Musée de boké : une institution mythique oubliée des rentes minières

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T ransformée en musée en 1971, l’institution culturelle agonise dans une vieille bâtisse coloniale  construite en 1878. Communément appelé le ‘’fortin’’ à cause  d’une muraille en pierre taillée qui ceinture l’ensemble du complexe militaro-administratif de l’administration coloniale française, flanqué à la rentrée de deux gros canons. Ce bâtiment conserve en lui seul toute l’histoire contemporaine de la ville de ‘’DEBOKE’’, qui signifie puise ce qui reste du vin.

Situé au bord du mythique fleuve ‘’le Rio Nuñez’’, dont il est relié par un sinueux chemin, qu’embrasse une muraille en pierre que traversait autrefois les esclaves détenus dans la cave du sous-sol du bâtiment.

La longue marche de l’histoire  du ‘’fortin’’                

Au XVIIIe siècle, des explorateurs portugais, belges et américains se seraient aventurés jusqu’à ses abords à la recherche de point d’ancrage pour établir des factoreries de commerce. Pendant la période précoloniale, la zone servit de point d’aboutissement des caravanes en provenance du Fouta Djallon, transportant marchandises et esclaves. Des relations sociales, culturelles,  et économiques  s’y établirent entre le Fouta et toute la région des ‘’rivières du sud’’. Pendant la traite négrière, le fortin devint un centre florissant de la traite négrière, des milliers d’esclaves partirent de cet endroit pour un ‘’voyage sans retour’’ vers l’Amérique.

De nombreuses factoreries de commerce y ont été construites par des commerçants européens après l’annexion de Boké en 1865 dans l’empire colonial français.

En 1868, un premier fortin a été construit sur un terrain cédé par le roi Doula des Landouma au commandant de la frégate la ‘’Tochaye’’ à travers un traité d’amitié et de commerce. En 1878, le fortin a été reconstruit et abritera le logement du commandant de cercle, les bureaux administratifs et une cave-prison en sous-sol. C’est de ce même endroit qu’est parti Réné Caillé le 27 Avril 1827 pour sa longue marche exploratoire le long de l’Afrique. Une stèle construite à cet endroit précis attire aujourd’hui le premier regard du visiteur au sein du musée.

Un berceau de trésors culturels emblématiques

En 1971, sous la première République, le bâtiment est restauré et transformé en musée régional. Il abrite de nos jours des œuvres d’art d’une valeur anthropologique exceptionnelle : le mythique ‘’Amantchoh’’ des Bagas ou le ‘’Bansonyi’’ des  Landouma, une divinité sacrée et vénérée jadis et toujours dans le panthéon local.

Le célèbre masque ‘’Nimba’’  ou la déesse de la fertilité, emblème de notre Etat, en effigie sur tous les actes administratifs, et cachetant nos billets de banque.

Le ‘’Kirinyi’’ ou ‘’le téléphone indigène’’, un instrument de communication traditionnelle aux sonorités éblouissantes.  Des dizaines d’autres pièces artistiques d’une originalité exquises, enveloppés de poussière et dans un état de dégradation très poussée.

La grande oubliée des rentes minières de Boké

Oublié par l’Etat, désintérêt des mécènes en quête de clientélisme populaire, manquant de personnels et de moyens, cette institution fondatrice de notre histoire moderne, la toute première implantation coloniale de la France en Guinée, le premier bâtiment administratif de la France en Guinée, porte d’entrée historique des terres du Kakandé, ancien port négrier, moisie et agonise dans une solitude crevante, à quelques pas du centre administratif de Boké.

Nargué par les navires minéraliers, qui longent au quotidien le Rio Nunez, emportant des millions de tonne de bauxites extraites sur le sol de Boké. L’unique part qui lui revient de la bauxite extraite sur son sol est cette dense poussière qui garnit le bâtiment du musée et toutes les œuvres  qu’il recèle.

Cette couche de pellicule rouge recouvre tristement toutes les pièces comme un cortège funèbre vers leur disparition prochaine. Le musée de Boké se meurt, comme d’ailleurs tous nos musées et lieux de mémoire dans l’indifférence générale. Aucune référence à cette institution dans les plans de développement locaux, ainsi que dans tous les projets sociaux économiques couverts à coût de milliards par les fonds du FODEL.

Sa sœur jumelle dans l’île de Gorée (Maison des esclaves) comme lieux de mémoire des tragédies de l’Histoire africaine brille par le nombre et la notoriété de ses visiteurs. Cette dernière, vitrine du Sénégal, reçoit entre 3000 et 6000 visiteurs par jour, générant une taxe de 500 francs CFA (0,76 £) pour chaque visiteur foulant le sol de Gorée. Une source de revenu qui procure plus de 126.000 £ par mois et près de 2 millions d’euros par an à la collectivité locale. Le secteur du tourisme engendre plus de 100.000 emplois directs et indirects au Sénégal.

La mise en valeur de ce musée de Boké, d’une valeur historique, touristique et mémorielle plus emblématique que l’ile de Gorée octroierait plus de revenus à la collectivité de Boké que les ristournes du FODEL qui font tant de vagues sociaux et de tambours médiatico-politique.

Barry Oumar

Doctorant en Sciences Politiques à l’Université de Lyon, Chercheur sur les politiques d’extraction minière et les enjeux de développement dans les zones minières

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