Nouvelle constitution : le texte décortiqué par des spécialistes

Publicité

Le Président Alpha Condé veut faire adopter une nouvelle Constitution le 1er mars prochain, ce qui lui ouvrirait le chemin à un 3è mandat malgré les protestations du Front National pour la Défense de la Constitution et la quarantaine de personnes tuées à travers le pays.

Quel est la pertinence de ce texte qui divise tant les Guinéens, sa différence avec celui en vigueur ? Est-il plus protecteur des droits de l’Homme, plus égalitaire, défend-il mieux les minorités comme le prétend ses promoteurs ?

Maître Alpha Yaya Dramé, Docteur en droit public des affaires, membre du Barreau de Lille et de Guinée, Enseignant chercheur à l’Université de Lille, Oumarou Sylla, assistant juridique au Cabinet AYD-Avocat, Doctorant en droit social à l’Université de Lille et Mamadou Tariq Diallo, assistant juridique au Cabinet AYD-Avocat, Doctorant en Droit public, à l’Université de Lille ont ‘’audité’’ la mouture de ce texte en la comparant à l’actuelle Constitution que les autorités veulent abroger.

L’objectif de l’audit est d’examiner, si la réforme constitutionnelle envisagée apporte, au fond, un changement déterminant : sur la nature du régime politique en vigueur ; sur les rapports entre le Président de la République et le Parlement dans leurs domaines d’attribution respectifs ; sur la séparation des pouvoirs et ses modalités d’application et sur la consistance des droits fondamentaux consacrés. Mais aussi à déterminer si le projet de Constitution apporte de nouvelles normes constitutionnelles, qui n’existent pas dans le Bloc de constitutionnalité actuel.

                                            Ce qui a changé

Pour lutter contre la corruption et le détournement des deniers publics, par exemple, le préambule de la Constitution de 2010 précise clairement que ‘’la corruption et les crimes économiques sont imprescriptibles’’. Même après leur mort, l’État peut poursuivre les intéressés, notamment dans le patrimoine des bénéficiaires de la succession.

« Curieusement, le projet de constitution a supprimé cette règle prompte à la lutte contre la corruption et le détournement des deniers publics ».

 Sur la parité homme/femme également, les auditeurs ont relevé une incohérence. L’article 9 al. 3 du projet de constitution précise : « La République affirme que la parité homme/femme est un objectif politique et social. Le Gouvernement et les Assemblées des organes délibérant ne peuvent être composés d’un même genre à plus des deux tiers des membres ».

Cette disposition traduit de nombreuses contradictions, estiment les auditeurs. D’abord, l’article pose le principe de la parité, en consacrant, par la même occasion, les conditions de sa violation.

« Les 2/3 d’une somme ne constituent pas une parité. Exemple : la composition actuelle de l’Assemblée nationale est de 114 membres. Et 2/3 de 114 = 76 membres.

Concernant les dispositions relatives au Président de la République, le mandat de 6 ans renouvelable une fois avec la « possibilité pour un ancien Président ayant fait 2 mandats de briguer un autre mandat (art. 40 du projet de constitution). La nouvelle constitution supprime également l’obligation faite au Président de République de cesser toute responsabilité au sein d’un parti politique. (Art. 38. al. 2 Constitution de 2010), supprime la condition d’âge de 35 ans (Constitution en vigueur) pour se présenter aux élections présidentielles ; le passage de ¼ (Constitution en vigueur) à ¾ des députés (projet de constitution) pour la saisine de la Cour constitutionnelle dans le cadre de la constatation de la vacance du pouvoir.

Du pouvoir législatif, il y a eu quelques modifications, par exemple l’âge minimum pour être député passe de 25 (Constitution en vigueur) à 18 ans (projet de constitution) ; consécration des candidatures indépendantes pour l’élection des députés, la suppression de la possibilité pour l’Assemblée nationale de requérir la suspension de la détention ou de la poursuite d’un député.

Au regard du nombre de députés à l’Assemblée Nationale (114 membres), expliquent-ils, la majorité des ¾ des membres prévus à l’article 98, alinéa 3 du projet de constitution pose une situation juridique incompréhensible.

144 X 3 divisé par 4 donnent 85,50 membres de l’AN, alors qu’il n’est pas possible d’avoir un demi-député, la moitié d’une personne ne pouvant exister.

« Le projet de constitution ne précise pas, s’il faut prendre en compte la borne inférieure (85 membres) ou la borne supérieure (86 membres) ».

Du mécanisme de dissolution du parlement et ses implications sur l’équilibre des pouvoirs, dans le système actuel, l’équilibre est obtenu par l’influence réciproque entre le Président de la République et le Parlement. En application de l’article 92 de la Constitution en vigueur, le Président de la République peut dissoudre l’Assemblée Nationale, en cas de désaccord persistant entre les deux institutions.

A l’inverse, le Président de la République a l’obligation de démissionner, si à l’issue des élections législatives anticipées, la même majorité hostile est élue à l’Assemblée Nationale.

La dissolution ne peut avoir lieu avant la 3e année de la législature et ne peut intervenir plus d’une fois au cours d’un même mandat.

« Cet équilibre a été rompu dans la réforme constitutionnelle proposée. Le projet de constitution a supprimé l’obligation pour le Président de la République de démissionner dans l’hypothèse où la même majorité hostile intervient à l’Assemblée Nationale à l’issue des élections anticipées (art. 102 du projet de constitution). Plus grave, le projet de constitution a supprimé le nombre de dissolution qui peut intervenir au cours d’un même mandat présidentiel. Sous l’empire de la réforme proposée, la dissolution de l’Assemblée Nationale peut intervenir à tout instant de la législature ».

Rapport d’audit final. projet de constitution

 

Publicité