Naïm touré: l’activiste burkinabè arrêté quatre fois en quatre ans

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N aïm Touré dérange-t-il? Tout porte à le croire. Cet activiste aux critiques acerbes du régime du Président Kaboré fait face quotidiennement à des intimidations et interpellations pour ses publications sur Facebook.

Pour la quatrième fois, l’activiste et lanceur d’alerte Naïm Touré a été arrêté à son domicile ce 12 novembre  vers 22 heures. Des témoins ont d’abord parlé d’un kidnapping. Les policiers n’auraient présenté aucun mandat et sont arrivés en tenue civile dans un véhicule banalisé. Ses proches et son avocat n’ont eu la confirmation de son arrestation que le lendemain. Il a enfin été libéré le 14 novembre sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui. Dans un communiqué, la police souligne que l’internaute a été interpellé suite à des publications faites sur les réseaux sociaux. C’est aussi la raison des trois précédentes arrestations de l’activiste.

Lanceur d’alerte

Mais  la première arrestation du lanceur d’alerte à 2016 remonte à 2016. Il avait été placé en garde à vue de 24h à la gendarmerie avant d’être relâché. La raison: Naïm avait révélé les soucis de santé de l’adjudant-chef Moussa Nébié, incarcéré à la Maison d’arrêt et de correction des armées. Celui-ci était accusé d’avoir participé à une tentative de putsch en 2015.

«J’ai reçu une information. En tant qu’humain, j’ai relayé l’information pour qu’au moins il reçoive des soins. Même si c’est un détenu il a droit à la dignité et à la santé», témoigne Naïm Touré. Autre alerte sur Facebook qui a fait jaser, celle de la mort d’un chef de gang en détention à la police. Les faits datent de mars 2019 et selon la police, le lanceur d’alerte aurait entravé l’enquête. «On aurait pu démanteler tout le réseau», a déploré le commissaire Galbané.

Leader d’opinion

Naîm est considéré comme un leader d’opinion. Dans ses posts, il s’illustre dans la dénonciation de la corruption, la gabegie. Il a démenti en 2017, un mensonge du conseiller spécial de l’ancien président de l’Assemblée nationale, Salif Diallo. Celui-ci se félicitait sur Facebook d’assister à un don  de  matériels biomédicaux au CHU de Bobo-Dioulasso fait gracieusement par Salif Diallo. «C’était un hôpital suisse qui était passé par une association suisse pour faire un don de matériels biomédicaux à l’hôpital de Bobo. J’ai nié, j’ai utilisé des mots forts», relate Naïm. Dans un billet, le journal en ligne Netafrica.net titre, «Procès Naïm Touré : La justice puni l’injure et refuse de punir le mensonge public à tout un peuple.» Selon ses partisans, ses publications ont un caractère citoyen contre l’injustice, la mal gouvernance. son appel aurait permis d’évacuer un gendarme blessé qui attendait vainement une évacuation sanitaire après une opération antiterroriste. Sur Facebook du 13 juin 2018, Naïm Touré s’indignait du sort de ce gendarme blessé.

Tentatives d’intimidation et de musèlement

Naïm Touré a été interpellé quatre fois et condamné deux fois. Il a été condamné à verser 600 000 francs CFA (environ 916 €) d’amendes. Il a aussi écopé de deux mois de prison ferme pour «injures publiques» contre  un franc symbolique demandé par la partie civile. Il a été condamné aussi à deux mois de prison ferme pour «incitation de troubles à l’ordre public». Pour certains, ces interpellations et condamnations ne sont autres que des tentatives d’intimidation et de musèlement. Un coup porté à la liberté d’expression au Burkina Faso. Le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples, le Réseau national de lutte anti-corruption avait exprimé leur soutien à l’activiste en appelant à sa libération.

Zéphirin Diabré, chef de file de l’opposition, estime, pour sa part, que chaque fois que la liberté d’expression est contrainte ou  puni cela pose un problème.

Les autorités Burkinabè avait fait une toute autre lecture. Le gouvernement par son porte-parole, Rémis Dandjinou déclarait sur RFI : «Il y’a des questions sur lesquelles, on ne peut pas laisser des éléments proliférer de telle manière de telle force. Il faut bien que la justice à un moment donné se prononce sur ce qui peut être dit et ce qui ne peut pas être dit.» Quant à Simon Compaoré, le président par intérim du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), « Il y’a des gens qui opinent parce qu’ils ne savent pas. Il y’a d’autres qui le savent, et si vous savez vous persister dans l’erreur, c’est quand même la volonté justement de créer des troubles et de jeter le discrédit.»

« L’ami de tous et l’ennemi de tous »

Naïm Touré a des sources aussi bien dans l’administration comme dans les corps de la défense et de la sécurité. Elles lui filent des informations tout en espérons qu’il publie pour une raison ou une autre.  Mais, toutes les informations et dénonciations de Naïm ne seraient pas crédibles. Un membre de l’institut Free Afrik s’indignait d’une accusation de l’activiste. Pour lui, l’internaute aurait dit que l’Institut était acheté par le MPP après son rapport sur la vie chère au Burkina.  Le Président Kaboré prévient que « Facebook et Twitter ne peuvent être considérés comme des espaces de non droit ».

Selon Parfait Ouattara, un ami de Naïm, il est « l’ami de tous et l’ennemi de tous. Quand il dénonce en ta faveur, il devient ton ami idéal et tu es chaque fois scotché à sa page, quand il dénonce en ta défaveur, il devient ton ennemi et tu es toujours scotché à sa page.» Ainsi il est devenu populaire et très suivi sur les réseaux sociaux. De 4920 en décembre 2016, ce jeune de 36 ans est l’homme le plus suivi aujourd’hui sur Facebook au Burkina avec 70 654 followers sur environ 1 000 000 d’utilisateurs que comptait ce réseau social en mars 2018. Chacun de ses ennuis judiciaires le rend plus populaire. Le nombre de ses followers a augmenté d’environ 100 après sa dernière arrestation.

« En tant qu’activiste, tu es un peuple, tu es le changement, et tu es quelqu’un de crédible. Donc tout ce que tu dis peut être un couteau pour bien trancher ou mal trancher. Et pour cette raison, ce que tu dis, tu dois bien peser,» interpelle Bintou Diallo, actrice de la société civile. Naïm Touré entend continuer de jouer son rôle de lanceur d’alerte. Il appelle des jeunes à lui emboîter le pas.

Issouf Zerbo

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