise en compagnie d’Emmanuel Macron a été interprétée par le camp conservateur comme la preuve ultime de son allégeance aux idéaux occidentaux telle que l’homosexualité.

Par ailleurs, les méthodes utilisées par son ONG pour faire arrêter les mariages précoces  sont assez discutables. Bien que le code civil interdise le mariage à toute personne n’ayant pas les 18 ans révolus (homme et femme), et qu’en conséquence toute action allant dans ce sens est salutaire, déployer des FDS pour troubler une cérémonie de mariage et trainer des sages devant la justice reste mal perçu dans un pays où la gérontocratie est prédominante. Une approche citoyenne et de proximité est mieux placée  pour arrondir les angles. L’intervention de la justice ou de ses auxiliaires ne doit être qu’un dernier recours.

En attendant, les avis restent tranchés et semblent pour le moment irréconciliables. Chaque camp veut prouver qu’il a raison et multiplie les invectives pour faire mal. Les partisans du mariage précoce ont fait des paroles de Salimatou Diallo une marque déposée. La marque : ‘’Mi dö faala han mi do fadda’’Agrémentée du single d’un Poulaakou de Malipan.

Au regard de cet épisode mouvementé, le temps est venu pour le pays de revoir ses lois, ses us et coutumes afin de rester au juste milieu. Ouvrir une fenêtre sur le monde et garder fermement l’enclos de sa culture.

Alpha Oumar DIALLO

Publicité