Situation tchadienne : bissiriou kandjoura apporte des précisions sur la notion du coup d’etat

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En lisant la déclaration du Conseil Militaire de Transition (CMT), nous constatons que sa mise en place est justifiée par des impératifs tels que la défense du territoire, de l’indépendance nationale, de l’unité nationale et de la continuité de l’Etat dans une situation de guerre contre le terrorisme et les forces du mal …

Comme Napoléon en 1851, le Conseil s’abstient de parler de « coup d’Etat » contrairement à leurs détracteurs. Avant toute chose, nous voulons apporter des précisions liées à la notion même de coup d’Etat. De quoi s’agit- il ?

En effet, la signification de cette notion peut être appréhendée suivant deux périodes dans l’évolution des régimes politiques. La première, renvoie à l’ancien régime (au 17e s) et la seconde, est celle qui se situe à partir de la révolution française (au 18e s). Si dans la première période, la notion de coup d’Etat était considérée comme étant une manifestation de la raison d’Etat, un acte légitime (I), s’agissant de la seconde période, la notion a perdu graduellement sa signification d’acte légitime, pour être enfin qualifié, d’acte illégitime (II).

I-LE COUP D’ETAT, UN ACTE LEGITIME

Dans sa conception classique, le coup d’Etat était l’action menée par les gouvernants visant à garder leur pouvoir. Il était considéré comme étant la manifestation de la raison d’Etat. Ainsi, Gabriel Naudé décrit les coups d’État comme des actions extrêmes, décisives, violentes, dans lesquelles il est question pour le prince de mener à bien une situation, de sauver l’État, de sortir d’une urgence (R. NIGRO, Quelques considérations sur la fonction et la théorie du coup d’état, Collège international de Philosophie « Rue Descartes » 2013/1 n° 77, pages 69 à 81. Voir p. 75). Dans ces conditions, le coup d’État révèle, dans l’instant même de sa manifestation, le fondement du pouvoir, « il est l’apocalypse de son origine » (L. MARIN, « Pour une théorie baroque de l’action politique », in G. NAUDE, Considérations politiques sur les coups d’États, Les Éditions de Paris, Paris, 1988, p. 10). A cette époque, le recours au coup d’Etat était beaucoup plus toléré. C’était un acte légitime voir même légal, en ce sens qu’il avait comme but la sauvegarde d’un intérêt public : la raison d’Etat. La sauvegarde de l’Etat prime sur tout, y compris le respect des normes juridiques et sociales. Le recours au coup d’Etat était donc considéré comme un acte nécessaire, légitime et normal. C’est la raison pour laquelle, pendant l’ancien régime, le coup d’État n’est jamais interprété comme une insurrection, un désordre qui fait irruption dans le fonctionnement « normal » de l’État ( R. NIGRO, op.cit) . Tout au contraire, le coup d’État au XVII e siècle est une réaction contre le désordre . Ce sont des nécessités qui réclament le recours au coup d’État. Ce qui est à la base de l’État d’exception et du coup d’État est le concept de « nécessité » : Necessitas legem non habet (R. Nigro, op.cit) . La nécessité pourrait donc justifier la violation à la règle, le recours au coup d’Etat. Cette justification est -elle toujours admissible dans la conception moderne en vertu de laquelle, le coup d’Etat est considéré comme étant un acte illégitime, une violation de l’ordre constitutionnel établi ?

II-LE COUP D’ETAT, UN ACTE ILLEGITIME

L’évolution des régimes politiques et des sociétés a transformé la signification classique de la notion du coup d’Etat. Ce processus implique l’avènement de la conception moderne du coup d’Etat à travers la révolution Française. Tout d’abord avec cette conception, le coup d’État n’est plus un moyen du prince lui permettant de garder son pouvoir. Mais, « l’acte qui remplace les gouvernants et le souverain, l’acte qui fait tomber la tête du roi, l’acte qui introduit une rupture, une discontinuité dans l’exercice du pouvoir. De ce point de vue, coup d’État et révolution ont en commun différents points, partagent différents aspects. Ils questionnent, ils mettent en discussion l’ordre constitutionnel et juridique » (R. NIGRO, Op.cit) . Partant, le coup d’Etat constitue une rupture, une infraction à l’ordre constitutionnel établi, un acte illégitime. Le passage à une conception du coup d’État comme acte illégitime commence avec John Locke et la discussion qu’il introduit de l’usurpation et de la rébellion ( J. Locke, Le deuxième traité du gouvernement, PUF, Paris, 2007, §197, §§226-227 ). Pour Locke, « l’usurpation est le changement du prince ou du gouvernement sans qu’il y ait transformation du pouvoir législatif. La rébellion met en cause le pouvoir législatif ».

À partir de Locke, donc, le coup d’État va acquérir la marque d’un acte illégitime. Mais, cette conception n’est-elle pas aujourd’hui dépassée et remise en cause ? Nous pensons qu’elle est bien remise en cause, pour au moins deux raisons principales. La première est liée à l’inefficacité du régime juridique applicable et à la sanction des auteurs de la violation de l’ordre constitutionnel établi : coup d’Etat. Certes, on peut admettre l’existence des condamnations qui ont souvent été accompagnées du souhait ou de l’exigence d’un retour à la démocratie (J. D’ASPREMONT, « La licéité des coups d’Etats en droit international », in l’Etat de droit en droit international, SFDI, Paris, Pedone, 2009, pp. 123-142, p. 125-127), mais ces mesures sont inefficaces et ont montré leur extrême limite. Il faudrait aller au-delà, en engageant pourquoi pas, des poursuites pénales effectives au plan national, régional et/ou international contre les auteurs de la violation. Tel n’est donc pas la réalité aujourd’hui, on LAISSE FAIRE ET ON LAISSE PASSER COMME SI C’ETAIT NORMAL ET LEGITIME. La deuxième raison qui expliquerait les limites du caractère illégal du coup d’Etat, est l’invocation récurrente de la NECESSITE pour justifier l’acte illégal, afin de pouvoir le LEGITIME par la suite.

Cette démarche peut intervenir dès la prise du pouvoir par les auteurs et l’acte illégal pourrait par la suite être légitimé par le peuple. C’est ainsi que d’un « point de vue historique, et y compris dans l’époque contemporaine, le coup d’État a été l’un des moyens les plus fréquemment utilisés pour accéder au pouvoir  » (J. F. LOPEZ, Militares contra el Estado : España siglos XIX y XX, Madrid, Taurus, 2003, 1e éd., 303 p., p. 245).

Finalement, que reste-t-il de la définition du coup d’Etat : un acte légitime et légal ? C’est sera alors la thèse selon laquelle, il y’aurait une SEULE ET UNIQUE CONCEPTION : le coup d’Etat, un acte légitime et légal (sachant bien la distinction qu’il y a entre légitimé et légalité).

Bissiriou Kandjoura,

Ancien ATER, Enseignant chercheur en droit – Université Paris Saclay

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