Guinée : que prépare le musèlement de la presse ?

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La liberté de la presse, baromètre des libertés fondamentales, est un indicateur de l’exercice du jeu démocratique dans un pays. En République de Guinée, les lois L 002, L 003, sur la liberté de la presse, sont celles qui garantissent l’exercice du métier de journaliste. La liberté d’expression est fonction de l’évolution politique du pays. De la presse du parti-Etat à la libéralisation des ondes, des violences faites aux stations de radios privées (irruption de gardes présidentielles au sein de Liberté Fm, Familia Fm…) à l’embastillement des journalistes, le parcours des médias en Guinée parait comme une scène de film…

 Si aucun journaliste, dans l’exercice de son métier, n’est emprisonné sous le régime du président Alpha Condé, force est de constater que les relations entre la presse et le chef d’Etat guinéen  ne sont pas les meilleures du monde. Alpha Condé, pour plusieurs journalistes,  aurait toujours tenu des propos jugés autoritaires ou méprisants contre les  médias.

Insultés, molestés, blessés, par des gendarmes, les journalistes  guinéens ont passé une journée inoubliable  ce 31 octobre 2017, à la gendarmerie de Matam, à Conakry.

Accusé de diffuser une fausse rumeur faisant cas d’un éventuel décès du  chef de l’Etat, Aboubacar Camara, administrateur général du groupe de presse Gangan TV/radio,  a été inculpé par le parquet de Mafanco. En garde à vue, dans les locaux de la gendarmerie de Matam, en            attendant d’être déféré à la Maison centrale de Conakry, Aboubacar Camara a tout de même été libéré sous la pression des journalistes de la presse privée et des associations de presse.

Toute la journée, plusieurs dizaines de journalistes étaient au rendez-vous dans la cour de cette gendarmerie en vue d’exprimer leur solidarité à leur confrère. Une mobilisation qui n’était pas du goût des gendarmes. Il a été reproché aux journalistes d’avoir campé dans la cour de l’escadron de  la gendarmerie de Matam. Ces journalistes guinéens auraient  été victimes de mesures répressives par les forces de l’ordre : des bastonnades à l’aide de ceinturons, des coups de matraques, des coups de pieds…

Pour décrisper la situation à la gendarmerie de Matam, l’ancien ministre et journaliste, Boubacar Yacine Diallo,  vice-président de l’Institution Nationale Indépendante des Droits Humains, fait usage de sa crédibilité et de son estime pour calmer les journalistes.

En 2002,  Boubacar Yacine Diallo, lui-même journaliste, a été jugé et condamné pour avoir publié la démission d’un officier de l’armée guinéenne qui avait par la suite désavoué son souhait de démissionner. En dépit du climat d’acrimonie avec les officiers gendarmes de l’époque, il bénéficia de la clémence du président Lansana Conté. Depuis cette époque, les journalistes, guinéens et de Reporter Sans Frontière, se souviennent des actions du ministre de la Sécurité Koureissy CONDE et de son collègue feu Alseny Réné Gomez, ancien ministre de l’administration du territoire.

2010, l’espoir renait chez les hommes de médias : un président civil, opposant irréductible à tous les systèmes de gouvernance précédents, est élu. Depuis les premières heures de la gouvernance d’Alpha Condé, la liberté de la presse connait des régressions et de profondes violations.

À quatre mois de l’élection présidentielle d’octobre 2015, la présidente de la Haute autorité de la communication(HAC) , Martine Condé, ancienne porte-parole du RPG Arc-en-ciel (le parti au pouvoir), avait invité les médias à « s’abstenir de l’usage des genres d’opinions tels  l’éditorial, le commentaire, la chronique, le billet » pendant la période allant « du 1er juin 2015 à la veille de l’ouverture de la campagne officielle pour l’élection présidentielle du 11 octobre 2015 ».

Face au tollé que cette invite a suscité, notamment dans le monde des médias, la présidente de la HAC a revu la copie de sa décision avant de republier la version corrigée tout en précisant que les médias devaient « faire preuve de professionnalisme et de responsabilité dans l’usage des genres d’opinions ».

Les articles, parus à l’époque dans la presse, avaient valu à certains journaux (La Logique, La Croisade et Les Echos de Guinée) de recevoir chacun une mise en demeure de la HAC. Le Lynx et la radio Espace FM ont reçu un avertissement.

Les activistes des droits de l’homme, et autres passionnés de la liberté d’expression, auraient commencé à se poser des questions sur « un agenda caché » du président Alpha Condé. Le doute étant entretenu sur un éventuel troisième mandat en 2020, ne faut-il pas s’attendre à un effet de surprise à l’approche des prochaines élections présidentielles ?

Les manœuvres d’intimidations et de musèlement de la presse viseraient, pour plusieurs journalistes, à préparer une action psychologique.

 Par  Mohamed Bah

 

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