Guinée-mali : si proches et si différents

Publicité

La forte mobilisation qu’a connue Bamako le 8 juin 2020, à l’initiative de l’imam Dicko n’est pas passée inaperçue à Conakry. Des slogans comme ‘’le Mali et la Guinée sont deux poumons d’un même corps’’ ou encore ‘’Port Autonome de Conakry, port naturel du Mali’’ ont foisonné dans le temps pour traduire la fraternité exceptionnelle entre le Mali et la Guinée.

Si les deux pays sont liés par l’histoire et la géographie, leurs évolutions sont complètement différentes.

«Un jour, il y a eu coupure de courant à Bamako, les Maliens sont sortis avec des pancartes et on dit Bamako n’est pas Conakry. Aujourd’hui, les Guinéens peuvent dire Conakry n’est pas Bamako

Ces propos sont du Président Alpha Condé au sommet de l’UA-l’UE de 2018 à Abidjan. Le guinéen Alpha Condé, alors président en exercice de l’Union Africaine avait égratigné son voisin malien en faisant le parallèle avec la fourniture d’électricité dans leurs capitales respectives. La Guinée et le Mali, ça date du Gondwana. Avec l’histoire, ils se sont retrouvés dans des ensembles géopolitiques communs comme l’empire du Mali qui avait sa capitale en Guinée actuelle, ou encore l’Afrique Occidentale Française. A leurs indépendances, les deux Etats ont fondé une Union éphémère avec le Ghana de N’krumah avant de se cantonner chacun derrière ses frontières respectives.

Quid de la ressemblance sociologique ? En effet, les deux pays sont tous majoritairement peuplés de musulmans avec des communautés identiques comme les Malinkés, les peulhs ou les Marakas. Salif Keita est aussi idolâtré en Guinée que Bambino l’est à Bamako. Nous naviguons sur le même fleuve Niger. Tous ces éléments font de la Guinée et du Mali des pays frères que seul le «méchant colon » avait réussi à diviser pour mieux exploiter.

Cependant, la grandiose manifestation du 8 juin 2020 de Bamako a fait réfléchir à Conakry sur la différence fondamentale et nodale qui différencie néanmoins les deux pays au-delà de tous ces éléments cités ci-haut qui les rapprochent tant. Elle a rappelé aux uns et aux autres que les Maliens ont le sens de la nation et du patriotisme plus que leurs frères de la Guinée. Le Guinéen va toujours se demander comment un prédicateur islamique, en l’occurrence Mahmoud Dicko, peulh, peut faire vaciller le pouvoir d’un Bambara, l’ethnie majoritaire du pays ? Parce qu’au Mali, le haut conseil islamique qu’a dirigé Mahmoud Dicko, est un organe indépendant qui ne connait ni peulh, ni Bambara, ni Koröborö. Tant dis qu’en Guinée, les membres du Secrétariat Général des Affaires religieuses sont des fonctionnaires nommés par le pouvoir central. Même l’élection de l’imam rathib de la grande mosquée de Conakry se joue sous la supervision du Chef de l’Etat. Ce qui marque davantage la défense entre Guinéens et Maliens est l’implication ou non des hommes de foi dans la dénonciation des tares de leurs pays respectifs. L’imam Mahmoud Dicko qui est un ancien proche du président IBK,  a acquis sa notoriété et sa «légitimité» dans la dénonciation des écarts de gestion de son pays sans prendre parti. ‘’L’imam du peuple’’ comme l’appellent aussi bien ses disciples que ses partisans, Mahmoud Dicko ne mâche pas ses mots lorsqu’il matraque l’homme fort du palais de Koulouba.

« Mon problème, c’est ceux qui ont trahi le peuple malien. C’est à eux que je m’adresse. Mon combat, c’est d’abord contre eux » ou encore  «Le problème du Mali est d’abord un problème de gouvernance. C’est ça qui nous a amenés dans cette situation » disait-il dans un meeting tenu le 10 fevrier 2019 à Bamako où il s’est frontalement attaqué au premier ministre d’alors, Soumeylou Boubeye Maiga, qui selon lui, couvrait les chausseurs Dogons dans le massacre des peuls au centre du pays. Il va jusqu’à refuser les 50 millions CFA que va lui proposer le gouvernement pour l’organisation du meeting. Une telle probité morale est assez rare en Guinée pour être citée.

Chez nous, les plus grands manipulateurs de l’opinion publique se trouvent justement dans la sphère religieuse. Paradoxale non ! Eux qui auraient dû dire la vérité.

Le clivage entre guinéen est tel que tout imam qui tient ses vérités aux autorités est tout de suite calomnié et catalogué comme étant de l’opposition. La réprimande peut aller jusqu’à la fermeture de sa mosquée ou l’interdiction pour lui de tenir des sermons. C’est ce qui est arrivé à Elhadj Yaya CAMARA, ancien imam de la mosquée de Lambanyi Kinifi. Son crime ou plutôt ses crimes, avoir reçu dans sa mosquée de Sonfonia Gare l’opposant Cellou Dalein Diallo en…2014.

Blâmé par la ligue islamique, il est alors muté à la mosquée de Lambanyi  où quelques semaines après il affirmera être opposée au projet de la Nouvelle Constitution. Il est alors suspendu de prêches et de sermons sur toute l’étendue du territoire guinéen. Qu’ont fait ses fidèles qui priaient derrière lui, rien. Qu’a fait les 90 % de musulmans que comptent le pays, rien. Personne n’a bougé le petit doigt. Ni pour l’imam, encore moins pour la Constitution.

En Guinée, les imams sont des griots du régime en place. Ils sont prêts à faire des ‘’prières’’ pour ‘’la santé et longévité’’ d’un Président de la République.

Quand la barbarie a atteint un autre niveau, Mon Seigneur Robert Sara, Archevêque de Conakry sort de sa réserve et fait une timide déclaration pour condamner X et Y. Sa timide réaction fait l’effet d’un tonnerre au milieu du calme tant le silence de ses coreligionnaires est assourdissant.

Parce qu’en Guinée, la culture de l’ethnocentrisme est cultivée depuis le berceau. Nous grandissons en voyant nos parents dire ‘’méfiez-vous de telle communauté, ils sont vauriens, telle autre baigne dans la traitrise, etc.’’

La fibre ethnique prend le dessus sur tout : la loi, l’amour de la patrie, l’Etat de droit, la répartition de la richesse nationale, et même la foi.

Il n’y a pas que sur l’intégrité des hommes de foi que le Mali se démarque de la Guinée. Il en est de même dans la construction de nos Etats, notamment dans leur marche vers la démocratie. Si les deux Etats ont connu la présence d’hommes en treillis à leurs têtes, les motifs et les conditions de leur arrivée diffèrent d’un Etat à un autre.

Au Mali, l’irruption de l’armée sur la scène politique se fait dans un contexte de crise. Lorsque le 19 novembre 1968, Modibo Keita est renversé, son pouvoir socialiste en place depuis huit ans plutôt ne tôlerait aucune démocratie. Il a déjà suspendu la Constitution et a dissout l’Assemblée Nationale deux ans avant son arrestation par le lieutenant Moussa Traore. Ce dernier sera à son tour renversé par le Lieutenant-Colonel ATT le 26 mars 1991 après 3 jours d’émeutes qui ont fait 150 morts et des milliers de blessés.

Ironie de l’histoire, c’est au mois de mars 2012 qu’ATT est lui-même renversé par Amadou Haya SANOGO,  à la tête d’une poignée de militaires, qui reproche au Président sortant sa passivité dans la lutte contre la rébellion du nord et les mouvements djihadistes naissants. Quoi qu’indéfendables, et hormis celui de Moussa Traoré, on peut comprendre la logique qui a sous-tendu ces militaires à en vouloir à leur commandant en chef en fonction des circonstances de l’histoire du Mali.

Qu’en est-il de son petit voisin du sud ? L’armée guinéenne n’a jamais pris le flambeau de la libération du pays. Elle a toujours fait des coups d’Etat contre les dépouilles des anciens présidents.

Pendant les 26 ans de règne de Sékou Touré, l’armée n’a osé affronter le syndicaliste malgré le manque criard de démocratie qui existait à l’époque. Il a fallu attendre le décès du grand Syli pour qu’elle se rue sur un pouvoir qui était déjà dans la rue. Le 23 décembre 2008,  le CNDD ne déroge pas à la règle et prend le pouvoir après la mort du général Conté la veille.

Ironie de l’histoire, l’armée fait un coup d’Etat contre elle-même. Et depuis 2010, elle est devenue le pilier du régime controversé d’Alpha Conde qui s’appuie sur la mollesse de l’armée pour faire avancer ses pions, quitte à mettre en danger les fondamentaux même de l’existence d’une nation.

Comme on le dit, les moutons se promènent ensemble, mais ils n’ont pas le même prix. Le Mali a beau être un pays désertique en guerre, il n’en demeure pas moins qu’il s’en sort que la Guinée paisible et arrosée.

Alpha Oumar DIALLO

Publicité