À l’aurore de la prise du pouvoir par le Président Condé, nul ne pouvait se douter qu’il aurait du pain sur la planche quant à l’imminence, à la pluralité et à la complexité des urgences à traiter. En Guinée, tout était prioritaire et urgent (réforme des Services de Sécurité et de Défense, refonte de l’Éducation Nationale et de la Recherche Scientifique, réforme de la Santé, de l’Économie, de la Justice, de l’Administration publique et des Institutions Démocratiques; Assainissement du Fichier Électoral, celui de la Fonction Publique et de la Statistique Nationale ; réforme des secteurs de l’Agriculture, de l’Eau et de l’Énergie; …). Bref tout était à faire ou à refaire : « J’ai hérité d’un pays et non d’un Etat », disait d’ailleurs le nouveau président, à peine élu.
À partir de là, toutes les hypothèses liées à la gouvernance publique étaient envisageables mais celle d’un régime caractérisé par des perturbations sociales et politiques intempestives occupait les dernières lignes des analyses tant les défis et les enjeux étaient importants.
Malheureusement, depuis les élections présidentielles de 2010 et celles de 2015 qui ont par deux fois propulsé le Président Condé au pouvoir, on a l’impression qu’en Guinée, l’Etat ne fait autre que la gestion des affaires courantes du pays et les véritables dossiers relatifs aux réformes à entreprendre sont terrés dans les tiroirs de Sekhoutoureya, en raison du gangstérisme politique caractérisant le sommet de l’Etat mais aussi des troubles qui deviennent de plus en plus scabreux, surtout à l’approche de cette période fatidique de 2020. Par voie de conséquence, cette situation handicape sérieusement le décollage économique du pays.
De ce point de vue, une question s’avère importante :
– Qui est le véritable responsable de l’état de pourriture avancée que connaît l’atmosphère sociale et politique guinéenne ?
– A qui profite l’enlisement de cette situation lamentable ?
La logique voudrait que dans notre quête d’éventuels coupables, qu’on écarte les pouvoirs publics pour la simple raison qu’il est de la responsabilité de ces derniers de rendre des comptes au peuple de Guinée et qu’ils n’ont aucun intérêt à entretenir des perturbations de ce type.
Cependant, cette logique ne s’applique qu’à des Etats où les notions de service public, d’intérêt général, de réédition des comptes et de justice sociale ont un sens réel.
Chemin faisant, dans le pays, l’exercice du pouvoir public s’est acoquiné à la politique politicienne pour nous sortir un mélange dont les miasmes sentent à la fois : l’ethnostratégie, le mépris et l’inconsidération vis à vis des aspirations profondes du peuple, la fourberie et la politique de « divide et impera »… Ce sont là quelques ingrédients usités de manière effrontée par les hommes politiques guinéens, tous bords confondus. Cela nous conduit vers une démarche où il faut rentrer dans une logique de partage des responsabilités à l’aune des forfaitures commises.
En effet, nombre important sont les chroniqueurs qui, à tort ou à raison, incombent au Président Condé qui a déclaré « Je ne connais pas les guinéens … », l’entièreté de cette responsabilité en raison de la personnalisation du pouvoir dont il fait montre, du clanisme au sommet de l’administration publique et de l’ethnicisation à la base; tout ceci, enchevêtré dans une politisation à outrance du débat public.
En réalité, en raison du fait qu’il ne se reprocherait rien et qu’il serait arrivé au pouvoir avec des « mains propres », l’actuel locataire de Sekhoutoureya laissait s’échapper une lueur d’espoir quant à la désintégration, au démantèlement et à l’interpellation de l’ensemble des réseaux qui pillent l’économie du pays. Hélas, à la surprise générale, le Président Condé a non seulement reconduit ces mafieux au sommet de l’État, mais il les a aussi et surtout promu à des postes extrêmement sensibles de son pouvoir, au grand dam de ses compagnons de lutte.
– Mais que s’est-il vraiment passé ?
– Comment expliquer ce revirement à 360° de l’homme fort de la Guinée ?
On peut encore se rappeler de l’opposant historique qu’il fut quand il accusait ouvertement certains hommes puissants de l’ancien régime de « prédateurs économiques« .
Qualifiés hier de criminels économiques, aujourd’hui ils sont pour la plupart bercés et entretenus par le régime Condé ; ce paradoxe était absolument imprévisible et inimaginable. C’est ainsi qu’on peut voir et à nos dépens, l’ex Premier Ministre Cellou Dalein Diallo investi du pouvoir constitutionnel, celui du « Chef de file de l’opposition » assorti d’une importante allocation budgétaire évaluée à 6 milliards FG. L’autre ancien Premier Ministre Sidya Touré bombardé « Haut Représentant du chef de l’État ». Tibou Kamara, pendant un moment exilé politique et opposant virulent, aujourd’hui « Conseiller personnel du PRG » et « homme des situations complexes ». Le charismatique et tout puissant Kassory Fofana comme « Ministre d’Etat et Président du Conseil Présidentiel pour l’Investissement »; Bouréma Condé, Kabèlè Camara, Kiridi Bangoura, Baidy Aribot, Malick Sankhon, Alpha Ibrahima Keira, Makalé Camara; … Pour ne citer que ceux-ci.
Si on considère ces points, on ne peut que s’interroger sur l’intégrité et la conviction du Président Condé.
Ces faits sont-ils une manifestation de sa bonne foi à l’endroit de ces anciens adversaires dans l’optique du pardon et une réelle ambition de partager son pouvoir avec tous les citoyens guinéens ? Ou bien ce serait une machination politicienne à l’effet d’avoir une mainmise sur ceux qu’il appelle « apprentis politiques et petits comptables« . A propos, on dit souvent d’ailleurs et à juste titre : « Il vaut mieux avoir son ennemi près de soi« , c’est le principe de la fonctionnarisation de l’opposition; ou devrait-on tout simplement intégrer à notre analyse, l’hypothèse que le président Condé serait pris en otage par ceux-là mêmes qui ont empesté le régime Conté qu’il avait tant combattu ?
En tout état de cause, il est difficile d’avoir une visibilité nette quant aux motivations réelles du Président Condé, il est par conséquent difficile de répondre à toutes ces questions; l’idéal ne serait-il pas justement d’exposer simplement les problèmes et de laisser le droit de réponse absolu au peuple ?
Par ailleurs, les motivations qui animent l’opposition dite républicaine incarnée par son chef de file, Elhadj Cellou Dalein Diallo s’éclaircissent davantage chaque jour.
En effet, les stratégies utilisées par celle-ci sont, pour la plupart jugées catastrophiques avec des résultats macabres et inféconds à l’aune de leurs militants; toute proportion gardée. Il est assez curieux de voir Cellou Dalein tenir des propos va-t-en-guerre du genre : « Monsieur Alpha Condé n’aime pas la paix, il n’aime pas la sécurité pour les citoyens, il n’aime pas l’ordre. Mais, on va l’aider à faire le désordre comme c’est ce qu’il veut » comme il le disait tout récemment.
À l’analyse, pour ceux qui sont imbus de la politique guinéenne, il est un secret de polichinelle que le chef de file de l’opposition ne cherche qu’à conforter son statut d' »unique alternative » à la gestion Condé en tentant, à travers son pouvoir de nuisance, de paralyser l’ensemble des activités à l’effet de démontrer l’incompétence notoire d’un régime aussi moribond que celui-ci.
Là encore, mauvaise foi ou mépris vis à vis du peuple ? De toute façon, l’opposition a bien un rôle à jouer dans le développement social, politique et économique d’un Etat. Mais au regard des démarches entreprises par celle-ci jusque-là, nul doute que nous sommes encore très loin du compte. Toutefois, l’hypothèse d’une opposition qui cache les limites de la gouvernance Condé n’est point à exclure. Car, nul n’ignore que certains chefs-d‘Etat, à l’image de Sarkozy, de Poutine ou de Gbagbo, ont besoin des situations de crise pour exprimer leurs talents d’hommes politiques avertis, pour cacher leurs médiocrités dans le management de leurs Etats.
La réalité de la pratique politique en Guinée laisse planer l’ombre d’un guet-apens Cellou Dalein Diallo-Alpha Condé, au grand dam des citoyens guinéens.
Dans tous les cas, on est en droit de nous demander si la Guinée n’est pas pris en otage par des gangsters politiques qui dictent leurs lois à tout bout de champs.
CHERINGAN