Que doit-on retenir du face à face alpha condé vs journalistes rfi, le monde et tv5

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L a semaine qui vient de s’écouler a été riche en actualité et vive en émotion. Entre les crises sociales ‘’intempestives’’ enchevêtrées aux revendications politiques, tout cela couronné par une crise institutionnelle sans précédent. Les médias n’ont guère manqué de gros titres. Mais de tout cela, une seule actualité a ravi la vedette aux autres. Celle-ci est relative à l’entretien explosif que nos confrères des médias RFI, Le Monde et TV5 ont accordé au Chef de l’État guinéen. Au terme de l’entretien, pour ceux qui l’ont suivi en direct et procédé au décryptage, les sentiments des Guinéens, vingt-quatre heures après, restent très contraster. Pour certains, la prestation du numéro 1 guinéen est indigne d’un président de la république. Pour les autres, la posture de « nationaliste » que le président professeur Alpha Condé a prise face à l’ancien colon, les rassure quant au choix porté sur l’homme.

Cette lecture que font les Guinéens, aussi bien les tabloïds que la grande populace du pays, sur la qualité de la prestation du président Condé est, ma foi, évocatrice du niveau assez médiocre du débat public dans notre pays. Encore une fois de plus, le peuple de Guinée se retrouve piégé dans des débats souterrains qui n’apportent aucune valeur ajoutée à sa qualité de vie.

Cet entretien, à le suivre de plus près, on se rend bien compte avec quelle superbe le Chef de l’État a réussi à esquiver les « vraies questions » qui portaient sur les différentes crises qui gangrènent sa gouvernance. Ces questions restées sans réponses étaient relatives aux crises institutionnelles voire structurelles que traverse notre pays, à la paupérisation du peuple de Guinée et à notre économie nationale déficiente, aux questions des Droits de l’Homme notamment le sulfureux dossier du 28 septembre 2009, à l’immigration et au chômage des jeunes, à la fracture mémorielle ou encore au sujet stratégique de la gestion des ressources notamment minières, j’en passe.

COMMENT EXPLIQUER LA TACTIQUE OFFENSIVE DU PR ALPHA CONDÉ ?

Quand on se met à relire l’interview, avec un peu plus de recul, deux choses peuvent apparaître. Premièrement, l’équipe de communication du président Condé n’a presque pas travaillé cette énième ‘’sortie ratée’’ du premier magistrat du pays. Deuxièmement, parce que la gouvernance actuelle du Pr Alpha Condé ne lui donnait point d’éléments pertinents, pouvant l’apporter une certaine sérénité à l’effet de mieux évacuer les questions. Entre ces deux aspects, une autre lecture s’impose. Le manteau de « nationaliste » qu’Alpha Condé a arboré, pourrait toutefois, s’avérer nécessaire. Cela, dans la mesure où il compterait rassurer et mobiliser autour de lui un pan important de la Guinée, en l’occurrence les nostalgiques de la ‘’révolution’’, les nationalistes ou les actuels militants de l’anti-impérialisme qui pour la plupart, sont des éléments de ses « anciens bastions ».

En tout état de cause, bien que sa prestation fut très loin du passable, l’entêtement du président Condé à imposer aux journalistes français les termes de l’entretien, étaient une stratégie « nécessaire ». Parce qu’à coup sûr, à deux ans de la fin de son mandat, s’il se remettait absolument au questionnaire proposé, il aurait honteusement perdu. Cela, à la fois sur les plans national et international.

COMMENT EXPLIQUER LA POSTURE DES JOURNALISTES FRANÇAIS ?

La tactique amorcée par nos confrères français était, au regard du contexte du pays, tout à fait prévisible. D’abord, ils commencent par le caresser avec les exploits d’un Guinéen, champion du monde français. Ensuite, il l’enfonce sur des questions relatives à l’économie « la Guinée n’a pas décollé … », aussi le chômage estimé de manière rocambolesque à 80% des jeunes ; puis il le malmène sur le sujet intempestif des Droits de l’Homme, de la réconciliation nationale et le retard accusé dans la tenue du procès du 28 septembre. Tout cela couronné par la fameuse question du troisième mandat. Tel un marbre, le président guinéen est resté camper sur ses bottes, à aucun moment dans ses propos, il n’a daigné donner des réponses rassurantes à chacune de ces questions. Il les a toutes battues du revers de la main. Pour cela, il a opté pour une tactique plutôt offensive. En interpellant les journalistes sur la nécessité de dire la vérité sur les relations guinéo-françaises, il s’attaque directement au pauvre Emmanuel Macron, président de la république française. Car de son point de vue, ce dernier, à l’instar de toute la nouvelle génération française, pourrait ne pas connaitre des aspects importants de cette relation qui ne fut pas « un long fleuve tranquille ». Pour lui, pendant que son pays se redresse, « ces journalistes français sont venus, comme à leur accoutumé, désinformer le peuple de Guinée ».

Mais, revenons à la tactique de nos confrères. De tous les reproches que l’on peut opposer au régime RPG_arc-en-ciel (parti au pouvoir ndlr), on ne pourra jamais dire, de manière certaine, que le président Condé est influencé par telle ou telle autre puissance. Sur un plan purement stratégique, bien que la France soit indubitablement le premier partenaire économique de la Guinée, le numéro 1 guinéen a tout de même, réussi à s’affranchir du joug de l’ancien colon. Cet argumentaire trouve son illustration dans l’intelligence tactique que l’opposant historique a eu, dans le partage des ressources incommensurables du pays.

En effet, à la question des confrères français relative à l’octroi d’importants marchés au Chinois, surtout dans le domaine des mines dont la Guinée serait le premier fournisseur en bauxite, le président guinéen rétorque de manière fracassante, d’abord en expliquant que les mines ne sont pas l’avenir de la Guinée (il a insisté sur l’agriculture où des paysans guinéens « analphabètes » excellent dans l’utilisation des TIC pour effectuer des commandes d’engrais ou de tracteurs via leurs mobiles ndlr), ensuite il est revenu sur comment les ressources du pays sont reparties entre d’importantes puissances mondiales notamment les USA, la Chine, la France, la Russie, l’Angleterre, l’Inde, Abu-Dhabi, et maintenant la Turquie ( qui se positionne dans cette guerre stratégique à travers les BPT, la coopération et la concession controversée d’une partie du PAC ndlr ) …

Ce tiraillement montre, de plus en plus, les difficultés que l’Elysée rencontre dans le contrôle du locataire de Sekhoutoureya. On peut se rappeler de l’affaire Bolloré qui, ma foi, fut le premier coup d’avertissement suivi d’un long tintamarre médiatique. Maintenant, les groupes de pression français engagent officiellement la guerre de communication contre le timonier de la Guinée à travers la publication de l’ouvrage intitulé « Mémoire collective, une histoire plurielle des violences politiques en Guinée » ; par rapport à cet ouvrage, en restant silencieux sur le contenu, on peut bien s’interroger sur l’opportunité d’une telle publication. Surtout en cette période de crises perpétuelles où les Guinéens exigent davantage de justice sociale. Les hostilités étant ainsi amorcées, elles ne pouvaient que s’intensifier à l’occasion d’un tel entretien.

Donc pour boucler cette sous-partie, cet entretien réalisé au palais Sekhoutoureya corrobore la tendance d’une guerre stratégique entre Conakry et Paris.

« VOUS NE CONNAISSEZ PAS LA GUINÉE »

Dans tout l’entretien, le pan qui nous permet d’entrevoir l’hypocrisie dont fait montre le principal protagoniste de l’interview, est ce petit passage. Alpha Condé accuse ouvertement les journalistes français d’ignorer le vécu de son peuple. Si cela est un fait, une question s’avère cruciale :

Pendant que les médias, de toutes catégories, foisonnent dans le pays et débattent chaque jour sur de vrais sujets, pourquoi avoir accepté de réaliser un entretien d’une telle importance avec des étrangers, de surcroit ceux que certains qualifient d’impérialistes, qui ignorent ou qui font fi des réalités guinéennes ?

En faisant de ses médias ses canaux de communication, à qui s’adresse –t-il en réalité ?

Alpha Condé déclare ne pas être complexé par des médias internationaux. Et pourtant, depuis qu’il a été élu président de la république, jamais il n’a daigné accorder un entretien d’une telle dimension aux médias de son pays. Il continue en affirmant que « le peuple guinéen n’écoute pas les médias, la grande majorité de mon peuple ne comprend pas le français (voilà encore une autre démagogie, quand il affirme avoir réalisé des prouesses dans le secteur de l’éducation) ». De ce point de vue, la question du public cible ne se pose plus. Car, dire qu’il s’adresse plutôt au peuple Français et aux puissants lobbies outre atlantique et outre méditerranée ne peut être qu’une redondance. Sinon, s’il voulait s’adresser au peuple de Guinée, les sujets qui intéressent ce dernier sont très patents et les médias pour les relayer, sont légion dans toutes les régions du pays.

QUI SONT LES VICTIMES DE CETTE GUERRE DE TITANS ?

Au sortir de toutes les considérations, à deux ans de la fin du mandat du président Alpha Condé, la seule question qui vaille la peine d’être posée est celle-ci :

A qui profite cette situation ou plutôt, qui sont ceux qui en sont victimes ?

En dehors des élucubrations inutiles et des guerres d’intérêt entre différents groupes de pression internationaux, une seule certitude demeure. Celle-ci est enchevêtrée à la précarité des conditions de vie du peuple de Guinée, celui-là même que le Chef de l’État entend appeler par « majorité silencieuse ».

En 2010, Alpha Condé avait réussi à résumer en une maxime, devenue célébrissime, la situation réelle de la Guinée : « j’ai hérité d’un pays et non d’un État ». Alors depuis-là, que se passa ? Qu’en est-il de l’effectivité de l’État ? Au-delà des rapports trop bourgeois élaborés par les institutions capitalistes internationales ; comment vivent les Guinéens lambdas ? Comment se portent la Croissance et l’Économie du pays ? la Justice, la Sécurité, la Santé, l’Éducation, l’Eau, l’Électricité, les Infrastructures ? etc. Bref, voilà des problématiques qui intéressent la majorité dite silencieuse des Guinéens.

À ce jour, après soixante années de souveraineté nationale et huit ans d’exercice du pouvoir par Alpha Condé, l’opposant historique à la rhétorique spécifique qui avait eu, me semble-t-il, le temps de diagnostiquer les régimes antérieurs au sien ; des évidences aux contrastes nettement élevés demeurent :

  • Le chômage des jeunes reste endémique et les crises sociopolitiques deviennent récurrentes ;
  • L’enlisement de l’État à travers le massacre des institutions républicaines reste sans circonlocution ;
  • La mal gouvernance devient manifeste assaisonnée par une mauvaise répartition des richesses du pays à la fois sur les plans national et stratégique ;
  • L’ethnicisme, le communautarisme et la fracture mémorielle atteignent leur pic ;
  • La déliquescence de la justice à travers l’impunité, la corruption, le détournement et les scandales à ciel ouvert, devient le symbole d’un pouvoir moribond et qui peine à se reconstruire à partir de la base qui pourtant, constituait sa botte secrète.

Si Alpha Condé sort quasi vainqueur de cet honteux entretien, le peuple de Guinée, pendant ce temps, se meurtri et se fige, sans doute en raison des pesanteurs sociopolitiques, à un sort qui ne saurait être une fatalité.

 

CHERINGAN

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