Peut-on s’accorder sur une renaissance de la societe civile guinéenne ?

Publicité

Depuis un peu plus d’une semaine, la capitale Conakry et certaines préfectures de l’intérieur du pays vivent les conséquences néfastes de l’augmentation, de manière unilatérale, du prix du carburant par le gouvernement de la république de Guinée. Entre pénurie, fixation anarchique du prix du carburant au marché noir, la déstabilisation de grands axes au trafic important et la paralysie totale des activités dans maints endroits du pays ; ça va dans tous les sens et ceux ne sont là que quelques signaux par le truchement desquels, ces conséquences se manifestent.

Pour mieux cerner les implications liées à la situation qui prévaut en Guinée, il va falloir s’imposer une certaine rigueur en acceptant de poser le problème en  terme de concept et tenter de définir clairement le cadre qui doit seoir avec. Partant de là, le cadre demeurant toujours le même, il faut, dès lors, se fonder sur le postulat selon lequel : ‘’ la fixation du prix du carburant est tributaire non seulement de la fluctuation du prix du baril à l’international mais aussi des conditions sociale et économique propres à chaque Etat.’’

De ce point de vue, je tenterai, dans cette tribune, d’analyser cette prise de risque par le gouvernement du premier ministre Ibrahima Kassory Fofana. Aussi, j’essaierai de porter un regard critique sur les actions entreprises par les organisations de la société civile guinéenne.

En effet, le gouvernement précédant celui actuel, en l’occurrence le gouvernement de l’ex-PM Mamadi Youla, dans la perspective de satisfaire les points de revendication soumis par le SLECG à son autorité et de résorber définitivement la crise sociale déclenchée par les enseignants guinéens, ne pensait trouver son salut que dans une hypothétique augmentation du prix des produits pétroliers. Hypothétique, parce qu’à l’époque, ma foi, au regard des tensions vives et de l’atmosphère délétère qui seyaient, le gouvernement semblait tout à fait conscient de l’inapplicabilité et de l’inopportunité d’une telle décision.

Cet argumentaire sous-tend qu’à l’origine, la perspective de l’augmentation du prix des produits pétroliers n’était aucunement liée à une quelconque variation du prix du baril à l’international, ni à un quelconque déséquilibre macroéconomique. Sur ce dernier point, il faut le marteler avec vigueur, entre 2016 et 2017, le gouvernement n’a eu de cesse à vanter ses prouesses dans le cadre de l’équilibre macroéconomique qu’il aurait réalisé avec brio, de la croissance économique que la Guinée aurait générée et des conventions qu’il aurait signé avec des institutions financières internationales et d’autres partenaires économiques de notre pays qui sont souvent perçus, à tort ou à raison, soit comme des cautions de bonne gouvernance, soit comme une preuve d’oligarchisation de l’Etat, cela en raison de l’enchevêtrement des intérêts publics (État) à ceux des multinationales.

SI TANT EST QUE PROUESSE Y’EN A EU ET QUE LE GOUVERNEMENT YOULA N’AIT PAS OSÉ FRANCHIR LE RUBICON, ALORS POUQUOI LE PM KASSORY N’A-T-IL PAS, AU MOINS, DAIGNÉ ASSOCIER LES ACTEURS SOCIAUX À CETTE DÉMARCHE QUI, DU MOINS, ME PARAÎT ASSEZ SCABREUSE ?

Suite à la chute drastique du prix du baril à l’international, il avait été acté entre gouvernement, patronat et acteurs sociaux (syndicats et société civile) le maintient du statu quo à huit mille francs guinéens (8.000 GNF). Cela, quelques soient les fluctuations à l’échelle mondiale. Il avait aussi été admis que toute décision du gouvernement allant dans le sens de l’augmentation du prix du carburant, doit au préalable faire l’objet de concertation entre l’Etat et ses partenaires sociaux. Hélas, l’histoire retiendra que le régime actuel aura toujours brillé de par son impertinence et de par son irrespect face aux engagements qu’il prend.

Le gouvernement actuel, après son installation, à travers les tintamarres et les discours politico-économiques à la rhétorique rodée, s’est présenté comme « pragmatique et proche du peuple ». Le côté « proche du peuple » parce qu’étant pratiquement inintelligible à l’aune de la population, ne sera point traité dans cet article. Par contre, le côté « pragmatique », bien que nous restions encore amèrement sur notre faim, quelques actions, bien qu’infimes au regard des scandales qui pullulent à ciel ouvert, allant dans le sens de la lutte contre la corruption et le détournement, ont quand-même été posées. C’est fort de cette quasi-performance et de quelques actions tape-à-l’œil (assainissement improvisé et populiste de certains quartiers de Conakry) que, tenez bien, contre toute attente ; le samedi 30 Juin, tard dans la nuit, le gouvernement Kassory s’est offert le luxe de prendre un risque évident en augmentant de deux mille francs guinéens (2000 GNF) le prix des produits pétroliers. Cela, sans concertation aucune. Ce qui, de facto, a causé l’indignation du peuple de Guinée qui, à travers des manifestations spontanées un peu partout sur tout le territoire national, a éloquemment exprimé son mécontentement et sa désapprobation totale face à cet acte qu’il a, tout de go, jugé inopportun et injustifié.

Pour trouver une explication plausible à cette décision unilatérale du gouvernement, il faut s’intéresser à la démarche entreprise par certains acteurs indépendants de la société civile qui, imbus de leurs rôles de forces de proposition, ont élaboré des documents rédigés sous forme de mémorandum dans lesquels, ils invitent l’État à respecter scrupuleusement le statu quo sur le prix du carburant tout en le proposant :

  • De procéder à un réajustement de ces charges publiques et de diminuer, de manière considérable à l’aune des enjeux, les dépenses liées au fonctionnement de certaines institutions de la république chiffrées à coût de centaines de millions voire de milliards de francs guinéens par jour. En guise d’illustration, le fonctionnement de la présidence de la république en fait foi;
  • De supprimer purement et simplement certaines lignes accordées à moult services publics, régies financières et autres institutions inopérantes et dont l’existence n’est effective que sur papier. Pour cet autre cas, l’on se demande toujours et encore, quelle est la pertinence ou la nécessité de l’institution « Chef de fil de l’opposition » avec ses quatre cent millions de francs le mois ;
  • De faire de la lutte contre la corruption et le détournement, une réalité et non un théâtre public. Parce qu’en fait, nombreux sont des guinéens qui s’interrogent sur l’efficacité d’un Chef de gouvernement dont les gestions antérieures ne sont guère exemptes de lourdes suspicions de détournement de fonds publics. Pour ne citer que ceux-ci.

L’Etat de son côté, suivant l’imminence liée à l’exécution du ‘’ plan national de développement économique et social PNDES ‘’, tente, avec les moyens colossaux dont il dispose, de justifier l’opportunité et la nécessité d’une telle augmentation. Par la voie de son premier ministre, le gouvernement va jusqu’à préciser que la subvention du prix du carburant coûterait à l’État, près de 100 milliards de francs guinéens par mois. Au regard de notre budget, cette subvention représente une somme colossale devant, en principe, rentrer dans le cadre du financement des investissements publics porteurs de croissance avec la perspective évidente de booster de manière efficiente notre développement économique et social. Et si cette situation continue, il serait difficile voire impossible pour l’État de concrétiser les ambitions qui sont les siennes ; à savoir, l’émergence de la Guinee. Voilà donc, quelques arguments plus ou moins rationnels qui sous-tendraient cet ajustement qui, à l’échelon de l’État, reste la panacée pour le bien-être du Guinéen.

Pour atténuer les supplices liés à une telle démesure, le gouvernement Kassory compte opter pour une pédagogie devenue la marque déposée de ce régime. Celle-ci consiste à promettre et rien qu’à descendre des promesses mirobolantes. Cette fois-ci, ces promesses se font appeler : << mesures d’accompagnement à l’augmentation du prix du carburant>>. Pis, le gouvernement renchérit son discours en arguant que des gouvernements d’Etats voisins tels que le Mali, le Sénégal ou encore la Cote D’Ivoire ont procédé aux mêmes ajustements ; évalués en francs guinéens, ceux-ci se chiffreraient entre 10.000 à 11.550 GNF le litre à la pompe.

Du reste, ce qu’on ne dit pas assez, c’est que cette augmentation du prix des produits pétroliers est, en fait, une exigence du FMI à l’endroit de l’Etat guinéen dans la perspective d’un équilibrisme macroéconomique. En réalité, au sortir des élections locales, un gigantesque fossé s’est créé entre les dépenses publiques exorbitantes de l’Etat (des sorties d’argent chiffrées en des milliards de francs restent, à ce jour, injustifiées) et ses maigres recettes qu’il engrange avec moult difficultés. Hélas, ces quelques recettes, une fois recouvrées, souffrent indubitablement de détournements, de malversations et de corruptions notoires. Pendant ce temps, personne ne daigne nous préciser, combien coûte au pauvre contribuable guinéen, l’impunité du régime et la vie de patachon que mène le clan au pouvoir. Mieux, nul ne peut ignorer l’impact nuisible du détournement et de la corruption sur l’économie de notre pays. Pire encore, nul ne peut méconnaître la privatisation, au vu et su de tout le monde, des entreprises publiques et les rapports incestueux qu’entretiennent nos décideurs publics avec les gestionnaires des sociétés minières au grand dam de nos misérables populations.

Assurément, cette actualité témoigne, sans ambages, des tares et des lacunes de nos pouvoirs publics quant à la gestion qu’ils font de notre assiette fiscale. Elle témoigne en outre, du mépris qu’ont nos dirigeants vis à vis de la population à la base et dénude complètement leurs incapacités à trouver des solutions pérennes à nos problèmes.

Parallèlement à cette mauvaise gestion manifeste de la gouvernance Alpha Condé, la seule satisfaction que le peuple pourrait y trouver, c’est qu’il y a un certain retournement du stigmate en la faveur de la société civile guinéenne. La société civile, suivant le professeur John Kean, dans son essai « Civil society, definitions and approaches », s’entend comme : « un ensemble complexe et dynamique d’institutions non gouvernementales, protégées par la loi qui tendent à être non-violentes, auto-organisées, autocontrôlées et qui sont en tension permanente chacune avec les autres et avec les institutions gouvernementales qui encadrent, restreignent et rendent capables leurs activités ». Elle peut aussi être perçue comme toute forme d’opposition citoyenne à la manifestation de toute forme de tyrannie, d’oppression ou de totalitarisme à l’échelle de l’État ou des démembrements de celui-ci.

En Guinée, la vacuité du terrain des revendications sociales laisse suffisamment d’espaces à tous ceux qui estiment que notre peuple mérite qu’on l’affranchisse du joug de nos politicards.

Réellement, depuis le mardi dernier, une certaine société civile, me semble-t-il, dénuée de toutes visées intéressées est en gestation en république de Guinée. Celle-ci se veut républicaine et investie d’une légitimité populaire qui est celle qui consiste à défendre et de manière totalement désintéressée les droits du peuple Guinéen. Cette nouvelle société civile se fait appeler « les forces sociales ». Ces forces sociales s’entendent comme une synergie des forces de la société civile guinéenne ayant pour objectif premier, de mettre suffisamment de pressions, dans des conditions prévues par la loi, sur le gouvernement Guinéen dans le but que ce dernier revienne sur sa décision à l’effet de maintenir le statu quo des huit-mille francs guinéens comme prix du litre à la pompe.

A l’argument de l’État stipulant qu’une augmentation du prix du carburant est effective dans certains pays limitrophes, il va falloir l’opposer l’autre argument selon lequel, d’autres États limitrophes du nôtre tels que : le Liberia et la Sierra Leone ont réussi à maintenir le prix de leurs produits pétroliers en deçà de 8.500 GNF.

Également, dans la même lancée, l’État guinéen devrait s’approprier le fait qu’en matière de politique économique, on ne peut guère imposer à un État ce qu’il faille faire ; les États sérieux demeurent pleinement souverains quant à la façon de mener leur politique économique. Celle-ci s’élabore nécessairement sur le prisme des aspirations légitimes des peuples, sur la lutte continue et sans états d’âme contre l’impunité mais aussi et surtout, elle se pense et se réalise suivant les conditions de vie de la grande populace.

Pour ma part, il faut retenir qu’en aucune façon et à aucun moment, le contribuable ne devrait accepter de payer, en lieu et place de nos décideurs publics, les dérives enregistrées dans la maltraitance de nos deniers publics.

Ceci étant, il faut se réjouir du fait que la société civile, nonobstant les divergences et les querelles d’égo que nous connaissons en son sein, s’est appropriée de cette lutte qu’elle compte mener, avec cran, au nom du plus grand nombre. Ainsi, par cet acte courageux, elle entend se démarquer nettement des politiques (mouvance – opposition) qui s’enlisent dans des élucubrations et dans des contestations stériles n’ayant aucun impact significatif sur la vie du peuple Guinéen.

De par cet argumentaire, j’ai comme l’impression que nous avons désormais à faire à une résurgence des forces sociales guinéennes. Cependant, il ne faut point se laisser aveugler par l’émotionnel et le désir ardent de s’être trouvé un << prophète en guerre contre le Satan>>. Pour cela, les hommes intègres de la société civile, dans le but de rester fidèles à leur vocation naturelle, devraient demeurer vigilants quant aux ambitions demeurée, sournoise et machiavélique de certains esprits zélés de cette même société civile.

Si l’actualité continue comme telle et que le gouvernement se borne à son mépris et à sa cécité à l’égard des souffrances du peuple ; bien que nos politiques frisent avec le ridicule, le glas sonnant, envisager une hypothèse construite sur le prisme du « scénario Haïtien » ne serait guère exagéré ; toute proportion gardée.

Au demeurant, les forces sociales se doivent de s’approprier des outils techniques suffisants et nécessaires, leur permettant de forcer la main à l’État non pas, à travers des manifestations scabreuses mais plutôt, par le biais d’approches intelligibles et foncièrement républicaines. Elles se doivent d’être rationnellement pertinentes à l’effet de contraindre l’État à respecter ses engagements vis à vis du peuple qu’il entend incarner.

Dans tous les cas, cette nouvelle grogne populaire, désormais organisée autour des forces sociales, permettra, à coup sûr, à nous autres observateurs de la vie sociale et politique de la Guinée, d’affirmer ou non la renaissance de la société civile ou la naissance d’une nouvelle forme de société civile fortement enfouie dans nos valeurs nationales comme jadis à l’aurore de la lutte pour notre indépendance en 1958, en Janvier – février 2007 ou encore plus récemment en 2009.

 

CHERINGAN

Analyste politique

Publicité